jeudi 4 mars 2010

La réforme des lycées contre les sciences sociales par Laurence De Cock, Philippe Olivera, Marjorie Galy, Sylvain David

Quelques principes de vigilance à propos de la place faite à l’histoire-géographie et aux sciences sociales en général dans les lycées qui se prépare.



[Ce texte est à paraître dans les Cahiers d’histoire d’avril 2010]
La réforme présentée par Luc Châtel est de bien mauvais augure pour l’enseignement de l’histoire-géographie au lycée et celui des sciences humaines et sociales (SHS) en général. Contrairement à la grande envolée médiatique qui a suivi l’effet d’annonce ministériel, le problème est loin de pouvoir se limiter à la suppression du caractère obligatoire de l’histoire-géographie en Terminale scientifique. Concentrer l’attention sur ce dernier point révèle un point de vue pour le moins réducteur et élitiste. Car l’enjeu de la réforme en cours est beaucoup plus lourd de sens pour l’avenir de nos disciplines. Nous proposons ici une lecture aussi large que possible des multiples enjeux que soulèvent les différents axes de l’opération rondement menée par le ministère Châtel contre les SHS au lycée.
La décision de rendre optionnelle l’histoire-géographie en TS est présentée comme une volonté de valoriser les autres filières, de mieux préparer les lycéens aux carrières scientifiques et, plus globalement, d’articuler davantage le secondaire au supérieur. Ici, le ministère se livre à une communication mensongère. À première vue, qui pourrait sérieusement s’opposer à un objectif aussi urgent que louable ? Mais cette justification semble ignorer totalement que nombre de bacheliers scientifiques s’orientent ensuite vers des études où l’histoire et la géographie occupent une place non négligeable, les classes préparatoires littéraires ou commerciales, les IEP, et évidemment les Universités.
Il est vrai que la question de l’articulation entre le lycée et l’Université est posée par la réforme qui insiste sur la nécessité de consacrer l’année de terminale aux « outils et méthodes » afin de préparer l’entrée à l’université. Objectif là encore plutôt louable à première vue. Mais le cloisonnement entre le Supérieur et le Secondaire est tel qu’il n’est pas étonnant qu’il n’existe, à ce jour, aucune concertation sur une éventuelle continuité pédagogique. L’effet d’annonce ministériel ne vise donc qu’à vanter les compétences « méta-universitaires » des professeurs de terminale, mais l’objectif de renforcement des relations entre lycée et Université n’est à ce jour qu’une pure déclaration de principe. Notons que les taux d’échec ne sont pas si élevés à l’université si on ne retient que les bacheliers généraux mais qu’ils explosent lorsqu’on intègre les bac professionnels et technologiques. C’est donc donc un piètre prétexte de réformer les séries générales pour répondre à l’échec dans certaines licences.
En outre, le haro jeté sur certaines disciplines par cette réforme laisse à penser que l’écriture des nouveaux programmes est loin d’avoir appliqué un quelconque objectif de continuité avec le supérieur. C’est surtout le cas des Sciences économiques et sociales (SES), mais aussi de l’histoire-géographie. On commencera par noter la rapidité « historique » de l’écriture de nouveaux programmes (par un procédé déjà utilisé en 2008 pour le primaire) et le court-circuit volontaire des instances traditionnelles de délibération et de régulation : composition précipitée d’une commission restreinte d’experts, audiences formelles des associations et syndicats, consultation des enseignants pendant la période de congés d’hiver s’étalant sur quatre semaines, mainmise continue du ministère sur l’avancement du groupe d’experts... tout cela alors que les programmes sont déjà aux mains des éditeurs qui ont lancé la préparation de leurs nouveaux manuels (preuve, s’il en était besoin, que les remontées de la consultation colleront forcément au projet initial, CQFD). Traditionnellement, l’élaboration d’un programme s’étend sur près d’un an et demi. On pourra penser que les programmes n’ont été modifiés qu’à la marge, mais l’analyse qui suit prouve qu’il n’en est rien et que c’est d’une véritable refonte (dans la forme et sur le fond) dont il s’agit. Les Sciences Economiques et Sociales sont reléguées, en seconde, à un statut optionnel d’« enseignement exploratoire », d’une durée réduite à 1h30 par semaine. Le programme est recentré sur les outils de la microéconomie au détriment de l’analyse macroéconomique et des autres sciences sociales. Il s’agit donc d’un net recul en termes de pluralisme théorique. Par exemple, "l’entreprise", acteur au coeur de l’actuel programme de SES de seconde, ne sera traitée que sous l’angle formalisé de ses courbes d’offre et de coûts. Exit l’investissement et l’innovation, le capital et le travail, les enjeux du partage de la valeur ajoutée, exit aussi les relations sociales et professionnelles. L’entreprise, telle qu’elle serait enseignée avec le nouveau programme piloté par le ministère, est une entreprise a-temporelle et a-sociale, sans travail, sans relations sociales de coopération ou de conflits ; bref une entité abstraite et réifiée qui évolue dans un univers débarrassé de toute institution, non encastrée dans des rapports sociaux historiques. La sociologie, quant à elle, se voit reléguée au rang d’accessoire, supplément d’âme d’un économisme omnipotent. (1). Cette volonté de scission entre « Economie approfondie » et « Sciences sociales » est actée en terminale. Elle entérine, via l’un des membres du haut conseil de l’éducation, Michel Pébereau, Président du Conseil de Surveillance de BNP-Paribas et de l’Institut de l’entreprise, les positions défendues régulièrement par certains milieux patronaux, partisans acharnés d’un enseignement normalisé où les sciences sociales seraient dissociées pour se concentrer sur l’apprentissage des « fondamentaux » de l’économie, avec une préférence marquée pour la microéconomie et la seule économie d’entreprise. Qu’on ne se méprenne pas. La préférence des enseignants de SES, pour des programmes qui partent des questions socialement vives plutôt que d’une juxtaposition propédeutique des outils de l’économie et la sociologie tels qu’ils sont enseignées à l’université, est fondée sur leur expertise en matière pédagogique. Dans la classe, devant leurs élèves, ils savent qu’il faut d’abord susciter l’appétence et l’envie de savoir par la formulation de "problèmes" qui parlent aux élèves : l’avenir de notre système de retraite par répartition, les rapports que la société entretient avec sa "jeunesse", le rôle ambigu de l’école dans la réussite sociale des individus, la tension entre la montée de l’actionnariat et la recomposition du salariat, les causes et mécanismes de la crise des sub-primes, les inégalités salariales entre hommes et femmes, la possibilité de concilier nos modes de vie et la protection de l’environnement, la complexe question de la définition d’une "identité nationale" etc. Autant de thématiques pour lesquels des lycéens ont des représentations et des besoins de compréhension que les SHS au lycée aident à mieux appréhender. Nos élèves sont alors enclins à fournir les efforts intellectuels nécessaires pour accéder aux outils, théories et mécanismes économiques ou sociologiques qui leur permettront d’accéder à la complexité. Cette démarche, commune à de nombreuses disciplines scolaires, a fait ses preuves en SES si l’on en juge par le développement ininterrompu des effectifs lycéens en séries ES et par la bonne réussite des bacheliers ES dans une large palette d’études supérieures. C’est aussi cet acquis pédagogique que la réforme Chatel tente de détruire. Nous pouvons craindre qu’ainsi "enseignée", les SES se transformeront en repoussoir des connaissances économiques et sociologiques indispensables à la formation de citoyens, citoyens qui seront, à la sortie du lycée, livrés à la seule « pédagogie » des discours médiatiques.


Même si la dénaturation disciplinaire ne semble, à première vue, pas si frontale en histoire-géographie, cette dernière subit tout de même de sérieuses attaques. La suppression de son caractère obligatoire en Terminale S s’accompagne en effet d’une refonte des classes de Première et Terminales qui doit mobiliser toute notre vigilance. A priori, la Première verrait opérer une condensation des thématiques telle qu’il s’agirait d’y aborder l’ensemble du vingtième siècle, jusqu’ici traité en deux ans… Soyons un tantinet réalistes : difficile d’imaginer la possibilité d’un montage qui puisse favoriser l’intelligibilité et la complexité. La forme spécifique de l’écriture scolaire de l’histoire revêt ici toute son importance (2). Parmi les écueils possibles, deux nous semblent de la plus haute importance : le premier reviendrait à focaliser l’étude, dans une perspective de « devoir de mémoire » sur les « moments-clés » de la compréhension du XXe siècle, notamment dans leur dimension traumatique. On imagine assez bien « le siècle des traumatismes » et l’écriture victimisante, téléologique et outrancièrement simplifiée d’un siècle pris dans l’engrenage de la « brutalisation » et le piège des « totalitarismes ». Le second écueil reviendrait à assouvir une soif de fausse exhaustivité par une scansion purement évènementielle, en recouvrant simplement le déroulé chronologique par une mise en mots. Dans ces deux cas d’histoire en pilotage automatique il sera totalement vain de chercher à s’appesantir sur la complexité de moments historiques (colonisation, génocide(s), Vichy… quelle importance après tout ?) et encore plus de puiser dans le passé les multiples exemples de mobilisations sociales qui ont contribué à dessiner les contours de cette société qu’on nous enjoint aujourd’hui de ne pas chercher à comprendre. C’est sonner le glas de tout résidu d’histoire économique et sociale, mais aussi n’offrir qu’une histoire soit totalement désincarnée par la conceptualisation, soit en prise directe avec une émotion qu’il sera impossible – faute de temps – d’objectiver par une mise à distance réflexive. Dit autrement, nous serions face à une mécanique qui empêche de penser. Dans le contexte d’instrumentalisation politique du passé que l’on connaît actuellement, de quelles garanties dispose-t-on pour qu’une telle simplification ne vienne pas couronner les tentations de l’ethnocentrisme, du recours à l’émotion facile téléguidée depuis le sommet de l’État ? Comment ne pas craindre que cette histoire, réduite à une peau de chagrin, ne fasse passer l’événementiel avant l’esprit critique ?


Ce qui s’annonce en Terminale ne peut guère nous rassurer sur ce point. La première mouture annoncée dans les lycées montrait une volonté de mettre l’accent sur l’hypercontemporain, à partir de 1989. Les derniers échos à la suite des rencontres de l’Inspection Générale avec les syndicats évoqueraient plutôt (ou en sus ?) une histoire thématique qui en reviendrait au temps long. C’est donc une nouvelle gymnastique d’esprit qui est proposée ici aux élèves et aux enseignants. La perspective n’est pas dénuée d’intérêt. Nul ne mettra en question le fait que donner de l’épaisseur historique à un fait, autrement qu’en l’inscrivant dans une chaîne immédiate de cause à effets, est d’une évidente nécessité. Mais là encore, plusieurs problèmes se posent. Le premier serait d’arguer de l’année de Terminale, en pariant sur une « maturité » des élèves pour y aborder les questions dites « chaudes » ou « sensibles ». On voit ainsi poindre les risques d’une épistémologie de la quête des « racines » d’un conflit au détriment du faisceau de causalités (le conflit israëlo-arabe se prêterait facilement à des raccourcis religieux assez douteux) ; ou encore celui d’une analyse civilisationnelle des faits qui rejouerait une vision fixiste et essentialisante déjà présente dans les programmes actuels de géographie et directement inspirée des théories du « choc des civilisations » de Samuel Hungtington. Autre exemple : on peut craindre que la question de l’islam, disparue des programmes de Seconde ne ressurgisse ici sous l’angle du temps long : et pourquoi pas une histoire de l’islam de Mahomet au 11 septembre 2001 ? On nous opposera bien sûr en retour que la liberté pédagogique et la maîtrise des contenus par les enseignants sera le meilleur rempart contre ces dérives possibles. Mais une fois encore se pose le problème non seulement de la formation des enseignants (notion en voie de disparition) mais surtout de notre capacité à savoir manier « les » temps de l’histoire et les échelles spatio-temporelles. C’est sans doute l’un des aspects les plus difficiles de la praxis historienne, entre autres parce que le découpage universitaire des périodes interdit tout entraînement à ce type de démarches. Or, cette réelle difficulté pour les enseignants est évidemment bien plus grande encore pour les élèves.
Le programme de Seconde, quant à lui, ne relève plus de conjectures car il vient d’être soumis à consultation. La discontinuité chronologique introduite en 1995 avec la succession de « moments » problématisés est maintenue, mais poussée un peu plus loin : là où la moitié seulement du programme devait être consacrée à la succession des moments-questions, c’est désormais plus des deux tiers du temps disponible qu’il faut leur accorder. Nous ne vanterons pas envers et contre tout les mérites de la continuité chronologique. La démarche d’autonomisation de moments historiques n’est pas inintéressante. Elle permet une appréhension synchronique qui sort d’un enchaînement linéaire, et parfois artificiellement construit, des faits. Néanmoins, elle traduit une rupture qui n’a jamais été clairement explicitée par l’Institution, et que l’indigence de la formation déjà mentionnée n’a pas davantage permis de travailler. D’où ce sentiment diffus d’une grande complexité du programme de seconde et la propension que certains enseignants peuvent avoir à tenter de « meubler » les discontinuités pour rendre la trame du programme plus intelligible.
Une étape est néanmoins franchie par ce nouveau programme : celle de l’accentuation de la contrainte qui atteint ce qui pouvait subsister de liberté pédagogique. En effet, si nouveauté il y a, c’est surtout dans le détail du programme et dans la forme d’écriture qu’elle se trouve. Car on y découvre un recours systématique au strict encadrement de la mise en pratique : telle « question » (une problématique déjà contraignante en elle-même) devra être traitée à travers un cas déterminé à l’avance. Migrer au XIXe siècle ? C’est l’Irlande. La « diversité du monde aux XVe-XVIe siècles ? C’est Constantinople-Istanbul, puis (« au choix ») Pékin ou Tenochtitlan, etc. Dans l’injonction faite au professeur d’aller de Constantinople-Istanbul à Tenochtitlan en passant par Pékin, on pourrait voir un hommage rendu à sa vaste culture ou tout au moins à sa remarquable capacité de formation « tout au long de sa vie ». Dans les faits, derrière cette (illusoire) manière de concevoir le professeur d’histoire comme une sorte d’agrégatif permanent, il s’agit plutôt de le réduire à la fonction d’un honnête technicien « appliquant » une feuille de route sans trop avoir à réfléchir sur des domaines historiques qu’il maîtrisera mal. On assiste à la remise en cause de la possibilité pour le professeur de faire ce qui constitue le cœur de son métier et l’expression fondamentale de sa compétence professionnelle : sa capacité à construire lui-même des éléments de cohérence dans ce qu’il enseigne et des correspondances entre les parties d’un programme.
Sur le plan des contenus – sur lesquels se concentreront sans doute l’essentiel des critiques à venir – les choix opérés, comme souvent, relèvent simultanément d’une attention accordée au renouveau historiographique, d’un effet « cyclique » des thématiques abordées (la démographie aux XIe-XVIIe siècles) et de la nécessaire adaptation aux problématiques politiques du moment. Ainsi en est-il de titre même donné à ce nouveau programme – « Les Européens dans la diversité des mondes du passé » – qui insiste sur l’histoire partagée d’une identité européenne en construction mais qui démine en préambule le lien passé/présent, transitif et parfois artificiel, sous-tendu par l’ancien programme : « Ils (les élèves) comprendront ainsi qu’il est impossible d’appréhender le passé à travers le prisme exclusif du présent ». On ne peut que se féliciter de la prise en compte du caractère complexe qu’entretient le passé au présent. Mais on doit s’interroger plus avant sur ce qui constitue les fondements de cette identité européenne sous-tendue par les thématiques choisies. Nous ne serons sans doute pas les seuls à montrer du doigt la disparition de la Méditerranée au XIIe siècle et la place accordée, en retour, à la chrétienté médiévale (la part d’instruction religieuse du programme glissant de l’Antiquité – la « question » de la « naissance du christianisme » étant supprimée – au Moyen-âge). Certes, personne ne doute que le Moyen-âge occidental soit chrétien ; mais les historiens ont montré depuis longtemps qu’il n’était pas un monde clos sur lui-même, sur son Église, sa foi, ses terres et leurs paysans… Que la « diversité des mondes » n’apparaisse qu’au XVe siècle nous semble donc pour le moins réducteur. Il en va de même de la question coloniale qui n’apparaît pas explicitement dans cette mouture de programmes ; or, depuis la circulaire de 2005 (faisant une place à l’histoire de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions dans les programmes), nul ne peut plus douter de l’importance des héritages coloniaux et impériaux dans l’appréhension de l’histoire hexagonale ou européenne. Enfin, il faut se réjouir de la prise en compte explicite, en préambule, de la question des acteurs du passé « les hommes et les femmes qui constituent les sociétés et y agissent » mais aussi s’étonner, au regard de cette avancée, de l’omniprésence persistante de l’histoire des idées et de ses pendants conceptuels (libéralisme, socialisme, républicanisme) pour aborder la période révolutionnaire et le premier XIXe siècle. Cette pesanteur, pourtant régulièrement dénoncée, semble avoir la vie dure et masque le fait que la Révolution et les régimes républicains sont aussi le fruit de la mobilisation d’hommes et de femmes, et non simplement la traduction quasi « révélée » d’une histoire des idées et de décisions des élites.
Outre ces interrogations sur les contenus se pose enfin le problème de la mise en œuvre de ces programmes. C’est ici que la refonte disciplinaire rejoint la réforme plus générale du lycée. La suppression des modules (heures en demi groupes) en classe de Seconde désavoue des décennies de tentatives de modernisation et d’innovation pédagogiques. Difficile de se départir d’une vague impression de retour à la plus conservatrice des pédagogies, celle du « gavage d’oies », dans lequel le professeur, réinvesti d’une autorité patriarcale, délivre le savoir à des élèves collectivement infantilisés.
« Mauvais procès ! » répond le Ministère, car l’accompagnement individualisé compensera très largement la perte des heures dédoublées. Il est par ailleurs prévu qu’un volant d’heures en demi groupes soit attribué de façon globale aux établissements dont le conseil pédagogique décidera de la ventilation. Bien sûr, on nous dira que tout cela sera négocié, collectivement délibéré, et qu’aucune matière n’en pâtira. L’expérience a déjà été faite en collège. Conformément à l’air du temps, les heures sont systématiquement attribuées aux « fondamentaux », entendre mathématiques et français dans le langage ministériel. Quid alors du travail sur documents d’archives ou statistiques, des travaux de groupes, de l’encadrement des recherches documentaires ou d’enquête, de toute cette sensibilisation au matériau empirique qui fonde nos disciplines ? Les sciences humaines et sociales, comme toutes sciences, ne sont pas des produits finis prêts à consommer. Elles s’éprouvent de manière empirique, se testent, s’interrogent, sont des work in progress, et tentent de valoriser la posture du doute systématique chez les élèves. Elles ne se transmettent pas, elles s’enseignent.
Et c’est bel et bien là que le bât blesse et que cette réforme du lycée touche aux rapports intrinsèques que l’école républicaine entretient à la citoyenneté. Certes, comme toutes les matières scolaires, les SHS s’efforcent de participer à la compréhension du monde. C’est un topos politiquement banal que de le rappeler. Mais leurs fondements épistémologiques et leur praxis relèvent d’une posture critique valorisée comme un acquis indispensable pour agir dans le monde de demain. Peut-être est-ce ce qui gêne aujourd’hui ? Les Sciences humaines et sociales véhiculeraient-elles des contenus subversifs ? En affirmant par exemple que l’appréhension du passé montre que des hommes et des femmes en action ont fait changer le monde ? En rappelant qu’une société s’appréhende par l’analyse des mobilisations d’acteurs sociaux et pas seulement par la projection comptable de ses futurs acteurs économiques ? En affirmant enfin que la culture commune véhiculée par l’école ne s’achète pas comme un bien de consommation mais se construit collectivement ?

Cette réforme tend à considérer les Sciences humaines et sociales comme une simple variable d’ajustement. Elle rejoint en cela celle des Universités. Il nous faut donc retrouver un engagement fort et collectif à l’égard d’une école qui ne peut être évaluée simplement à l’aune de ses performances, de ses coûts et de sa rentabilité ; une école qui doit promouvoir l’objectif d’une formation citoyenne critique des élèves, et réaffirme, dans cette optique, son attachement aux vertus pédagogiques des Sciences humaines et sociales.


Pour le CVUH :
Laurence De Cock (Lycée Joliot Curie Nanterre)
Philippe Olivera (Lycée Diderot, Marseille)

Pour l’APSES (association des professeurs de SES) www.apses.org :
Marjorie Galy : lycée Fustel de Coulanges, Strasbourg
Sylvain David, lycée Courbet, Belfort.


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Notes :

(1) Voir l’ensemble du dossier sur le site de l’APSES : www.apses.org ; ainsi que le contre-programme proposé à consultation.
(2) Sur l’épistémologie de l’histoire scolaire, voir Laurence De Cock, Emmanuelle Picard (dir.), La fabrique scolaire de l’histoire, Agone, 2009.