mardi 27 octobre 2020

De la laïcité

 La laïcité, qui s’est imposée comme le meilleur cadre pour assurer la paix sociale par la liberté pour chacun de croire ou de ne pas croire, est brandie aujourd’hui par certains comme une arme de guerre. Des secteurs rétrogrades de la société qui avaient combattu la laïcité hier s’emparent aujourd’hui de ce terme à l’encontre des musulmans.

 

Avant que le mot de laïcité n’apparaisse, la notion a commencé à émerger sous la Révolution française, qui a affirmé l’égalité de tous les citoyens, quelles que soient leurs croyances, institué l’état-civil tenu par les communes, et proclamé la liberté de tous les cultes. Mais si elle a été la première grande étape vers la laïcité, elle a provoqué des fractures profondes dans la société en voulant mettre au pas l’Église catholique. Et elle n’a jamais su régler dans la liberté les relations entre les cultes et l’État.

C’est avec le vote de la loi de 1905 que la laïcité s’est imposée. Bien que sa discussion parlementaire ait commencé dans les derniers mois du ministère d’Émile Combes, c’est à tort qu’on lui en attribue la paternité. Elle a été votée après la chute de son ministère et selon des orientations fondamentalement différentes de ce qu’il préconisait.

Émile Combes (1835-1921), qui, après avoir voulu devenir prêtre, s’est engagé dans un combat opiniâtre contre l’Église catholique, souhaitait sa désorganisation complète en France par l’interdiction d’activités cultuelles organisées dans un cadre plus vaste que le département. Il voulait aussi l’interdiction des processions religieuses sur la voie publique. Clemenceau a dit de lui : « La séparation selon M. Combes n’est pas la séparation. C’est un régime tel qu’en peut concevoir une cervelle de vieux curé, non pas même retournée mais simplement détournée de ses voies. Ajoutez tous les vices du Concordat à tous les inconvénients de la liberté et vous aurez le combisme napoléonien ».

En réalité, contrairement à ce projet, la loi telle qu’elle a été adoptée fut « portée à bout de bras », selon le mot de Joseph Caillaux, par Aristide Briand (1865-1932), et soutenu par Jaurès. Elle a correspondu à un compromis dont le souci principal était de faire en sorte que ceux qui étaient fondamentalement hostiles à la séparation, puissent un jour s’y rallier. Pour Briand : « Nous sommes en présence de trois Églises (catholique, protestante, israélite), […] notre premier devoir à nous, législateurs, est de ne rien faire qui soit attentatoire à la libre constitution de ces Églises ». Il avait conscience de la perte d’influence inéluctable de l’Église catholique : « Aujourd’hui, […] le peuple participe à tous les mouvements du progrès humain et, si sa confiance n’a pas encore déserté le ciel, elle a du moins poussé dans la démocratie des racines trop profondes et trop tenaces pour que les efforts de l’Église parviennent à les en arracher ». Il a fait preuve d’une grande intelligence politique en comprenant que le mieux était de ne pas chercher à lui faire la guerre. Clemenceau dit de lui : « Poincaré sait tout mais ne comprend rien, Briand ne sait rien mais il comprend tout… » Briand explique à la Chambre : « Voulez-vous une loi de large neutralité, susceptible d’assurer la pacification des esprits et de donner à la République, en même temps que la liberté de ses mouvements, une force plus grande ? Si oui, faites que cette loi soit franche, loyale et honnête… Nous voulons qu’à ceux qui parcourent les paroisses en essayant de susciter la guerre religieuse, aux prêtres qui, entraînés par la passion politique, tenteront d’ameuter les paysans contre la République en leur disant qu’elle a violé la liberté de conscience, vous puissiez répondre simplement : “Voici notre loi, lisez-la, et vous verrez qu’elle est faite de liberté, de franchise et de loyauté” ».

Il a fait une sorte de pari sur l’avenir : « Il fallait que la loi se montrât respectueuse de toutes les croyances et leur laissât la faculté de s’exprimer librement. Nous l’avons fait de telle sorte que l’Église ne puisse invoquer aucun prétexte pour s’insurger contre le nouvel état de choses qui va se substituer au régime concordataire. Elle pourra s’en accommoder ; il ne met pas en péril son existence ».

La loi de séparation des Églises et de l’État a été une loi de liberté. Elle n’a pas été admise dans le pays du jour au lendemain, mais elle a jeté les bases d’une dissolution des antagonismes fondés sur des croyances religieuses.

Ce choix de la loi de 1905 n’a pas été à l’œuvre dans les colonies. C’est le « combisme napoléonien », la volonté de contrôler l’islam de manière arbitraire, qui a prévalu. En Algérie, ce sont certains républicains attachés à la laïcité et les Ouléma religieux qui ont réclamé, en vain, l’application de ses principes.

L’islam, en 1905, n’était pratiquement pas présent dans la France métropolitaine. L’immigration qui s’est développée à l’époque coloniale et dans ses lendemains a été à l’origine de sa diffusion dans l’hexagone. Pour que des discours religieux ignorants et irrationnels ne deviennent pas le réceptacle de ces rancœurs historiques et sociales, un effort de vérité est indispensable de la part de nos institutions et de notre école sur les injustices fondamentales de cette page de notre histoire et les traces qu’elle a laissées en termes d’inégalités et de discriminations. Mais vis-à-vis de cette présence nouvelle au sein de notre nation, la laïcité et la loi de 1905 restent la référence pour permettre son insertion. Le pari sur le développement de l’esprit critique, de la liberté et de la démocratie – sur lequel l’école ne doit rien lâcher – est la seule réponse intelligente et efficace face aux intégrismes.

Or, face à l’islam, la réponse autoritaire et liberticide écartée au moment de la loi de 1905 est réapparue en se cachant derrière le mot de laïcité. Au prétexte de la nécessaire lutte contre le terrorisme, la liberté des cultes est mise en cause. « L’affaire des foulards », qui a éclaté à l’automne 1989 dans un collège de Creil et qui a abouti, après quinze années de débats, à la loi de 2004, a été l’origine de multiples détournements irrationnels de la notion de laïcité. La question des signes religieux dans l’espace public a tendance, quand il s’agit de l’islam, à ne pas être abordée avec le calme et la rigueur qu’imposent les principes de la loi de 1905. Il en est de même de questions de société comme les règles alimentaires qui agitent aujourd’hui de manière disproportionnée l’opinion publique en France. Le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, est le représentant de cette réponse funeste, la politique de guerre à l’opposé des principes de la laïcité et de la loi de 1905, déguisée en posture de fermeté, qui est au contraire le meilleur moyen de renforcer les intégrismes.

En se cachant sous la notion de laïcité, a ressurgi le « combisme napoléonien » et « le gouvernement colonial autoritaire de l’islam ». Si le mot « laïcard » a été d’abord employé par les adversaires de la laïcité pour désigner ses partisans, il s’impose aujourd’hui pour désigner ceux qui n’ont que le mot de laïcité à la bouche mais dont – pour reprendre le mot de Clemenceau – la « cervelle de vieux curé » les conduit à préférer, dès qu’il s’agit des musulmans, la contrainte à la liberté. À s’écarter du « pari sur l’avenir » qu’a représenté la loi de 1905. Le pire est que leur manque d’intelligence fait le jeu des intégristes.

Après avoir soutenu qu’il faudrait, pour la « lutte contre la radicalisation », amender la loi de 1905, après s’en être pris au « communautarisme », Emmanuel Macron s’est lancé dans une croisade contre le « séparatisme ». Autant de postures qui nous détournent de la loi de 1905 et de la laïcité. La laïcité offre pourtant, même si des différences sont évidentes entre l’islam d’aujourd’hui et l’Église catholique d’hier, un cadre en mesure de répondre aux questions qui se posent avec acuité dans notre société et que l’odieux assassinat d’un enseignant ont rendues présentes à l’esprit de tous nos concitoyens.

 Gilles Manceron

vendredi 23 octobre 2020

De la liberté

Nous avons tous et chacune été sidérés par la décapitation de notre collègue d’histoire-géographie Samuel Paty. Les nombreux hommages ne peuvent effacer l’acte barbare dont il a été victime. Si le moment est opportun pour les autorités de rappeler les grands principes républicains dont la liberté d’expression, le CVUH se doit de restituer l’histoire de la longue dégradation de ces mêmes principes à l’école. Des échanges ont eu lieu entre nous et nos adhérents. Ce texte a été écrit à la demande d’un de nos collègues du secondaire. D’autres réflexions vont suivre, notamment sur la laïcité.

 

« On peut citer des peuples savants et opprimés, mais personne n’a jamais vu un peuple ignorant au sein duquel les droits de l’homme soient respectés : ils n’y sont pas connus. » (Condorcet)

 

Aborder la question de la liberté nécessiterait un très long développement historique et politique. Pour l’heure nous nous contenterons d’en esquisser les enjeux à l’école. La réflexion est d’autant plus complexe que nous vivons, en principe, et depuis plus de deux siècles, sous le régime de la liberté, individuelle et collective. Or, pendant tout ce temps la liberté fut sous contrôle et soumise à des dérogations. Longtemps exclusive, réservée à des privilégiés, elle aurait acquis, en France, aux dires du président de la République, ses lettres de noblesse sous la Troisième République. N’en déplaise aux autorités, la réalité historique est tout autre. La hiérarchie, entre les citoyens et ceux qui ne l’étaient pas, a créé une disparité notable entre les hommes réellement libres et les autres : étrangers, femmes, colonisés, lesquels longtemps sont restés à l’écart du droit commun. La séparation entre l’Église et l’État, la loi de 1905, est, de ce point de vue, bien loin d’avoir résolu les contradictions. En effet, la loi commune, malgré les références incessantes aux valeurs républicaines, a beaucoup tardé à s’appliquer. À l’inverse, la tradition, l’habitude et les multiples dérogations du droit, l’abîme qui souvent sépare le principe et le fait, se sont largement imposées.

Devant la loi, l’égalité est proclamée : liberté d’expression, liberté de conscience, liberté de presse et bien d’autres libertés se sont déployées dans l’espace public. Mais, accaparée par les publicitaires en tous genres, dévoyée par les dominants néolibéraux, la liberté a abouti à son contraire. Violence libérée, insultes déversées, calomnies partagées, mais aussi liberté d’exploiter l’autre, liberté de harceler, liberté d’aliéner par tous les moyens offerts par une société qui a voulu confondre émancipation et liberté de se soumettre jusqu’à la sacralisation du gain et du profit.

Dans cet espace marchand quelle est aujourd’hui la place de l’école ? Comment la liberté d’expression, l’apprentissage de la connaissance, le doute, le questionnement peuvent-ils encore avoir droit de cité dans ces lieux de plus en plus privatisés, ouverts au marchandage, où les élèves ne sont plus des écoliers en apprentissage mais des usagers, sous l’œil sceptique de parents, parfois suspicieux, de plus en plus intrusifs ?

Après la manifestation tangible, une nouvelle fois, de la barbarie fascisante, il nous faudrait revenir aux origines de l’école publique. Quand l’idée de liberté s’adressait à tous et à chacune. Soit un espace d’apprentissage de la connaissance mais aussi un lieu d’expression d’une émancipation en formation. Les élèves ont pour première tâche de se libérer des tutelles qui les enferment : tutelles religieuses, tutelles parentales, tutelles des traditions, à condition d’être guidés vers la liberté de comprendre et d’apprendre. Mais comment y parvenir quand la liberté d’enseigner est de plus en plus entravée par des programmes changeants au gré des enjeux politiques du moment ? Comment enseigner quand la liberté est empêchée par des conditions matérielles éprouvantes (35 élèves par classe par exemple). L’émancipation par le savoir passe par la possibilité de dispenser un enseignement dont le but premier est de faire émerger le désir de comprendre, sans la moindre ingérence tutélaire.

Alors oui, nous le savons, il nous faut faire face à cette tension inévitable entre la liberté de conscience des adultes et l’apprentissage des savoirs critiques. Mais si nous acceptons de délier rationnellement foi et savoir, si nous écartons tout intégrisme de la connaissance, alors l’histoire religieuse devient de la compétence de l’école. Rien d’impossible si le sacré ne franchit pas le seuil de l’école, si les éléments de compréhension, historiques, textuels retraçant la genèse d’une idée, décortiquant la construction des doctrines, permettent à l’élève de se situer dans ce dédale de textes laissés dans l’obscurité et plongés dans l’obscurantisme du sectarisme religieux de plus en plus influent. Faire en sorte que l’adolescent parvienne à distinguer la théologie, de la réalité, l’idéologie, des conflits politiques, les injonctions, du questionnement et du doute ; telle devrait être l’orientation essentielle de l’école. En bref, aider chaque élève à accéder à un passé méconnu afin de dépasser, au présent, les effets délétères de l’ignorance. Faire en sorte que l’enfant puisse ne plus confondre les dogmes religieux avec le savoir profane afin que la croyance puisse enfin se différencier des savoirs toujours à conquérir et donc en devenir.

Cela suppose un rétablissement de la liberté d’enseigner dans une école débarrassée de ses injonctions et autres règlements éducatifs de plus en plus éloignés de la mission d’instruire qui est la vocation de l’école publique. À condition que chaque professeur puisse bénéficier du salaire décent et des conditions matérielles qui lui manquent depuis des décennies, dans le respect de l’autre et de la fonction d’enseignant.

 Michèle Riot-Sarcey

vendredi 9 octobre 2020

Billet d'humeur : Vérité historique et conflit d’intérêt. À quoi servent les commissions ?

 Bien sûr qu’il faut se féliciter qu’après cinq ans de procédure pour obtenir l’accès aux archives concernant le rôle de la France dans le génocide au Rwanda en 1994, un chercheur ait obtenu récemment gain de cause ! Mais puisque dès lors qu’un fonds a été communiqué à une personne, il doit l’être à d’autres, à quoi sert désormais la tant controversée commission Rwanda ?

Nommée l’an passé par l’Elysée à l’occasion de la commémoration du 25e anniversaire du génocide, la commission Duclert l’avait été pour bénéficier d’un pouvoir d’investigation dont étaient privés les chercheurs. Sa note d’étape intermédiaire rendue le 5 avril dernier s’est révélée choquante. Non seulement elle ne contenait selon Le Monde du 7 avril aucune révélation mais, selon l’association Survie qui milite pour une refonte de la politique étrangère de la France en Afrique, elle persiste à présenter comme positif le rôle de la France au Rwanda et « blanchit déjà discrètement les autorités françaises de certaines accusations ».

On s’en serait douté. Ce n’est pas tant la composition de la commission Duclert qui posait problème, que son existence. Mais qu’elle ne comprenne, et cela fut relevé dès sa création, aucun spécialiste du Rwanda, ne pouvait qu’étonner quand on connaît la fonction des commissions commanditées par l’État : il s’agit généralement de laisser « le temps au temps », comme aimait à dire François Mitterrand qui s’y connaissait en la matière : le travail des commissions trainait en longueur jusqu’au moment où les raisons ayant poussé à leur constitution perdent de leur acuité.

Disons-le sans ambage : les résultats de telles commissions tiennent à la situation de conflit d’intérêt entre le commanditaire et les membres de la commission à la tête de laquelle est nommée une personne de confiance. On ne pouvait trouver mieux qu’un inspecteur général de l’éducation nationale…

Prenons pour illustration le cas d’une commission dirigée par l’historien René Rémond – dont les mauvais rapports avec l’historien Zeev Sternhell sont désormais entrés dans l’histoire. (L’idée pieuse d’une droite française qui aurait été immunisée contre le fascisme, ainsi que l’avait proclamé R. Rémond, n’a séduit que des historiens français.) Commanditée par Jack Lang, alors ministre de la Culture, cette commission devait statuer sur le sort du « fichier juif » de la région parisienne découvert fortuitement par Serge Klarsfeld en novembre 1991. Cet instrument des rafles établi par la police de Vichy se trouvait dans les archives du ministère des Anciens Combattants. Ces dernières étaient, comme la plupart des archives des ministères, placées sous la tutelle des Archives nationales qui en possédaient un microfilm et contribuaient ainsi elles-aussi à sa non publicité. Or, R. Rémond, était à l’époque président du Conseil supérieur des Archives, et dans sa commission, siégeaient des archivistes fort mal à l’aise face à cette découverte. (Pendant la même période France-Culture m’avait confié une enquête sur le fichier. Ce qui me mit, si je puis dire, la puce à l’oreille, c’est qu’aucun responsable des archives, sous la direction de Jean Favier, le premier, n’accepta de me rencontrer. L’eurent-ils fait en noyant le poisson je les aurais probablement crus, sachant combien il est facile dans les centres d’archives de perdre un document...)

Il ne fallut guère de temps à ladite commission pour déclarer que le fichier retrouvé… n’était pas le fichier juif de 1940 ! Les « preuves », qui n’en étaient pas comme cela a été établi, furent avancées dans un rapport mal ficelé produit quatre ans plus tard. Juge et partie à la fois, la commission avait cependant joué son rôle : elle avait sauvé l’honneur des Archives des Anciens Combattants et, partant, de leur tutelle, les Archives nationales, si ce n’est celui de la France… La revue L’Histoire, organe de transmission de la pensée consensuelle (en tout cas sur l’histoire nationale, sur l’étranger, c’est moins dérangeant) claironnait comme un vulgaire organe de presse boulevardier « La vérité sur le fichier juif » et Jean-Pierre Azéma, membre de la commission, déclarait alors que « dans sa totalité le fichier avait été détruit. » Là, la commission d’experts avait menti, par omission ou consciemment, en ne mentionnant pas la circulaire du ministre de l’Intérieur, Édouard Depreux, du 31 janvier 1947, qui revenait sur un ordre de destruction des documents fondés sur la qualité de « juif » du mois précédent (6 décembre 1946), pour conserver les fiches de personnes déportées. Soit très exactement le fichier retrouvé par Klarsfeld. Au même moment, toujours dans L’Histoire (n°186, mars 1995), l’historien Henry Rousso proclamait haut et fort : « il n’y pas de secrets d’État dans les archives ! ». (Me vient soudain un doute : L’Histoire a-t-elle rendu hommage à Brigitte Lainé, archiviste disparue il y aura bientôt deux ans, placardisée par l’administration des Archives pour avoir témoigné contre Maurice Papon à propos du massacre des Algériens, le 17 octobre 1961 ?)   

On pourrait alors citer encore d’autres commissions dont les rapports, s’ils ne blanchissaient pas totalement leur commanditaire, faisaient preuve de prudence dans l’établissement des responsabilités. Ainsi la mission confiée par le ministre de l’Intérieur, Jean-Pierre Chevènement, en 1998, au conseiller d’État Dieudonné Mandelkern concernant le rôle de la police lors du massacre des Algériens au cours de la manifestation du 17 octobre 1961. Ne s’appuyant que sur des archives vues par elle seule, la mission avançait des résultats concernant le nombre de disparus bien en-deçà des estimations d’un chercheur comme Jean-Luc Einaudi qui fut le premier historien de l’événement. Pis, dans les 17 pages du rapport, le nom de Maurice Papon, ancien préfet de police de Paris sous les ordres duquel le massacre avait eu lieu, n’était même pas mentionné alors que c’est à la faveur de son procès, en 1998, à propos de la déportation des Juifs de Gironde, que son rôle dans la répression des indépendantistes algériens avait resurgi !

Entachée du soupçon de conflit d’intérêt, la commission l’est encore plus au plan de la déontologie de la recherche puisqu’elle se réserve l’accès à des documents non communicables. Qu’en est-il dès lors de la possibilité de vérification des sources telle que l’exige la méthode historienne ? Il faut donc rappeler le principe d’ouverture des archives : dès qu’un fonds est déclassifié pour une personne, il doit l’être pour toute autre qui en fait la demande, quels que soient ses titres. Ouvert à tous les citoyens, comme le précisait la loi de Messidor An 2 qui rendit publiques les archives de la nation il y a 226 ans.

Sonia Combe

samedi 3 octobre 2020

Petite chronique sur la genèse du CVUH, ou hommage à Catherine Grupper, récemment décédée, à qui, d’un certain point de vue, revient l’initiative de la fondation du CVUH

 Avec Catherine, Denis Berger et Patrick, compagnon de Catherine, nous avions coutume, chaque mois, de dîner ensemble le vendredi dans un restaurant du quartier Mouffetard, où Catherine demeurait. Le patron était membre du MRAP dont Catherine était la trésorière. Sous forme d’ironie – Denis Berger, mon compagnon, décédé en 2013, en avait le secret –, nous appelions ces rencontres « les vendredis prolétariens ». Le restaurant était bon et les prix étaient alors accessibles.

Catherine, militante de toutes les causes en faveur des exclus et des dominés de toutes couleurs et de tous genres, s’était fixée comme objectif de nous faire rencontrer des personnes de sa connaissance dignes de confiance et dont l’esprit critique était suffisamment exercé pour que nous puissions débattre du monde tel qu’il va mal. Catherine donc, avait choisi, ce soir-là, de nous présenter Nicolas Offenstadt, dont la mère était une amie d’enfance !

L’article 4 d’un projet de loi, relatif aux aspects positifs de la colonisation, était alors en débat. Immédiatement ou presque nous étions sur une longueur d’onde identique. Ainsi le jour même nous décidions le principe d’un comité sur les mauvais usages de l’histoire. Nicolas m’invita à faire appel à Gérard Noiriel avec qui il travaillait dans la revue Genèses. Je connaissais bien Gérard ayant eu la même directrice de thèse, Madeleine Rebérioux. Rendez-vous fut pris dans un café près du Luxembourg où nous décidâmes la constitution d’un collectif contre l’instrumentalisation politique de l’histoire. Chacun d’entre nous sollicita les collègues et amis susceptibles de poser le même regard critique sur un usage délétère de l’histoire et après maints échanges entre nous, une première rencontre eu lieu à l’EHESS en mai 2005. Le manifeste et l’association furent débattus et le texte mis au point, le sigle choisi, nous fîmes connaître l’association. Très vite le groupe se renforça et une première rencontre publique se déroula à La Sorbonne en juin, le débat fut filmé par un ami, Marcel Rodriguez. Nous y retrouvâmes Catherine en spectatrice attentive et… critique.

Michèle Riot-Sarcey