Dans sa lettre de mission diffusée le 7 avril dernier, M. Besson, nouveau ministre de l’identité nationale, de l’intégration, de l’immigration et du co-développement solidaire se voit chargé par le gouvernement « d’engager les actions permettant de valoriser les principes de la République et les valeurs fondamentales de notre communauté nationale, en luttant contre toutes les tentations de repli identitaire ou communautariste, en renforçant la place des emblèmes et symboles de la République, des langues, de son drapeau, de son hymne, des valeurs contenues dans la devise "Liberté, égalité, fraternité" et de la Marianne qui les incarne, partout où cela s’avère nécessaire, dans les écoles et les lieux publics » (1).
Que nous vaut donc cette surenchère qui s’apprête encore une fois à toucher nos écoles ?
Rappel : les programmes de l’école primaire 2008 révélaient déjà la crispation sur l’apprentissage de la liturgie républicaine dans leur retour à l’ « instruction civique et morale » venus se substituer à la pédagogie du « vivre ensemble ». Il s’agissait sans doute d’en finir avec l’idéologie bien-pensante post 68 comme l’a seriné Nicolas Sarkozy lors de sa campagne électorale, lequel aimait d’ailleurs invoquer la figure tutélaire de Jules Ferry pour justifier les fondements de sa politique éducative à venir. Outre l’instrumentalisation politique déjà décryptée par le CVUH (2) à propos de la mobilisation tous azimut de ce personnage historique (3), on soulignera pour commencer que l’école républicaine depuis Jules Ferry n’a pas échappé miraculeusement au moteur de l’histoire, et que la sociologie des publics scolaires, ainsi que les fondements de ce que l’on nomme communément l’ « identité nationale » n’ont pas non plus vocation à rester figés dans une sorte de glaciation qui en empêcherait toute redéfinition. Suffit-il d’apprendre à un enfant de 7 ans à se lever sur la Marseillaise, à saluer le drapeau, à se courber devant le buste de Marianne et à ressasser mécaniquement l’ « Ave respublica » pour lui fournir les outils de sa socialisation politique ? Dans notre société façonnée par de nombreux héritages culturels, dans nos écoles peuplées d’enfants aux multiples visages, il faut être bien naïfs pour prétendre encore fabriquer de l’adhésion aveugle à une vulgate dont les principes assénés sont quotidiennement bafoués par les instigateurs même de cette réforme. Peu d’écoles en France ont en effet échappé à la logique de rendement du ministère de l’identité nationale qui (re)conduit des enfants vers un « chez eux » dont ils n’ont, pour beaucoup, jamais vu la moindre parcelle de paysage. On expliquera sans doute à leurs copains qu’ils n’honoraient pas suffisamment la République ces enfants : « fraternité » devaient-il pourtant apprendre à épeler…Faut-il donc qu’un régime se sente sous tension pour s’arquebouter à ce point sur des principes désormais vides de contenu au regard de leur traduction politique. Ce prêt à penser en kit risque fort de jeter le discrédit sur le potentiel émancipateur de ces valeurs républicaines. Car de quelle République parle-t-on au juste à travers cet usage nationalo-patriotique ? Celle de la première expérience révolutionnaire, La « sociale » de 1848, ou la IIIème République issue du compromis de Thiers, donc du détournement par les républicains modérés du mot pour l’élaboration du "national" ? l’opération de substitution a bien fonctionné, aidée en cela par une historiographie valorisant un « modèle républicain » quasi-transcendantal, consensuel, privé de toute conflictualité originelle, et purgé de ses dimensions sociales (4). Un pallier supplémentaire est franchi avec notre gouvernement et l’alliance à venir entre le ministère de l’identité nationale et celui de l’éducation ; la chimère république versus identité nationale n’est rien d’autre que le recouvrement par le mot de république d’un héritage de Maurice Barrès passé par la traduction politique du Front national et rendu politiquement correctpar le jeu électoral.
Si l’une des missions de l’école consiste à tisser de l’appartenance, il serait donc temps d’en finir avec cette vision prométhéenne d’un enseignement fondé sur l’illusion d’un conditionnement opérant de l’allégeance policée à des symboles. Il serait plus urgent et judicieux de travailler à l’acquisition d’une conscience critique préalable à toute citoyenneté véritablement libérée d’un code de bonne conduite identitaire imposé par une politique d’intégration discriminatoire qui ne dit pas son nom. Si tant est que le « communautarisme » existe autrement que comme une simple réaction momentanée à la stigmatisation que subissent régulièrement les « minorités visibles » de notre société ; si tant est que ce « communautarisme » ne soit pas qu’un épouvantail agité par simple volonté de légitimer une politique de crispation nationalo-identitaire, alors son désamorçage devra procéder d’une pédagogie de l’altérité qui viserait à rendre naturelle la co-présence des héritiers de multiples histoires, et non à vouloir naturaliser l’allogène. Osons donc enfin politiser réellement la question de l’école, interroger l’Universel républicain à l’aune du principe de réalité d’aujourd’hui, et faire de cette micro-société le laboratoire d’invention de la citoyenneté de demain.
Des mots, toujours des mots diront certains que les symboles rassurent. Mais l’école n’a-t-elle donc pas toujours été un outil d’intégration républicaine qu’il faut « sanctuariser » comme le rappelait récemment Nicolas Sarkozy ? Traduction : nécessité d’opposer à la demande sociale une fin de non recevoir afin d’assurer la prorogation d’un Universel qui fonctionnerait presque comme une donnée naturelle, a-historique, et figée dans une configuration élaborée lors de l’acte de naissance de l’école sous la IIIè République. Dans cette logique, l’école poursuivrait sa fonction quasi irénique de construction d’un espace commun au sein duquel les sujets seraient nécessairement privés de toute détermination empirique. Dans cet espace, l’Universel fonctionnerait comme une promesse d’émancipation de l’individu sous couvert d’une acceptation de normes garantes d’un consensus, et d’une forme d’homogénéité. Que les noirs deviennent blancs, que les femmes deviennent des hommes, et que les indigestes prennent la porte.
Postulons maintenant l’inverse, à savoir une nécessaire perméabilité de l’école aux débats de la société. Avec sa propre temporalité qui n’est pas celle de l’urgence médiatique, l’école se poserait alors comme le lieu d’intelligibilité des débats, voire des conflits, par une praxis de la mise à distance réflexive. Dans ce cas, l’Universel républicain perdrait sa capacité d’énonciation de normes immuables pour agir comme un champ ouvert d’antagonismes, ou, pour le dire autrement, un espace de conflictualités politiques suffisamment ouvert pour permettre à chaque subjectivité de s’affirmer sans trouver porte close. Dans cette logique, la révérence au buste, à l’hymne ou au drapeau ferait bien pâle figure à l’aune d’une véritable éducation à la diversité.
Laurence De Cock
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Notes :
(1) Voir l’intégralité de la lettre de mission au lien suivant :http://www.immigration.gouv.fr/article.php?id_article=753
(2) Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire, http://cvuh.blogspot.com/
(3) Olivier Le Trocquer, « Jules Ferry » in Laurence De Cock et alii (dir), Comment Nicolas Sarkozy écrit l’histoire de France, Agone, 2008
(4) Celui qui est précisément enseigné dans les programmes d’histoire du Secondaire