Le discours du président de la République au collège des Bernardins
rompt avec l’image d’un Emmanuel Macron présenté depuis deux ans comme
partisan d’une pacification des questions sur la laïcité, rompant ainsi
avec la position radicale d’un Manuel Valls notamment. Cette image avait
rassuré certain.e.s à l’heure d’aller aux urnes, qui y voyaient une
forme de neutralité moderne bienveillante. Le Jupiter autoproclamé vient
de la faire exploser consciemment dans un moment paroxystique d’hybris
spirituelle où le chef de l’État français s’est transformé en un
prédicateur volubile, toujours plus persuadé de la puissance de son
verbe profondément empreint d’un catholicisme à la fois de circonstance
et de conviction.
C’est là l’expression d’une stratégie de
gouvernement basée sur la segmentarisation : Macron parle en tant que
croyant aux catholiques, comme il parle aux patrons en tant que
banquier. Il veut montrer qu’il partage les mêmes références
intellectuelles, les mêmes valeurs, les mêmes inquiétudes et cherche à
rassurer des groupes sociaux, pourtant parmi les moins menacés de notre
société. Le résumé de son discours pourrait être, en paraphrasant Jean
Paul II, « n’ayez plus peur ». Comme si les catholiques français avaient
peur... Macron adopte alors le mode de l’empathie et, au mépris de la
diversité des catholiques de France, reprend à son compte une
interprétation du passé et du présent qui n’est pourtant soutenue que
par une minorité d’entre eux.
Au-delà de la posture d’imitation
cléricale impropre à la fonction présidentielle et des stratégies
électoralistes à l’œuvre dans sa volonté de faire corps avec les
catholiques français, ce discours témoigne d’une lecture spécieuse et
partisane de l’histoire de la France. Macron fait le constat d’un lien «
abimé » entre l’Église catholique et l’État français, dont les rapports
seraient plein de « défiance » et de « malentendu ». Pourtant ce
constat n’a rien d’une évidence, voire est un énorme contresens face à
la réalité historique, sociale et institutionnelle. L’Église française,
ses instances dirigeantes et les diverses communautés catholiques ont,
tout au long de la Ve République, été des objets d’attention spécifiques
des gouvernants français, dans leur grande majorité eux-mêmes
catholiques.
Ce discours révèle une interprétation inquiétante
de l’histoire de France. Le long processus de sécularisation aurait eu
pour but d’« éliminer la tradition chrétienne » ce qui est
historiquement et intellectuellement fallacieux, puisque la
sécularisation est l’intégration des discours religieux sous d’autres
formes, sans en modifier pour autant le fond. Par ailleurs, on se
demande à quel moment l’Église s’est installée « hors les murs » de la
cité en France, tant les clercs catholiques ont joué, selon diverses
modalités, un rôle non négligeable dans la société et la politique
française des dernières décennies. Il s’agit là de la construction d’une
« légende noire » de la laïcité française qui pose un grave problème
quand elle est énoncée au sommet de l’État.
Macron veut
contribuer à restaurer l’Église comme autorité morale centrale et
nécessaire dans la société française. Lui pour qui l’humanisme n’est
rien d’autre qu’un catholicisme en appelle à l’« alliance des bonnes
volontés », faisant du catholicisme la base même de son mouvement
politique. Cherchant à capter les dynamiques catholiques, il insiste sur
l’engagement social de chacun lequel doit produire une fraternité qui
ne serait pas du ressort de l’État. L’insistance sur la nécessité de
l’engagement des catholiques contraste avec les coups portés au même
moment à ceux qui s’engagent ailleurs. Car ce qui plaît dans
l’engagement catholique, c’est son « humilité », terme qu’il répète sans
cesse, cette humilité qui produit la soumission et l’obéissance.
Macron
renvoie la laïcité à une distinction, éminemment catholique, entre le
spirituel, incarné ici par l’Église et le temporel, incarné par l’État
qu’il dirige, comme s’il n’y avait pas de spiritualité, de morale
sociale et de valeur individuelle et collective portée par l’idéal
républicain et démocratique, sous ses diverses formes. C’est là sans
doute sa grande rupture et sa grave erreur d’interprétation de la
laïcité. Il n’y a chez Macron de transcendance que dans le religieux, en
l’occurrence le catholicisme. Ainsi il renoue avec une vieille
tradition du catholicisme patronal du XIXe siècle, teinté
d’individualisme propre à l’ultra libéralisme contemporain. Son «
humanisme réaliste » délègue la construction du bien commun à la charité
catholique bien ordonnée, c’est-à-dire peu dérangeante pour l’ordre
social et politique. Ce discours fait du catholicisme le substrat
spirituel qui manque à l’idéologie de la « start up nation », son
supplément d’âme, damnée. Or, s’il y a bien un « nihilisme » prégnant
dans la société française, c’est bien plutôt celui qui nie l’histoire et
l’actualité des luttes sociales et politiques et leur capacité à donner
du sens.
Blaise DUFAL, historien, membre du CVUH
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