samedi 21 mars 2020

Le monde d’après demain


Plus que jamais il est aujourd’hui nécessaire de raviver les espoirs d’hier. Rappelons que l’idée d’émancipation « du peuple et des femmes » dans les années 1830 était un mot d’ordre d’actualité que reprenaient les journaux de l’époque. La liberté pouvait alors guider le peuple. En ces temps de confinement, l’auto-organisation, l’entraide, la réflexion collective pourraient redonner sens à la démocratie vraie que revendiquaient les quarante-huitards comme les communards. Redonnons-vie à la fraternité qui fut un temps synonyme de communisme.


La tribune ci-dessous, de Michèle Riot-Sarcey et Jean-Louis Laville, a été publiée dans Libération le 17 mars 2020.
 

Symptôme des dysfonctionnements de tous ordres, dus à l’exploitation excessive de la nature et des hommes, la pandémie actuelle est suffisamment grave pour nous inciter à réfléchir collectivement sur le devenir des sociétés. Partout dans le monde, de récentes insurrections ont traduit l’exaspération montante tandis que les alertes des scientifiques par leurs appels à la désobéissance civile montraient l’urgence d’un changement planétaire.

En Europe malgré les dénonciations des salarié.es, les grèves longues, à répétition, malgré les contre-propositions des organisations syndicales, des médecins, des infirmier-ères, malgré les menaces de démissions des différents responsables, la lutte contre les politiques de démantèlement des services public, a été perdue. Toutes ces demandes pourtant réalistes se sont heurtées à une fin de non-recevoir de la part des pouvoirs, au nom de la compétition internationale. Et plutôt que le débat public, les gouvernements de la plupart des pays ont choisi de réprimer des mouvements de protestations.

Depuis des années, les États occidentaux ont choisi de mettre en œuvre les directives néolibérales en généralisant la privatisation, et la précarisation des emplois, n’épargnant aucun secteur, des hôpitaux à l’éducation. En poursuivant, les politiques de consommation à outrance, y compris énergétiques, tous ont contribué à détériorer durablement la Terre et à mettre en péril la vie des très nombreuses espèces. En France, dans ses dernières interventions le président de la République redécouvre, après l’avoir défait, le bien-fondé de l’Etat providence, c’est dire le désarroi actuel des hommes qui nous gouvernent.

Assez de mensonges, assez de discours trompeurs laissant croire qu’il n’y avait pas d’alternative possible et que nous étions condamnés à vivre dans un monde tel qu’il est. Nous ne pouvons rester prisonniers des promesses régulièrement renouvelées et jamais réalisées d’un système dont la logique empêche la prise en compte des exigences d’une transition digne de ce nom. Si celle-ci est sans cesse renvoyée à plus tard c’est que les lobbies exercent une influence continue auprès des responsables politiques sous prétexte d’une soi-disant nécessité économique, voire de chantage à l’emploi.

Or, cette financiarisation et cette mondialisation se voyant inexorables et toutes puissantes révèlent aujourd’hui leur fragilité autant que leurs méfaits. Il n’est pas concevable de rester tétanisés par l’effondrement et d’écouter dans la peur les nouvelles du désastre. Il serait possible de rassembler les forces critiques qui s’opposent aux courants dominants pour réaffirmer le refus de cet ordre du monde qui nous amène tout droit à la catastrophe.

Il est temps d’agir et de réfléchir ensemble, en associant tous les projets et contre-propositions qui ont été faites par les professionnels de santé, les climatologues, et bien d’autres acteurs qui depuis des mois informent sur les risques encourus liés aux orientations irresponsables que suivent les gouvernements en matière de climat et de santé. Il est temps d’agir et de réfléchir ensemble à un autre monde possible, de se concerter en construisant une véritable alternative, à l’échelle locale en particulier, à la manière des gilets jaunes afin de reconsidérer entièrement nos pratiques et de réinterroger nos références traditionnelles. Il est temps de lire les nombreux ouvrages qui depuis des lustres nous éclairent sur tout ce qui menace la planète  et de reprendre les contre-projets de réformes dans l’éducation nationale, les hôpitaux, d’imaginer d’autres formes de production de repenser entièrement la subsistance et le bien vivre de chacune et de tous au quotidien…

Il est temps enfin d’écouter tous ceux et celles qui depuis des années montrent l’exemple, d’une vie différente, d’une société sans domination. Des initiatives collectives existent de par le monde, « petites » inventions méprisées jusqu’ici par les « grands » décideurs. Dans tous les continents des associations sont en plein essor, les voies d’une autre forme d’économie coopératives sont explorées ; l’heure est à l’essor de ces expériences. Contre les positions de surplomb, il importe de rassembler, de discuter, de synthétiser tous ses efforts qui contribuent à construire le monde d’après demain et à ne pas se morfondre dans la contemplation du naufrage de celui d’hier. La croyance en une technologie mythifiée a conduit à l’homme falsifié.

Le retour d’une vie réellement humaine est possible à condition de rompre avec l’individualisme en réhabilitant la solidarité comme la fraternité. Résistons non pas individuellement mais collectivement par l’entraide et la réflexion à plusieurs, en particulier dans cette période de confinement.

Michèle Riot-Sarcey, Jean-Louis Laville,
Auteur.es du Réveil de l’utopie, éditions de l’Atelier, 2020

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