Le discours de Nicolas Sarkozy prononcé à l’Université de Dakar a provoqué un tollé chez les intellectuels africains. Le site de la LDH (section de Toulon) s’ en est fait largement l’ écho. Deux textes y soulèvent les principaux objets d’indignation face aux propos qui épousent sans complexe la vision « frivole et exotique » de l’Afrique (Mbembe), au mépris de toutes les recherches scientifiques africaines, françaises ou conjointes (1). Le CVUH ne peut que s’associer à cette légitime dénonciation. Catherine Coquery-Vidrovitch (2) a d’ailleurs déjà ouvertement soutenu ses collègues africains, s’indignant de cette méconnaissance partagée de l’histoire africaine, jusqu’au milieu journalistique. Sans reprendre tous les arguments déjà fort clairement exposés par les textes sus-cités, il convient de s’arrêter sur les aspects principaux de ce discours qui s’inscrivent dans la logique des usages publics de l’histoire par Nicolas Sarkozy, et qui révèlent, outre son ignorance et son désintérêt profond pour l’Afrique, la matrice idéologique de sa politique. Car au regard de l’ensemble des discours de Nicolas Sarkozy, celui de Dakar ne fait pas vraiment rupture. Comme dans tous les autres, on peut en effet y lire sa tentative de camoufler son refus du débat politique derrière des signes de réconciliation ou d’union qui confinent à l’amnistie symbolique, tentative dont la thématique de l’anti-repentance et le procédé d’infantilisation sont les principaux outils. Ce mécanisme est très visible dans le discours de Dakar. Le premier argument relève du déni d’historicité illustré par la phrase qui a soulevé légitimement l’ire des auditeurs africains : « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. » Sous couvert d’une admiration pour cette spiritueuse terre de mystère et de magie, l’ attribution d’un « zéro de température historique » (Marshall Sahlins) au continent africain témoigne d’une posture ethnocentrique et paternaliste qui lui permet, au passage, de réactualiser la mission civilisatrice d’une ancienne métropole porteuse des secrets de la marche vers le progrès : « Cette Renaissance, je suis venu vous la proposer. Je suis venu vous la proposer pour que nous l’accomplissions ensemble, parce que de la Renaissance de l’Afrique dépend pour une large part la Renaissance de l’Europe et la Renaissance du monde. (3) » Derrière un patchwork de références et de citations littéraires dont semble friand Henri Guaino, le concepteur de ses discours, Nicolas Sarkozy s’arroge un droit d’anticipation des désirs et volontés des « Africains » pour se poser comme l’homme providentiel venu libérer un peuple de ses ancestraux fantômes. Il fallait une certaine dose de mépris pour faire fi du fait que l’auditoire à Dakar se composait des meilleurs universitaires du pays peu disposés à se laisser faire la leçon. C’est que le Président français s’adresse, ce jour-là, à un continent entier : « Ce que l’Afrique veut… je suis venu le lui donner ». Le procédé rhétorique est bien rôdé, et les formules répétitives qui scandent les propos tentent de produire leur « effet-vérité » derrière une fausse envolée lyrique que l’on sait en réalité très contrôlée. Soucieux de rassembler, le discours n’évince, en apparence, aucun sujet épineux. Conscient en effet des enjeux politiques soulevés par l’histoire de l’esclavage et celle de la colonisation, Nicolas Sarkozy s’empare de ces questions, mais la thématique de l’anti-repentance lui permet de désamorcer toutes possibilités de débats potentiellement conflictuels : « Je suis venu vous proposer de regarder ensemble, Africains et Français, au-delà de cette déchirure et au-delà de cette souffrance ». En se posant comme le grand réconciliateur, Nicolas Sarkozy poursuit sa quête de consensus, laquelle témoigne d’une vision très particulière de la démocratie. « Je veux une démocratie irréprochable » disait-il dans un précédent discours (14 janvier 2007) ; et on pourra méditer longtemps sur cette alliance de mots qui vise à purger la démocratie de ce qui fait son essence même, l’acceptation du conflit.
Laurence De Cock-Pierrepont
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Notes :
(1) « L’Afrique de Nicolas Sarkozy » par Achille Mbembe, Professeur d’histoire et de science politique au Wits Institute for Social and Economic Research à Johannesburg, http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article2183 ; « lettre à Nicolas Sarkozy » par Ibrahima Thioub, professeur d’histoire à l’Université de Dakar, http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article2193.
(2) Voir, sur le site du CVUH, la lettre adressée au et laissée sans nouvelle par le Nouvel Observateur par Catherine Coquery-Vidrovitch
(3) On notera au passage que cette thématique de la Renaissance est récurrente sous la plume de Guaino : 22 occurrences du mot dans ses discours de campagne de 2007.
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