jeudi 8 mars 2007

Le savant et le rienologue par Christine Peyrard (professeur d’histoire moderne à l’Université de Provence)



Demande de droit de réponse au Monde des Livres, 20 février 2006.
La lecture dans le Monde des Livres du 10 février d’un compte-rendu d’ouvrages sous le titre : "Plusieurs ouvrages reviennent, avec un bonheur inégal, sur la période révolutionnaire" par Monsieur Catinchi provoque une vive indignation dans la communauté scientifique.
Qu’un illustre savant, comme Michel Vovelle, fasse l’objet d’une caricature grossière, à propos de la parution de son dernier livre : La Révolution française expliquée à ma petite fille, Paris, Le Seuil, 2006, ne peut pas être tolérée sans droits de réponse, ni sans évoquer la figure balzacienne du "rienologue".
Jadis, Balzac, dans sa Monographie de la presse parisienne dénonçait la toute puissace et la vanité vénale des journalistes de son temps en élaborant une typologie des journalistes. Ainsi, le riénologue, selon Balzac, "étend une idée d’idée dans un baquet de lieux communs et débite mécaniquement cette effroyable mixtion philosophico-littéraire dans des feuilles continues. La page a l’air d’être pleine, elle a l’air de contenir des idées ; mais quand l’homme instruit y met le nez, il sent l’odeur des caves vides. C’est profond, et il n’y a rien : l’intelligence s’y éteint comme une chandelle dans un caveau sans air. Le Rienologue est le dieu de la Bourgeoisie actuelle ; il est à sa hauteur, il est propre, il est net, il est sans accidents. Ce robinet d’eau chaude glougloute et glouglouterait in soecula soeculorum sans s’arrêter (...)". L’axiome balzacien, relatif à cette catégorie de journalistes, était : "Moins on a d’idées, plus on s’élève."
Certes, mais l’ignorance de l’auteur du compte-rendu sur l’historiographie révolutionnaire est consternante : il parle de "purgatoire" après le Bicentenaire de 1789 (dont le président François Mitterrand avait confié la direction scientifique à Michel Vovelle) parce qu’il n’a jamais lu tant d’ouvrages majeurs qui ont paru depuis, comme La Découverte de la politique. Géopolitique de la Révolution française de Michel Vovelle aux éditions de La Découverte en 1993, ni rendu-compte des colloques internationaux qui ont été organisés dans nombre d’universités et dont les actes ont été publiés comme, par exemple, La Révolution française au carrefour des recherches, Aix-en-Provence, PUP, 2003, dont Michel Vovelle a rédigé la préface. Car notre rienologue a son manuel, c’est La Révolution française de F. Furet et D. Richet, paru en 1965 - il y a plus de quarante ans (et non "trente" : si l’on veut relever toutes les coquilles que nous laissons dans nos ouvrages, le rienologue doit éviter cet écueil) et un bréviaire Penser la Révolution française de François Furet dont la première édition date de 1978. Avec des références aussi historiquement datées, comment peut-il traiter d’"archaïque" l’historiographie illustrée par les noms de "Mathiez, Lefebvre et autres Soboul" ? Sur la question religieuse, sur la Grande Peur, sur les Sans-Culottes et tant d’autres sujets : oui, nous relisons tous Mathiez, Lefebvre, Soboul et...Jaurès, et Aulard - que notre rienologue doit comprendre dans sa recension avec son méprisant : "et autres". Et que dire de sa question stupide : "Toute personne qui signe sait-elle lire et écrire ?", sinon inviter notre rienologue à se plonger dans l’excellent article que Michel Vovelle consacrait à ce sujet dans la en 1975, sous le titre : "Y a-t-il eu une révolution culturelle au XVIII° siècle ? Culture populaire et alphabétisation en Provence", repris dans De la cave au grenier. Un itinéraire en Provence au XVIII° siècle. De l’histoire sociale à l’histoire des mentalités, du même auteur, Québec, Serge Fleury éditeur, 1980. Devant tant de misère intellectuelle, on sent vraiment "l’odeur des caves vides" que respirait Balzac dans les papiers des rienologues de son temps.
Mais laissons notre riénologue à la récitation de son vieux bréviaire et au remboursement de ses dîners en ville, et venons-en à cette épatante collection que Le Seuil a lancée avec un vrai bonheur pour tous nos élèves de collège et de lycée. Pour un savant d’une telle envergure nationale et internationale comme Michel Vovelle qui, par ailleurs, a reçu un très large hommage collectif et public de la communauté scientifique, à la BNF en juin 2004, organisé par la Société américaine d’histoire française (cf. French Historical Studies), c’était une gageure que de composer cet ouvrage, avec l’aide de sa merveilleuse petite fille Gabrielle. Et, pour tout enseignant-chercheur qui, comme moi enseigne depuis trente ans la Révolution en collège, puis à l’université, c’est vraiment un très beau livre que cetteRévolution française expliquée à ma petite fille. Comment transmettre à la génération suivante notre passion de l’Histoire avec autant de générosité, de science et de nuances que celle que nous avons reçue ? C’est une question qui, pour nous, enseignants et chercheurs, est toujours présente. Et quand on a eu la chance d’être formée par Michel Vovelle, on mesure sans cesse l’immensité de cette tâche. Pour le reste, oui, l’action de Louis XVI est "un mauvais coup" contre les Français ; oui, les élèves de France, d’Italie et d’ailleurs sont très sensibles à la question de la pauvreté, des inégalités sociales et de la misère ; non, il n’y a aucun manichéisme dans le récit de la Révolution que Michel Vovelle propose dans ce livre, comme dans tous les autres.
Aux lecteurs du Monde de le découvrir et de l’offrir à leurs enfants, petits-enfants ou neveux : ils apprendront les diverses séquences de la Révolution française et découvriront le bonheur de la lecture et le goût de l’Histoire.

Premières signatures de soutien à ce texte :


Nathalie Alzas (pr. agrégé)
Cyril Belmonte (Univ. de Provence)
Michel Biard (pr. Univ. de Rouen)
Yannick Bosc (IUFM de Créteil)
Françoise Brunel (Univ. de Paris I)
Gilbert Buti (Univ. de Provence)
Gilles Candela (pr. agrégé)
Irène Castells (Univ. autonome de Barcelone, Espagne)
Jean-Luc Chappey (Univ. de Paris I)
Marc Deleplace (IUFM de Reims)
Catherine Duprat (pr. Univ. de Paris I)
Gérard Dufour (pr. Univ. de Provence)
Gilles Feyel (pr. Univ. Paris II)
Florence Gauthier (Univ. de Paris VII)
Jocelyne George (historienne)
Jacques Guilhaumou (dr. CNRS-Lyon)
Dominique Godineau (Univ. de Rennes)
Jean-Pierre Jessenne (pr. Univ. Lille III)
Anne Jollet (Univ. de Poitiers)
Martine Lapied (pr. Univ. de Provence)
Elisabel Larriba (pr. Univ. de Provence)
Brigitte Lion (Univ. de Paris I)
Elisabeth Liris (pr. agrégé)
Dominique Margairaz (pr. Univ. de Paris I)
Sarah Maza (pr. Univ. Northwestern, Etats-Unis)
Pierre Pasquini (pr. agrégé)
Francis Pomponi (historien)
Danièle Pingué (Univ. de Besançon)
Sylvie Pittia (pr. Univ. de Reims)
Anna-Maria Rao (pr. Univ. Frédéric II, Naples, Italie)
Catherine Robin
Lluis Roura (pr. Univ. autonome de Barcelone, Espagne)
Eric Saunier (Univ. du Havre)
Lucie Soboul
Anne-Marie Sohn (pr. ENS-LSH)
Donald Sutherland (pr. Univ. du Maryland, Etats-Unis)
Eric Wauters (pr. Univ. du Havre)...

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