vendredi 2 mars 2007

Résolution et Recommandations sur « La nécessité d’une condamnation internationale des crimes des régimes communistes totalitaires » . Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Rapporteur M. Göran Lindblad, Groupe du Parti populaire européen. par Bernard Pudal (Université de Paris 10)


L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe vient d’adopter une résolution sur « la nécessité d’une condamnation internationale des crimes des régimes communistes » (99 pour, 42 contre, 12 abstentions) tout en rejetant les recommandations qui l’accompagnaient (il aurait fallu une majorité des 2/3 qui n’a pas été atteinte). Cette résolution est organisée autour de deux idées principales : « les régimes communistes totalitaires qui étaient en place en Europe centrale et orientale au siècle dernier, et qui existent toujours dans plusieurs pays du monde, ont été marqués sans exception par des violations massives des droits de l’homme ». Ces violations sont déclinées ainsi : assassinats, exécutions, décès dans les camps de concentration, mort par la faim, déportations, torture, travail forcé et d’autres formes de terreur physique collective. (dans l’exposé des motifs le rapporteur proposait une quantification provisoire de presque 100 millions, probablement inférieure à la réalité disait le rapporteur).
La deuxième idée de la résolution consiste à proposer une interprétation des faits : « les crimes ont été justifiés au nom de la théorie de la lutte des classes et du principe de la dictature du prolétariat.L’interprétation (mis en italique par moi) de ces deux principes rendait légitime « l’élimination » des catégories de personnes considérées comme nuisibles à la construction d’une société nouvelle et, par conséquent, comme ennemies des régimes communistes totalitaires ».
Il faut sans doute être attentif à ces formulations dans la mesure où elles semblent traduire un compromis au sein de la commission (auquel le rapporteur fera allusion en indiquant que son rapport « a été longuement discuté avant d’être adopté par la commission à l’unanimité »).
L’actualité de la résolution et des Recommandations est justifiée par le nécessaire travail de mémoire et l’éducation des jeunes générations. Les Recommandations visaient essentiellement cet aspect du problème en proposant colloques, débats, commission indépendante d’experts, modifications des manuels scolaires, etc. Pour le rapporteur, il y a urgence dans la mesure où, à la différence des crimes nazis et de la Shoah, les crimes des régimes communistes totalitaires n’ont pas bénéficié du même intérêt public. Il y aurait du « retard » dans la pédagogie de cette histoire là. Le rapporteur en effet, dans son exposé des motifs, mentionne les nombreuses raisons et facteurs qui participent à « freiner », à « retarder », la condamnation pour laquelle il milite :
« l’absence de condamnation internationale peut s’expliquer en partie par l’existence de pays dont les gouvernements adhèrent toujours à l’idéologie communiste. Le souhait de maintenir de bonnes relations avec certains d’entre eux peut dissuader certains acteurs politiques de traiter ce sujet difficile. En outre, de nombreuses personnalités politiques encore en activité ont soutenu, d’une manière ou d’une autre, les régimes communistes. Il existe dans beaucoup de pays européens, des partis communistes qui n’ont pas formellement condamné les crimes du communisme. Enfin, et ce point de vue n’est pas le moins important, des éléments de l’idéologie communiste, comme l’égalité ou la justice sociale, continuent à séduire de nombreux membres de la classe politique, qui craignent que la condamnation des crimes communistes ne soit assimilée à une condamnation de l’idéologie communiste ». D’où la formulation selon laquelle ce sont les « interprétations » de l’idéologie communiste qui sont condamnables... Il faut cependant, on en conviendra, une lecture symptômale bien attentive pour déceler dans le projet de résolution cette « irrésolution » toute relative de certains membres de la commission...
De même, la résolution ne reprend pas tout à fait à son compte l’idée que nazisme et communisme relèvent d’un même type de régime politique, « le totalitarisme », mais, en usant de la forme adjectivale, « les régimes communistes totalitaires », elle fait fonctionner la catégorie comme présupposé analytique. Là encore, l’exposé des motifs était plus clair : « L’idéologie communiste, partout et à toutes les époques où elle a été mise en oeuvre, que ce soit en Europe ou ailleurs, a toujours débouché sur une terreur massive, des crimes et des violations des droits de l’homme à grande échelle. Quiconque analyse les conséquences de l’application de cette idéologie ne peut que constater des analogies avec les effets de la mise en pratique d’une autre idéologie du 20ème siècle, le nazisme. En dépit de leur hostilité mutuelle, ces deux régimes ont en commun un certain nombre de caractéristiques ».
Dans la discussion à l’Assemblée parlementaire, M. Van den Brande a défendu un amendement demandant « que l’on évite toute confusion en s’abstenant d’une référence au nazisme », amendement qui a été rejeté.
Il est vraisemblable par conséquent que des oppositions se sont manifestées, au sein de la commission, à la ligne argumentative défendue par le rapporteur : communisme et nazisme = deux variantes du « totalitarisme » inhérentes à leurs « idéologies respectives », le tout constituant un « ensemble » lié qui implique que tous deux soient également condamnés.
Pour tout spécialiste de l’historiographie du communisme, ces différences d’interprétation renvoient aux débats et controverses relatifs aux « paradigmes » mis en oeuvre pour rendre compte de l’histoire du/des communisme(s). La résolution milite clairement pour « une » interprétation du communisme (une interprétation totalitarienne) au détriment de celles - qui sont nombreuses - qui, soit récusent, soit limitent l’emploi de ce concept.
En assujettissant les débats publics et les recherches à une interprétation préalable du phénomène « à comprendre », la Résolution et les recommandations cherchent à enrôler ceux qui, parmi les historiens, défendent une interprétation conforme à son projet de pédagogie politique. Il n’est guère étonnant par conséquent que Jean-Louis Margolin et Nicolas Werth, deux des auteurs du Livre noir du communisme (1997) déplorent dans Le Monde du 3 février que les recommandations n’aient pas été adoptées et imputent pour partie au rapporteur lui-même une part de responsabilité dans leur rejet. Leur analyse critique des justifications du rapporteur est tout à fait pertinente : en soulignant que l’évocation « des éléments de l’idéologie communiste » que sont l’égalité et la justice sociale est une « maladresse » (c’est sans doute le moins que l’on puisse dire), que les chiffres des victimes sont « généralement surévalués », que les archives sont bien plus ouvertes que ne le donne à penser le rapporteur, qu’il est discutable de leur point de vue que le terme de « génocide » soit utilisé à propos de l’URSS et qu’enfin, en analysant les crimes du communisme comme « la conséquence de politiques délibérées conçues par les fondateurs de ces régimes avant même qu’il ne parviennent au pouvoir » le rapporteur fait un « raccourci hasardeux dans une question complexe, surtout pour le cas prototype du bolchevisme russe », ils mettent à jour la position spécifique du rapporteur. Mais en concluant que des écrits de M. Lindblad, il ressort que « la nécessaire critique du communisme est trop importante pour être laissée à des anticommunistes un peu trop professionnels », ils font aussi acte de candidature pour une expertise plus savante, moins idéologisée, associée néanmoins à un projet politique, « la nécessaire critique du communisme » (le titre de leur point de vue est « Retour sur le communisme d’Etat »).
On notera donc pour conclure qu’il est pour le moins curieux qu’une résolution et un rapport qui prétendent qu’il est plus que tout nécessaire de faire oeuvre de « vérité », dans le but d’éduquer les « jeunes générations », ne puissent le faire qu’en usant d’une rhétorique essentiellement animée par la volonté de masquer les conflits d’interprétation qui, de la communauté des spécialistes aux acteurs politiques, se manifestent sur le sujet. Bien entendu, cette opération d’effacement de pans entiers de la recherche se fait principalement au profit d’une famille d’interprétation, la famille « totalitarienne ». Puisque le rapporteur en appelle à une nécessaire action pédagogique, que celle-ci soit fondée sur la reconnaissance des conflits d’interprétation, sur l’explicitation des controverses. Il n’est pas interdit de penser que c’est précisément cette façon de faire - et elle seule - qui serait « instructive » et participerait à diffuser une conception de l’histoire plus critique. De ce point de vue, on ne peut que souhaiter une démarche collective des historiens et spécialistes du communisme afin d’éviter que, sous prétexte d’un travail de mémoire et éducatif auquel il peut être souhaitable de participer, ne soit indûment privilégiées les analyses les plus en affinités avec tel ou tel camp politique.

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