Le CVUH relaie la tribune du collectif des jeunes chercheur·se·s privé·e·s d'archives, publiée le 16 juin 2020 sur médiapart.
Selon M. Macron, « la guerre d’Algérie reste un impensé », et il y a «
tout un travail à faire avec les historiens, mais cela prend du temps
»... Une histoire que les historien·ne·s travaillent à écrire depuis des
décennies. Mais depuis janvier 2020, les archives ouvertes dans les
années 1990 ont été brutalement rendues inaccessibles, rendant ce
travail impossible. Avec la LPPR en préparation, notre génération
d'historien·ne·s est doublement sacrifiée.
Monsieur le Président de la République,
Vous réclamant des liens qui vous unissaient à Paul Ricœur, vous
n’avez cessé durant la campagne présidentielle de 2017 de manifester
l’importance que vous attachiez alors à l’histoire et à la mémoire. En
septembre 2018, au nom de la République française, vous reconnaissiez
enfin le rôle de la France dans l’assassinat de Maurice Audin et
la pratique de la torture durant la guerre d’Algérie. Depuis, nous ne
pouvons que constater une incohérence manifeste entre vos discours
réguliers sur l’histoire de France et l’action de votre gouvernement
concernant les archives de l'État.
Vos propos rapportés dans Le Monde du 10 juin 2020 nous poussent à réagir. Selon vous, « la guerre d’Algérie reste un impensé ». Abondant dans ce sens, vos collaborateurs soulignent qu’il y a « tout un travail à faire avec les historiens, mais cela prend du temps ».
Quel étonnement mais surtout quel mépris ! Depuis des décennies, les
historiennes et les historiens n'ont eu de cesse de travailler sans
relâche à l'écriture de cette histoire, mettant à profit l'ouverture
des archives depuis les années 1990. Or, depuis janvier 2020, ces mêmes
archives nous sont de nouveau inaccessibles, par l'application brutale
et sans préavis d'une instruction générale interministérielle de 2011,
restée jusque-là lettre morte.
Quand la main gauche de l'Etat invite à travailler sur l'histoire
pour apaiser les mémoires, sa main droite prive brutalement historiennes
et historiens du matériau nécessaire à cette entreprise. En avril 2020,
vous ouvriez à grands renforts de déclarations médiatiques, l'accès à
quelques dizaines de dossiers portant sur les disparus de la guerre
d'Algérie. Pourtant, dans le même temps, votre gouvernement
avalisait la fermeture de milliers de cartons d'archives conservés au
Service Historique de La Défense et aux Archives Nationales,
empêchant une grande partie du travail historique sur la période
contemporaine. Jusqu'à l'an dernier, nous, jeunes historiennes et
historiens qui avons l'habitude de travailler en France comme à
l'étranger, nous réjouissions encore des facilités d'accès aux archives
françaises. Régies par le code du Patrimoine, elles relevaient alors du
fonctionnement normal d'un régime démocratique. Aujourd'hui, force est
de constater que ce n'est plus du tout le cas.
Votre gouvernement impose désormais de faire déclassifier avant
communication, par le service versant, tout papier ayant un jour été
tamponné « Secret Défense », soit une immense partie des archives
policières, militaires et diplomatiques depuis le 1er août 1954. Et ce,
quand bien même ils étaient auparavant librement communicables, en
vertu de la loi sur les archives du 15 juillet 2008. Le nombre de
documents concernés dépassant très largement les capacités de travail
des services et les administrations pouvant librement refuser la
déclassification, vous laissez organiser de facto l'inaccessibilité de
pans entiers des archives contemporaines françaises. Triste « nouveau
monde » où une opacité d'un autre temps vient de balayer les aspirations
à la transparence et au débat démocratique. Pourquoi vouloir à ce point
empêcher l'écriture rigoureuse de l'histoire de la République française
dans la seconde moitié du XXe siècle?
Jeunes historiennes et historiens, nous n'avons que trop peu de temps
pour mener à bien nos recherches, qu'elles soient de master, doctorales
ou post doctorales. Cette décision politique subite et incompréhensible
de fermeture des archives met en péril nos travaux. À cela s'ajoute la LPPR en préparation,
qui fait peser une lourde hypothèque sur notre avenir professionnel,
rendant encore plus précaire et plus difficile notre insertion dans le
monde de la recherche. Notre génération d'historien·ne·s est donc
doublement sacrifiée.
Dans ces conditions, nous vous le demandons Monsieur le Président,
comment pensez-vous que nous puissions continuer à effectuer « ce
travail » que vos collaborateurs appellent de leurs vœux ? Ces règles
absurdes imposées sous votre présidence aboutissent à priver les
citoyen·ne·s des archives nécessaires à la construction de leur
histoire. Tant qu'elles subsisteront, regretter le manque
d'interlocuteurs historiens constituera une marque de cynisme qui n'a
pas sa place dans une démocratie du XXIe siècle.
Collectif des jeunes chercheur·se·s privé·e·s d'archives
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