Ce sont des enfants comme les autres ; des enfants qui rêvent de devenir explorateurs en Amazonie ou médecins en Amérique, qui rient, dansent, chantent et chahutent. Mais ce sont aussi des enfants soumis aux ravages d’une guerre qui les soustrait beaucoup trop tôt à la tranquillité de leur innocence. Ils sont juifs ou palestiniens, vivent en Israël ou en Palestine, dans une colonie, un village arabe ou mixte.
Ce ne sont pas des enseignants comme les autres du tout. En proie à une surveillance ministérielle forte, ils sont chargés de l’une des matières les plus politiquement explosives et surveillées : l’histoire. Toutes et tous ont en commun aussi d’être traversés par les secousses politiques de la région et animés par leurs propres passions, rancoeurs, leurs quêtes de paix ou de revanche, leurs souffrances et leurs certitudes. Aucun ne peut feindre l’indifférence ou la neutralité, même en classe.
Tamara Erde, jeune réalisatrice israélienne, a décidé de rendre compte du quotidien scolaire de tous ces enfants et de leurs enseignants. Elle-même scolarisée quelques années avant en Israël, raconte avoir mesuré, lors de son service militaire, l’instrumentalisation politique à l’œuvre dans l’enseignement. Mais qu’en est-il aujourd’hui ? C’est l’objet de son enquête.
This is my Land nous mène alors sur les routes de Haïfa, Ramallah, Iblin (village arabe), Neve Shalom/Whahat al Salam (village arabe et juif), la colonie d’Itamar (Cisjordanie) et dans un camp de réfugiés de Naplouse.
Le film prend son temps, celui de nous faire longer la route de ce si désespérant mur, celui de nous faire entendre les cris mais aussi les pesants silences : de ces hommes et femmes, souvent dépassés par la douleur, et des enfants qui interrogent, se révoltent et clament tantôt leurs désirs de changement tantôt leurs résignations. C’est peu dire que ce film rend compte d’une réalité à la manière d'une morsure, salutaire certes, mais déchirante.
« Que signifie la paix ? » Demande Tamara à un jeune garçon juif de 17 ans
« La paix ? J’ai un peu oublié ce que c’est, répond-il. Qu’un garçon de 17 ans censé être innocent, naïf et rêveur, ne sache expliquer le mot paix est le problème de ce pays »
De fait, sur un petit muret d’une école publique de Ramallah, un élève raconte le meurtre de sa maman par un soldat israélien quand il était tout petit. Il s’en souvient, il était dans ses bras. Il est tombé. Aujourd’hui avec son maître, Ziad Khadash, il lit le poète Mahmoud Darwich dont il connaît parfaitement bien la vie. Dans son école où il n’y a que des garçons, on apprend les mathématiques, l’arabe et tout le reste mais c’est à la lumière des bougies que les petits travaillent dès que la lumière tombe, emmitouflés dans leurs anoraks. Leur maître ne les lâche pas d’une semelle. « Qu’est-ce que la liberté ? » lance-t-il un matin en débat. Il s’enflamme : l’oiseau vole, il n’a ni carte d’identité ni frontière explique-t-il. Les enfants le suivent. Ils acceptent d’écrire une lettre à un juif Français de Paris puis une lettre à un juif de la colonie de Psagot. La première est très douce ; un enfant salue même la « tour de Pise » ; la seconde est d’une grande violence. Le mur est déjà dans les petites têtes : « Monsieur, hier les juifs sont venus et on leur a lancé des pierres. J’ai craché sur une juive ». Le maître corrige : il faut bien faire la différence entre une femme colon et une juive dit-il. La scène est alourdie de rires nerveux. Le film nous emporte dans les contrées-limites de la relation pédagogique. Le maître y forme des adultes et des résistants, lui qui a renoncé à voir changer les choses. Il faut alors apprendre aux enfants à garder espoir en prison par exemple, quand ils ne pourront plus parler (d'où le scotch posé sur la bouche des enfants ) mais qu’ils devront feindre l’indifférence et garder l’espoir.
De l’espoir il y en a peu chez les enfants de l’école du camp de réfugiés palestiniens auxquels Noor Jaber enseigne. On la voit pourtant faire lire la déclaration des droits de l’homme et des droits de l’enfant aux enfants. Mais, pour faire leurs dessins, tous sauf un choisiront la couleur noire. Ces enfants sont tristes, enfermés, « en prison » dit l’un, ils rêvent de retour, de retrouver leur pays.
A Haïfa, dans l’école publique israélienne, les illusions semblent terminées. Les lycéens aussi n’ont connu que la guerre. La peur est constante. Une scène de discussion collective respire l’impuissance. Les adolescents laissent planer leurs regards dans le vide. Ils finissent par se taire. C’est le premier lourd silence du film.
Dans l’école publique religieuse de la colonie d’Itamar, la rupture est aussi sans appel :
« On est entourés d’Arabes. Ils nous veulent du mal car ils veulent le pays »
« Que peut-on faire pour que ça cesse ? demande Tamara
- les chasser
- Comment ?
- Le gouvernement, l'armée" répond l'enfant.
Et, parce qu’ils restent des enfants, on scrute tout de même la bouille bonhomme de ce tout jeune garçon qui raconte, goguenard comment ils sont allés avec ses copains piquer les olives des Arabes. La scène n’a pourtant rien à voir avec un remake de La guerre des boutons. « Ils pensent que les olives sont à eux » dit l’enfant.
Un autre jour, lors d’une fête d’école, l’un des enfants s’est déguisé en arabe, keffieh sur la tête, et menace – pour de faux comme on dit – son enseignant : « Je suis venu te tuer », provoquant l’hilarité de tous.
Le film montre aussi comment les cours plus spécifiques d’histoire sont prétextes à parler du présent et à quel point tout cela s’avère excessivement difficile et tendu pour toutes et tous. Manuels scolaires sous contrôle gouvernemental, censure, poids du passé historique et religieux, tout concourt à alourdir le métier. Johnny Mansour, enseignant palestinien mais de nationalité israélienne, est l’auteur d’un manuel d’histoire censuré par le ministère car il exigeait de parler de « Palestine » et non d’Eretz Israel » (Terre d’Israël). Il souligne l’omniprésence de la thématique guerrière dans les livres d’histoire. Nurit Peled Elhanan, chercheuse en histoire de l’éducation explique le double prisme de la présence arabe dans les manuels d’histoire israélien : soit l’absence par invisibilisation, soit la lecture raciste.
Poids du passé surtout avec la mémoire de la Shoah. Selon la chercheuse, l’école israélienne reproduit chaque année le traumatisme quand il s’agirait de travailler au contraire non à la dépasser mais à en tirer enseignement pour la construction politique de l’avenir. Il n’y a dit- elle aucun espace disponible pour la réflexion critique.
Avec leur enseignant, un groupe de lycéens part visiter le camp de concentration de Belzec. Ils en sortiront bouleversés. Eux sont grands, ils veulent débattre et discuter. Certains critiquent même Israël assez franchement. Sous pression, l’enseignant laisse la parole se libérer mais ne tranche pas. Il rappelle l’importance de poser de bonnes questions.
Le sujet, on le comprend, est encore brûlant. L’une des plus belles scènes du film se déroule dans l’école mixte non gouvernementale de Neve Shalom/Whahat al Salam où enseigne Raida Aiashe, une femme palestinienne, bouleversante. Un homme dont nous ignorons l'identité et la fonction, l'assiste pour le cours sur la Shoah le « jour du souvenir de la Shoah et de l’héroïsme ».
Le moment est très tendu. Raïda tousse souvent, elle s’agite, se frotte le visage, intervient, interrompt. Tout se brouille, les mots comme le tableau qui devient illisible. La morale et l’histoire s’entremêlent : de Balfour à aujourd’hui, parce que c’est « si loin » (lui) ; « pas tant que ça » (elle), « à mon avis si » (lui)… Parce que « c’est compliqué » (lui), que « c’est trop pour eux » (lui), « je sais » (elle)
Mais Raida veut poursuivre
« Pour sauver les juifs de l’agression nazie il a été nécessaire de leur donner un terre, celle… au détriment ... hésitations » (elle) "Au détriment ?" (lui) "De mon grand-père" (elle)
En face, comme nous, les élèves palpent l’émotion et le malaise qu’ils désamorcent par un retour à ce qu’ils sont finalement : des enfants.
« Nous les enfants on ne sait rien, vous les adultes vous savez. Les enfants aussi peuvent changer les choses » (un enfant)
« J’espère que tu réussiras là où nous avons échoué » répond Raïda.
Il faut voir « This is My Land » dont le titre est tiré d’un petit film d’animation montrant les guerres successives et quasi ininterrompues pour la maîtrise des territoires. Il faut le voir parce qu’il rend compte sans concession du sabotage tragique des enfances aujourd’hui en cours en Israël et Palestine, et parce qu’il témoigne en même temps de l’humanité de ces enseignant.e.s résignés à ne jamais connaître la paix, mais décidés à en maintenir l’espérance dans le cœur des enfants.
Sortie officielle en salle : le 20 avril 2016
Dates des projections à venir