lundi 24 novembre 2008

La poupée russe de l’histoire de France, où lorsque les historiens inventent un Napoléon toujours plus petit que le précédent par Pierre Serna

D’habitude c’est debout dans le métro. Heureusement, en fin de semaine, c’est assis que Le Monde peut être lu… . Ainsi donc, « Le Grand entretien », entre Pierre Milza, auteur d’une biographie de l’empereur Napoléon III et Arnaud Leparmentier, le journaliste du grand quotidien. Une petite anthologie à placer entre les mains de toutes les personnes intéressées par les objectifs intellectuels du CVUH. Un vrai petit manuel en une page de manipulation historique à usage exclusif du présent.
Si l’on n’avait pas compris à quel point le président après son élection, ressemblait à Bonaparte juste après le coup d’Etat, dans sa volonté de réformer, de changer, de sécuriser, de livrer la France aux notables, désormais on va devoir intégrer, en réalité combien il ressemblait plutôt au neveu, à Napoléon III, celui que Hugo décrit sous la forme d’un « petit Napoléon ».
Tout l’article serait à citer comme procédé de reconstruction, non téléologique, mais selon un nouveau procédé de merchandising plutôt étonnant et que l’on pourrait nommer « la comparaison par force » du passé avec la présent.
Mais lisons quelques passages et pour commencer, car un entretien se construit à deux, la question introductive : « La mémoire collective diabolise Napoléon III, alors qu’il est considéré comme une modernisateur de la France. En est-il de même pour Nicolas Sarkozy, qui voulait incarner la rupture mais a été perçu dés ses débuts comme un président bling-bling ? ». Sous la patine vaguement provocatrice, qu’on ne s’y méprenne pas, il y a une pure reconstruction de la perception du premier cité qui va servir à la réhabilitation au fond du second mentionné.
En effet, que l’on nous dise où est, et ce qu’est la mémoire collective ? avez-vous entendu quelqu’un où que vous soyez ces dernières années DIABOLISER Napoléon III ? Personnellement, mais je ne dois pas fréquenter des gens très cultivés, personne autour de moi n’a critiqué Napoléon III. J’avais cru au contraire que depuis bien des années une tentative efficace, tenace, ciblée, répétée, multiple, avait au contraire réhabilité fortement le personnage, et cela par les plus grandes instances républicaines, voire le n° 2 de la République, en son temps. Victimisez, victimisez, il en restera toujours quelque chose de la méchante histoire républicaine qui voulut mettre au pilori l’homme du coup d’Etat du 2 décembre…
Le procédé est intéressant qui consiste à affirmer une contre-vérité pour mieux la démonter par la suite. La posture est donnée pour l’ensemble de la page. Il s’agit au fond, de hisser le président actuel au niveau du passé. C’est là qu’est la vigilance nécessaire. Ce n’est pas tant sur la transformation des faits que porte l’étonnement du lecteur avisé, Pierre Milza est, à n’en pas douter, un excellent connaisseur des événements qui jalonnent la vie de Napoléon III, mais dans la volonté de faire du présent l’égal d’un passé réhabilité, en une confusion temporelle qui brouille toute forme de construction de temporalité séquencée.
L’entretien se poursuit sur les trois ressemblances entre les deux hommes : « Hyperactivisme, industrialisme, populisme ! » (sic !!).
Au fond, Pierre Milza est trop intelligent pour se prêter au jeu de façon aussi simpliste, car toute sa rhétorique à bien le lire, démonte au fur et à mesure ce qui est annoncé : l’historien sait bien que ces trois points de ressemblance sont fort critiquables. Il le dit entre les lignes, mais tant pis, le mal de la simplification à outrance est fait, et le lecteur, qui n’est pas forcément un historien professionnel, retiendra ses trois points de convergence. Hyperactivisme ! oh ! quel point de ressemblance ! On n’avait pas perçu que les présidents précédents étaient des rêveurs vaguement velléitaires, un peu désinvoltes… « industrialiste » ? On n’avait encore moins remarqué la volonté du président à défendre un processus d’industrialisation visant à enrayer de façon fort efficace délocalisations et fermetures d’usines, au-delà des prises de position quasi officielles pour ne pas paraître trop en décalage avec l’opinion. Populiste ? Pierre Milza n’a pas trop de mal à démonter de l’intérieur la question, quoique… Le problème est biaisé, car lorsque le président actuel fait porter un effort consenti par tous les citoyens sur les plus démunis, l’empereur visait à améliorer non le statut des plus faibles, mais à dégager dans la classe ouvrière une élite du travail, une aristocratie des mains. Le procédé est complètement différent. Finalement, Pierre Milza remarque bien que leur politique est complètement diverse avec une volonté d’affrontement systématique de la part du président actuel contre les syndicats et la gauche, politique plus nuancée, paradoxalement de la part de l’Empereur. Encore ne faudrait-il pas exagérer le gauchisme du neveu impérial et ne pas tordre le bâton de l’histoire d’un autre côté, en faisant croire que « celui qui invente le droit de grève en France c’est Napoléon III ». Hélas 1864 est avant 1884, et que l’on nous explique l’utilité d’un droit de grève sans celui de réunion, sous la forme des syndicats, voté en 1884. En terme d’invention il n’a pas fallu attendre 1864 pour que certains cessent le travail afin d’améliorer leur sort. Le fait existe bien avant la révolution, mais la période 1789-1791 va le reposer avec une acuité toute nouvelle, puisque les Constituants sont sommés de mettre en adéquation les droits de l’homme avec les droits sociaux. Steven Kaplan a récemment montré l’importance des tensions dans le Paris du début de l’année 1791 et le bras de fer qui va se jouer entre ouvrier et patrons qui aboutira finalement aux lois d’Allarde et Le Chapelier interdisant le droit de réunion et de grève. Napoléon III n’a rien inventé. Il a rétabli un droit de grève, conquis dans les faits, qui avait été transformé en non-droit de grève par la première assemblée révolutionnaire, Il y a une nuance importante car elle dit bien la posture d’une historiographie, qui attribue toujours aux grands hommes la bonne marche de la société et ses avancées, comme si le paysage mental des tensions et des luttes engagées ne comptaient pas.
Les trois dernières questions de plus en plus faibles, sur la politique extérieure (finalement les deux hommes n’ont pas de point commun), sur leurs épouses (l’un s’est marié avec une espagnole, l’autre avec une italienne, le saviez vous ?) et sur la fête (les deux aiment le luxe, on ne l’avait pas remarqué), montrent et c’est fort savoureux, un Pierre Milza de plus en plus gêné manifestement et chaque fois soulignant, de fait et en fait, toutes les différences entre les deux personnages, au fond rendus à leur particularité historique, ce qui les rend encore plus intéressants tous deux à étudier pour eux-mêmes. Mais qui aura perçu cette ruse de Pierre Milza se tirant comme il le pouvait de ce jeu infantilisant des 3… ressemblances ?
Au fond, ce n’est pas tant la réhabilitation de Napoléon III qui est dérangeante, quoiqu’elle soit construite toujours selon le même modèle : « je vais vous raconter l’histoire d’un homme que personne n’aime et qui a fait beaucoup de bien à la France… ». Ce n’est pas tant la volonté de trouver des figures tutélaires positives et historiques au président actuel, « à chacun… ses idées » dit-on dans le sud de la France…
Non, ce qui est dérangeant c’est la régression historiographique induite non plus par la seule illusion biographique mais désormais de façon quasi systématique par ce que j’appellerais la double illusion biographique. Par de là les mises en garde de Pierre Bourdieu, on a l’impression que, désormais, l’illusion de la reconstruction d’un parcours existentiel ne se joue pas du personnage historique au biographé lui-même mais de celui dont on écrit le récit de vie à un Autre, forcément dans le présent, comme si une vie en annonçait une autre. Effet pervers du service après vente éditorial : « à qui ressemble dans l’actualité votre personnage, vous savez c’est pour le dossier de presse ? » ou bien régression grave des historiens, incapables de concevoir un matérialisme temporel, libéré de toute effet de prédiction, d’ « astrologisme » masqué où le passé annoncerait le futur, caché sous un vernis scientifique bien-sûr ? La question demeure.
Les historiens qui s’intéressent aux destins des personnes en histoire, qui s’intéressent aux manières historiques d’écrire des biographies doivent penser sérieusement cette forme néfaste de la double illusion biographique, une des causes du discrédit profond et mérité de la science historique ainsi galvaudée dans les médias. Comme cet entretien à propos d’une pseudo ressemblance entre Napoléon III et Nicolas Sarkozy le prouve.


Pierre Serna
Professeur paris I , directeur de l’Institut d’Histoire de la révolution française

samedi 8 novembre 2008

Les historiens n’ont pas le monopole de la mémoire par Catherine Coquery-Vidrovitch, Gilles Manceron et Gérard Noiriel


[Texte paru dans l’édition du Monde du 7 novembre 2008]
Un débat ouvert dans Le Monde par les articles de Pierre Nora et Christiane Taubira (les 10 et 16 octobre) ne peut se réduire à une opposition entre historiens et politiques, car il divise aussi les historiens. Dès mars 2005, nous avons réagi contre la loi du 23 février qui invitait les enseignants à montrer le "rôle positif" de la colonisation, mais nous n’avons pas signé la pétition "Liberté pour l’Histoire" publiée neuf mois plus tard dans Libération. Nous ne pouvions pas accepter que la "loi Gayssot" (pénalisant les propos contestant l’existence des crimes contre l’humanité), la "loi Taubira" (reconnaissant la traite et l’esclavage en tant que "crimes contre l’humanité") et la loi portant sur la reconnaissance du génocide arménien de 1915 soient mises sur le même plan qu’un texte faisant l’apologie de la colonisation, et cela au nom de la "liberté de l’historien".
Nous l’acceptions d’autant moins que cet appel ne posait pas dans toute sa généralité la question du rôle de la loi par rapport à l’histoire, laissant notamment de côté d’autres "lois mémorielles" comme celle de 1999 substituant l’expression "guerre d’Algérie" à "opérations en Afrique du Nord". L’appel de Blois lancé récemment par les promoteurs de la pétition "Liberté pour l’Histoire" n’aborde pas, lui non plus, la question des rapports entre la loi, la mémoire et l’Histoire, sur des bases pertinentes. Contrairement à ce qu’affirme ce texte, nous ne pensons pas qu’il existerait en France, ou en Europe, une menace sérieuse contre la liberté des historiens.
Cet appel se trompe de cible quand il présente la décision-cadre adoptée le 21 avril 2007 par le conseil des ministres de la justice de l’Union européenne comme un risque de "censure intellectuelle"qui réclamerait leur mobilisation urgente. Ce texte demande aux Etats qui ne l’ont pas déjà fait de punir l’incitation publique à la violence ou à la haine visant un groupe de personnes donné, de réprimer l’apologie, la négation ou la banalisation des crimes de génocide et des crimes de guerre, mesures que la France a déjà intégrées dans son droit interne par les lois de 1990 et de 1972.
Il ne nous paraît pas raisonnable de laisser croire à l’opinion que des historiens travaillant de bonne foi à partir des sources disponibles, avec les méthodes propres à leur discipline, puissent être condamnés en application de cette directive pour leur manière de qualifier, ou non, tel ou tel massacre ou crime de l’Histoire. Pour la Cour européenne"la recherche de la vérité historique fait partie intégrante de la liberté d’expression". La décision-cadre précise qu’elle respecte les droits fondamentaux reconnus par la Convention européenne des droits de l’homme, notamment ses articles 10 et 11, et n’amène pas les Etats à modifier leurs règles constitutionnelles sur la liberté d’expression.
LES "REPENTANTS"
En agitant le spectre d’une "victimisation généralisée du passé", l’appel de Blois occulte le véritable risque qui guette les historiens, celui de mal répondre aux enjeux de leur époque et de ne pas réagir avec suffisamment de force aux instrumentalisations du passé. Nous déplorons également la croisade que ce texte mène contre un ennemi imaginaire, les "Repentants", qui seraient obsédés par la"mise en accusation et la disqualification radicale de la France". L’Histoire, nous dit-on, ne doit pas s’écrire sous la dictée des mémoires concurrentes. Certes. Mais ces mémoires existent, et nul ne peut ordonner qu’elles se taisent. Le réveil parfois désordonné des mémoires blessées n’est souvent que la conséquence des lacunes ou des faiblesses de l’histoire savante et de l’absence d’une parole publique sur les pages troubles du passé.
Dans un Etat libre, il va de soi que nulle autorité politique ne doit définir la vérité historique. Mais les élus de la nation et, au-delà, l’ensemble des citoyens ont leur mot à dire sur les enjeux de mémoire. Défendre l’autonomie de la recherche historique ne signifie nullement que la mémoire collective soit la propriété des historiens. Il n’est donc pas illégitime que les institutions de la République se prononcent sur certaines de ces pages essentielles refoulées qui font retour dans son présent.

En tant que citoyens, nous estimons que la loi reconnaissant le génocide des Arméniens - heureusement non prolongée, à ce jour, par une pénalisation de sa négation - et celle reconnaissant l’esclavage comme un crime contre l’humanité sont des actes forts de nos institutions sur lesquels il ne s’agit pas de revenir.


Catherine Coquery-Vidrovitch, Gilles Manceron et Gérard Noiriel sont historiens et membres du Comité de vigilance sur les usages publics de l’histoire (CVUH).

La Grande Guerre aujourd’hui. 14-18 dans le monde social Samedi 8 novembre 2008, Paris Sorbonne


La Grande Guerre aujourd’hui.14-18 dans le monde social
Rencontres, Samedi 8 novembre 2008
Amphithéâtre Turgot, Université de Paris I Panthéon-Sorbonne
17 rue de la Sorbonne, Paris, 9 h 30 - 18 h 30
Entrée libre dans la mesure des places disponibles
La Grande Guerre ne cesse de nourrir notre présent. Artistes, romanciers, cinéastes la mettent en scène, amateurs et passionnés entretiennent les sites du conflit ou recherchent les traces de leur ancêtre dans les tranchées et les expéditions. Les gouvernements ne manquent pas une occasion de célébrer la bataille de Verdun voire les soldats fusillés.
Comment comprendre cette force des mémoires de 14-18 dans la société française ? Comment la Première Guerre mondiale parle-t-elle au présent ?
Pour saisir ces enjeux historiens, artistes, journalistes et « praticiens » de la Grande Guerre exposent, dans cette journée, ouverte à la discussion, leurs approches contemporaines de la « der des ders ».
I) ENJEUX ET DÉBATS
Présidence de séance : François Cochet, Université de Metz
9 h 30 -13 h 00

Ouverture par Frédéric Rousseau, Président du Crid 14-18

- Faut-il encore des témoignages combattants ? Chercher, publier, comprendre les récits des témoins de 14/18, Rémy Cazals, Université de Toulouse-Le Mirail


- La Grande Guerre vue des sciences sociales, Nicolas Mariot, CNRS

- La Grande Guerre sur internet, André Loez, Crid 14-18-Université de Montpellier III
- Cérémonies d’aujourd’hui ? Les obsèques du dernier poilu, Nicolas Offenstadt, Université de Paris-I ; Réhabiliter les fusillés ? par André Bach, général E.R., Crid 14-18


- La place de la Grande Guerre dans l’école en France, Benoît Falaize, Chercheur à l’Institut National de la Recherche pédagogique

- « Couvrir » la Grande Guerre au quotidien, Benoît Hopquin, journaliste au Monde,
12 -13 h Discussion

II) LES LIEUX DE LA GRANDE GUERRE, 14 H -18 h 30 

Présidence : Christian Chevandier, Université de Paris I

-  Grande Guerre et muséographie ou Comment faire un musée sur la Grande Guerre aujourd’hui. Le cas du centre Marne 14/18, Philippe Olivera, Crid 14-18

- Filmer la Grande Guerre, Gabriel Le Bomin, cinéaste, auteur des Fragments d’Antonin

- La Grande Guerre comme fiction, Didier Daeninckx, écrivain, auteur notamment de Le der des Ders et Varlot soldat


- La Grande Guerre dans le Rock et la Pop française aujourd’hui, Nicolas Offenstadt
- 15 h 20 pause

- Ce que l’art peut dire de la Grande Guerre, Christian Lapie, sculpteur, auteur de Constellation de la Douleur en hommage aux Tirailleurs sénégalais

- Créer des lieux. Le Patrimoine 14/18 dans les Vosges, usages d’aujourd’hui, Yann Prouillet, Crid 14-18


- Que faire de Verdun au XXIe siècle ? Serge Barcellini, contrôleur général des armées, chargé de Mission pour Verdun par le Conseil général de la Meuse
- 17 h Discussion générale
17 h 45 : Conclusions de la journée : 

- Elise Julien, Institut d’Etudes Politiques de Lille : La Grande Guerre aujourd’hui dans le monde social : qu’en est-il en Allemagne ?

- Jean Birnbaum, Le Monde : La Grande Guerre dans le contemporain