Confronté à la vive contestation suscitée par la loi du 23 février 2005, dont l’article 4 enjoignait aux enseignants de présenter le « rôle positif » de la colonisation, le président de la République a affirmé le 4 janvier que cet article qui « divise les Français » devait « être réécrit ». Deux semaines plus tard, il décidait de demander au Conseil constitutionnel de retirer de la loi l’alinéa le plus controversé - l’alinéa 2 de l’article 4. La procédure choisie ménageait sa majorité parlementaire en ne lui soumettant pas de nouveau une loi qu’elle avait non seulement adoptée mais aussi refusé d’amender fin novembre 2005 quand l’opposition le lui demandait.
L’objectif central de la mobilisation était atteint, même si d’autres dispositions restaient critiquables, comme l’article 3 qui, s’il était mis en oeuvre, menacerait l’autonomie de la recherche en créant une « Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie et des combats d’Afrique du Nord » sous la coupe de lobbies nostalgiques de l’Algérie française. Et même si la loi avait eu, d’ores et déjà, des effets néfastes : dans une lettre du 6 février au ministre de l’Education nationale, le président de la LDH a protesté contre les instructions données aux éditeurs et qui avaient eu des conséquences sur certains manuels, par un groupe de travail associant des représentants de rapatriés à l’Inspection générale de l’Éducation nationale et constitué dès novembre 2003 dans le but proclamé par le ministre des anciens combattants Hamlaoui Mekachera : « L’Éducation nationale devra se mettre au diapason »... (1)
Par ailleurs, estimant que ce retrait ne saurait être mis à profit pour escamoter des débats nécessaires sur la colonisation et la question des lois mémorielles, la LDH a organisé 23 février 2006, avec la Ligue de l’enseignement, l’Appel des historiens contre la loi du 23 février 2005, et d’autres partenaires (2), une Journée de réflexion intitulée Un an après la loi du 23 février 2005. Légiférer sur le passé ? (3) Une réflexion d’autant plus nécessaire qu’un appel paru dans Libération du 13 décembre 2005 avait élargi le débat aux autres lois mémorielles en demandant l’abrogation, au même titre, des lois Gayssot, Taubira et sur le génocide arménien. Henri Leclerc, président d’honneur de la LDH, analysant ces différentes lois, a rappelé son opposition, en 1990, à la création par la loi Gayssot d’un délit de négation des crimes nazis, persuadée qu’il n’était pas nécessaire à la condamnation des négationnistes ; mais il a aussi fait remarquer que cette loi, depuis seize ans, n’a entravé aucune recherche historique et que, malgré elle, nul historien contestant des faits relatifs à la Shoah considérés jusqu’ici comme acquis ne pourrait être poursuivi ni condamné s’il s’est livré de bonne foi à un travail de recherche historique utilisant honnêtement les instruments scientifiques disponibles. Cela en raison même de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme signée par la France, qui ne prévoit de restriction possible à la liberté d’expression que si elle est « nécessaire dans une société démocratique », et de la jurisprudence de la Cour européenne chargée de l’appliquer qui considère que « la recherche de la vérité historique fait partie intégrante de la liberté d’expression ». Les publications ou propos négationnistes condamnés au titre de cette loi n’étaient en aucun cas le fruit de recherches historiques.
Les lois reconnaissant le génocide arménien et l’esclavage comme crime contre l’humanité ne prévoient, elles, aucune sanction, et aucune condamnation n’est intervenue en se fondant sur elles, même si certaines poursuites devant des tribunaux civils les ont invoquées dans leur plaintes, ce qui est différent.
Pour la LDH, il n’existe aucune raison d’abroger la loi du 30 janvier 2001 disant que « La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 », texte déclaratif dont il ne résulte aucune obligation particulière - un peu comme la loi du 18 octobre 1999 qui a substitué le qualificatif de « guerre d’Algérie » aux termes employés antérieurement. Au moment où s’esquissait l’entrée de la Turquie dans l’Europe, dont l’attitude négationniste est inadmissible, il paraissait indispensable que la France dise officiellement aux Arméniens français qu’elle savait ce que fut le martyr de leur peuple, qualifié de « crime contre l’humanité » à l’époque même où il a été commis. En revanche, la LDH s’oppose aux propositions de loi, telle celle adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 12 octobre (alors que 109 députés sur 577 l’ont votée...) de pénaliser la contestation de ce génocide, la liberté d’expression devant rester la règle, d’autant que cette question est, malheureusement, moins bien documentée historiquement que la Shoah - les obstacles opposés par la Turquie à l’accès aux archives y étant pour beaucoup -, d’où la nécessité d’un large débat ; et parce qu’elle ne pose pas les mêmes problèmes spécifiques relatifs au maintien de l’ordre public que ceux qu’impose la nécessité de réagir à cet avatar de l’appel à la haine antisémite bimillénaire qu’est la négation de la Shoah.
La loi Taubira du 21 mai 2001 qualifiant l’esclavage de crime contre l’humanité, après le Code pénal (article 212-1), ne désigne, certes, que la traite négrière française et européenne, mais sans qu’on puisse en déduire une quelconque exonération des autres pratiques d’esclavage ailleurs qu’en Europe. Elle ne fonde aucune demande de réparation, qui serait une absurdité juridique puisque la responsabilité pénale est individuelle, y compris en matière de crimes contre l’humanité, et ne peut concerner que des personnes vivantes ; et que la République qui a aboli l’esclavage ne peut être tenue responsable du Code noir de Colbert - situation incontestablement différente de la continuité de l’Etat français sous Vichy. Et si son article 4 parle aussi de la place de cette question dans les programmes scolaires - qui relève normalement non de la loi mais du règlement -, c’est sans autre consigne que de ne pas en négliger l’importance.
En définitive, pour la LDH, même si les lois Gayssot, sur le génocide arménien et Taubira présentent sûrement des défauts et des risques, il ne s’agit pas de demander leur abrogation, chacune ayant répondu à des demandes légitimes et rempli des fonctions essentielles, mais de s’opposer à tout ajout de lois nouvelles qui pourraient entraver la recherche historique. 30 janvier : le chef de l’État annonce que le 10 mai sera chaque année une Journée des mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions, reprenant la proposition du rapport du Comité pour la mémoire de l’esclavage présidé par Maryse Condé.
Quant aux efforts pour mettre fin de l’occultation de l’histoire coloniale, y compris de sa première phase liée à l’esclavage - que la « Journée des mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions » fixée par le chef de l’État au 10 mai de chaque année pourrait aider -, ils doivent être poursuivis. En dépit de l’accusation de prôner la repentance portée de manière inexacte et malhonnête contre ceux qui les réclament, il ne s’agit en réalité que d’une exigence de vérité et de justice, impliquant un travail historique libre, à l’écart de toute approximation démagogique et de toute concurrence des mémoires (4).
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Notes :
(1) Déclaration dans Le Figaro du 11 mars 2004. Voir en ligne
(2) Voir en ligne
(3) A la Faculté Jussieu à Paris, en même temps que paraissait l’ouvrage La colonisation, la loi et l’histoire, dirigé par Claude Liauzu et Gilles Manceron, aux éditions Syllepse.
(4) Le site de la section LDH de Toulon offre un grand nombre de d ?éléments et de contributions sur ces questions.
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