"A bientôt deux semaines du vote de la loi tendant à réprimer la contestation de l’existence du génocide arménien, quelle action concrète le CVUH prévoit-il ?
J’ai écouté avec attention le débat auquel a participé notamment MMe Riot-Sarcey lors des Rendez-Vous de l’Histoire de Blois et aucune proposition concrète n’a été - me semble-t-il - émise. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Je vous remercie par avance de votre réponse.
Marie-Noëlle Gairaud-Deschamps, enseignante dans le secondaire
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Si le CVUH s’est prononcé très rapidement contre la loi du 23 février, relative au passé colonial de la France, cela ne signifie pas que notre comité ait une réponse univoque à toutes les lois car l’objet de notre intervention dépasse largement le cadre étroit de la législation, fut-elle référenciée historiquement. Dès notre fondation, nous nous sommes prononcés sur l’histoire et son écriture, sous de multiples formes, qui peut être la préoccupation de tous et de toutes. Nous souhaitions avant tout intervenir contre une instrumentalisation qui ne respecte aucune historicité des événements passés mais use et mésuse de son interprétation en brandissant le drapeau de la vérité, sans l’interroger. Si la recherche et l’enseignement sont du seul ressort des historiens, dont la liberté doit rester totale, le rapport au passé ne leur appartient pas en propre. En ce qui concerne le débat sur les lois mémorielles, les historiens n’en sont ni les seuls arbitres, ni les juges suprêmes. Le rôle de l’histoire - c’est ce que j’ai tenté d’expliquer à Blois -, est de restituer les enjeux du passé, en les distinguant des enjeux du présent.
Et si la Représentation Nationale, pour des raisons politiques, pense nécessaire de légiférer pour protéger les citoyens ou reconnaître les erreurs de la République d’hier dont elle est directement l’héritière, c’est l’affaire de tous les citoyens. J’ajoute, en mon nom personnel, que si lois mémorielles il y a, (je pense en particulier à la loi Taubira et à la loi sur le génocide Arménien), c’est que les historiens ont peut être insuffisamment travaillé à faire entendre, au moment des faits, la voix des vaincus et la conflictualité - au sens large du terme -, dans laquelle les protagonistes étaient plongés. L’objectivité apparente ne règle rien, c’est de double, voire multiples subjectivités dont il s’agit de rendre compte. Enfin, les lois ne se ressemblent pas et leurs objectifs sont souvent différents, leurs visées conjoncturelles ou issues d’un long processus de réflexions collectives. Notre rôle est d’abord et avant tout d’éclairer le public sur les enjeux que représentent ces lois : enjeux politiques mais aussi, et là est notre tâche principale, enjeux historiques, en rappelant précisément la façon dont les conflits se sont déroulés, ce qui a été immédiatement masqué, l’interprétation qui l’a emporté, au point que nombre de voix furent réduites au silence. Ces voix font actuellement retour par l’intermédiaire de la mémoire, individuelle ou collective. Ces mémoires sont multiples, souvent reconstruites. Quoiqu’on pense de la forme dans laquelle elle se présente ; elle signifie quelque chose qu’il nous importe de mettre au jour.
Enfin, en ce qui concerne la proposition de loi socialiste, l’enjeu électoral est patent, personnellement je pense que c’est une maladresse inutile.
Mais cette maladresse est aujourd’hui utilisée pas les partisans de "la liberté pour l’histoire" qui considèrent désormais que toute loi menace les historiens, ce qui est faux (en quoi la loi Gayssot menace-t-elle les historiens dignes de ce nom ? Faut-il rappeler que si la vérité historique est toujours une quête permanente des historiens, il y a des faits incontestables et incontournables). Publiquement les pétitionnaires de la "liberté pour l’histoire" font croire à leur hostilité à toutes les lois. Permettez-moi de vous rappeler que la plupart des signataires (à l’exception de deux d’entre eux) sont restés silencieux lors du vote de l’article 4 de la loi du 23 février. Ils se sont réveillés au moment de l’affaire Pétré-Grenouillau. Ce qu’ils souhaitent, sans l’avouer ouvertement, c’est d’abord, de mettre en échec la loi Taubira qui a le mérite (même si on peut regretter, tel ou tel alinéa) de reconnaître enfin les méfaits de l’esclavage et de la traite.
Il ne m’a pas été possible de développer tout ceci à Blois tant l’hostilité à l’encontre de tout point de vue critique était manifeste. "Eux" qui ont largement servi le pouvoir en place se sentent mal entendus malgré leurs interventions répétées auprès des responsables politiques. Ce n’est pas la recherche qui compte pour les initiateurs de la pétition mais l’audience politique et le pouvoir qu’ils exercent dans l’institution universitaire. Heureusement, notre initiative a de plus en plus d’échos. "Ils" devront désormais compter avec l’esprit critique qui nous anime.
Michèle Riot-Sarcey
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Bonjour,
Effectivement, je comprends parfaitement qu’avant de traiter (voire d’instrumentaliser) la/les conséquence(s), il s’agit d’analyser la/les cause(s) de l’inflation de certaines des "manifestations mémorielles" qui sont, en fait, l’un des reflets de la demande d’une histoire qui existe mais qui est restée si ce n’est confidentielle du moins limitée ou qui a été mal diffusée auprès du "grand public". Cette diffusion imparfaite voire inexistante qui relève notamment de décisions éditoriales ou étatiques - entre autres par les choix faits dans les programmes scolaires - est l’une des raisons qui amènent certaines communautés à se faire entendre (avec de bons ou de moins bons motifs) sur la scène publique. Soit et même tant mieux.
Ceci étant, aussi indispensable cette analyse soit-elle ne doit-elle pas s’accompagner, parallèlement, d’une extrême vigilance face à l’immixtion récurrente du pouvoir législatif dans les dires, les faire et les écritures de l’Histoire ?
Si toutes les lois évoquées au cours du débat du 15 octobre dernier à Blois ne peuvent être traitées sur le même plan car demandant chacune une analyse singularisée, la dernière proposition de loi faite le 12 octobre ne nécessite-t-elle pas une réaction, d’abord, des citoyens que nous sommes mais citoyens d’autant plus concernés que nous sommes attachés à l’Histoire ?
Je m’inquiète (naïvement ?) d’une société dans laquelle le pouvoir législatif pour des motifs plus ou moins louables s’immisce ainsi dans le débat historique. C’est pourquoi j’attendais beaucoup (trop ?) du débat du 15 octobre dernier et en suis sortie avec le sentiment que le(s) désaccord(s) au sein de la communauté des Historiens nuisaient à un combat dans lequel leurs points communs et surtout l’urgence de la situation m’apparaissaient devoir, dans certaines circonstances, dépasser les divergences. D’où ma question posée tant au CVUH qu’au groupe "Liberté pour l’Histoire" il y a quelques semaines.
Cordialement,
Marie-Noëlle Gairaud-Deschamps, enseignante dans le secondaire
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