Plus que
jamais il est aujourd’hui nécessaire de raviver les espoirs d’hier. Rappelons
que l’idée d’émancipation « du peuple et des femmes » dans les années
1830 était un mot d’ordre d’actualité que reprenaient les journaux de l’époque.
La liberté pouvait alors guider le peuple. En ces temps de confinement,
l’auto-organisation, l’entraide, la réflexion collective pourraient redonner
sens à la démocratie vraie que revendiquaient les quarante-huitards comme les
communards. Redonnons-vie à la fraternité qui fut un temps synonyme de
communisme.
La tribune ci-dessous, de Michèle Riot-Sarcey et
Jean-Louis Laville, a été publiée dans Libération
le 17 mars 2020.
Symptôme des dysfonctionnements de tous
ordres, dus à l’exploitation excessive de la nature et des hommes, la pandémie
actuelle est suffisamment grave pour nous inciter à réfléchir collectivement
sur le devenir des sociétés. Partout dans le monde, de récentes insurrections
ont traduit l’exaspération montante tandis que les alertes des scientifiques
par leurs appels à la désobéissance civile montraient l’urgence d’un changement
planétaire.
En Europe malgré les dénonciations des salarié.es,
les grèves longues, à répétition, malgré les contre-propositions des
organisations syndicales, des médecins, des infirmier-ères, malgré les menaces
de démissions des différents responsables, la lutte contre les politiques de
démantèlement des services public, a été perdue. Toutes ces demandes pourtant réalistes
se sont heurtées à une fin de non-recevoir de la part des pouvoirs, au nom de
la compétition internationale. Et plutôt que le débat public, les gouvernements
de la plupart des pays ont choisi de réprimer des mouvements de protestations.
Depuis des années, les États occidentaux ont
choisi de mettre en œuvre les directives néolibérales en généralisant la
privatisation, et la précarisation des emplois, n’épargnant aucun secteur, des
hôpitaux à l’éducation. En poursuivant, les politiques de consommation à
outrance, y compris énergétiques, tous ont contribué à détériorer durablement la
Terre et à mettre en péril la vie des très nombreuses espèces. En France, dans
ses dernières interventions le président de la République redécouvre, après
l’avoir défait, le bien-fondé de l’Etat providence, c’est dire le désarroi
actuel des hommes qui nous gouvernent.
Assez de mensonges, assez de discours
trompeurs laissant croire qu’il n’y avait pas d’alternative possible et que
nous étions condamnés à vivre dans un monde tel qu’il est. Nous ne pouvons
rester prisonniers des promesses régulièrement renouvelées et jamais réalisées
d’un système dont la logique empêche la prise en compte des exigences d’une transition
digne de ce nom. Si celle-ci est sans cesse renvoyée à plus tard c’est que les
lobbies exercent une influence continue auprès des responsables politiques sous
prétexte d’une soi-disant nécessité économique, voire de chantage à l’emploi.
Or, cette financiarisation et cette
mondialisation se voyant inexorables et toutes puissantes révèlent aujourd’hui
leur fragilité autant que leurs méfaits. Il n’est pas concevable de rester
tétanisés par l’effondrement et d’écouter dans la peur les nouvelles du
désastre. Il serait possible de rassembler les forces critiques qui s’opposent
aux courants dominants pour réaffirmer le refus de cet ordre du monde qui nous
amène tout droit à la catastrophe.
Il est temps d’agir et de réfléchir ensemble,
en associant tous les projets et contre-propositions qui ont été faites par les
professionnels de santé, les climatologues, et bien d’autres acteurs qui depuis
des mois informent sur les risques encourus liés aux orientations
irresponsables que suivent les gouvernements en matière de climat et de santé. Il
est temps d’agir et de réfléchir ensemble à un autre monde possible, de se
concerter en construisant une véritable alternative, à l’échelle locale en
particulier, à la manière des gilets jaunes afin de reconsidérer entièrement
nos pratiques et de réinterroger nos références traditionnelles. Il est temps
de lire les nombreux ouvrages qui depuis des lustres nous éclairent sur tout ce
qui menace la planète et de reprendre
les contre-projets de réformes dans l’éducation nationale, les hôpitaux,
d’imaginer d’autres formes de production de repenser entièrement la subsistance
et le bien vivre de chacune et de tous au quotidien…
Il est temps enfin d’écouter tous ceux et celles
qui depuis des années montrent l’exemple, d’une vie différente, d’une société
sans domination. Des initiatives collectives existent de par le monde,
« petites » inventions méprisées jusqu’ici par les
« grands » décideurs. Dans tous les continents des associations sont
en plein essor, les voies d’une autre forme d’économie coopératives sont
explorées ; l’heure est à l’essor de ces expériences. Contre les positions
de surplomb, il importe de rassembler, de discuter, de synthétiser tous ses
efforts qui contribuent à construire le monde d’après demain et à ne pas se
morfondre dans la contemplation du naufrage de celui d’hier. La croyance en une
technologie mythifiée a conduit à l’homme falsifié.
Le retour d’une vie réellement humaine est
possible à condition de rompre avec l’individualisme en réhabilitant la
solidarité comme la fraternité. Résistons non pas individuellement mais
collectivement par l’entraide et la réflexion à plusieurs, en particulier dans
cette période de confinement.
Michèle Riot-Sarcey, Jean-Louis Laville,
Auteur.es du Réveil de l’utopie, éditions de l’Atelier, 2020