mardi 26 août 2008

George W. Bush, les néo-conservateurs américains et le Moyen Age par Nicolas Offenstadt


Compte rendu de Bruce Holsinger, Neomedievalism, Neoconservatism and the War on Terror, Chicago, Prickly Paradigm Press, 2007, 84 p.
Dans un petit livre vif, qui prend place au sein d’une collection de pamphlets savants dirigée par Marshall Sahlins, Bruce Holsinger, revient sur les usages de l’époque médiévale par les néo-conservateurs, autour de George Bush fils. L’auteur distingue deux usages très différents, mais dont l’objectif demeure de légitimer la « War on terror » menée par les Etats-Unis depuis 2001.
Le premier est le plus familier à qui s’intéresse à la place du Moyen Age dans les discours politiques contemporains et l’auteur aurait sans doute pu l’inscrire dans une série plus longue que les années post-11 septembre. Il cherche à faire d’Al-Qaida ou des Talibans une force médiévale, pétrie d’antimodernisme. Les islamistes sont ainsi rendus médiévaux. Timothy Lynch, de l’Institut Cato, évoque dans une audition au Sénat fin 2001 « une bande de barbares médiévaux qui a déclaré la guerre aux Etats-Unis » (p. 8), tandis que le secrétaire d’Etat adjoint à la Défense, Paul Wolfowitz répète que l’Afghanistan est un « régime médiéval de terreur » et que les terroristes musulmans souhaitent ramener leurs coreligionnaires à un monde médiéval oppressif, à une période obscure (« medieval Darkness »). Le recours à l’image médiévale devient une constante dans l’agit-prop du Pentagone dans la guerre contre le terrorisme. George W. Bush lui-même reprend la rhétorique de la Croisade puisant d’ailleurs dans les ouvrages les moins fiables sur le sujet... Holsinger souligne aussi que la référence aux croisades n’est pas le propre des Etats-Unis mais qu’elle parcourt tant les textes du Hamas que les discours de Ben Laden. Afin de montrer l’inanité de la « médiévalisation » de l’islamisme international, Holsinger prend l’exemple de son système de financement (Hawala) que l’on voudrait qualifier de médiéval parce qu’il échappe aux normes occidentales, alors que, justement, le recours à des formes de transactions hors des circuits usuels sert à éviter d’en être prisonnier...

Le deuxième usage du Moyen Age chez les néo-cons est un produit de la sphère savante avant d’être exporté dans le champ politique. A partir des années 70, tout un ensemble de théoriciens des relations internationales, tel Hedley Bull et récemment Neil Winn, vont évoquer « le néo-médiévalisme » du système international, qu’ils caractérisent par l’affaiblissement de la souveraineté des Etats-Nations dont la suprématie est contestée autant par des autorités supra-nationales qu’à des échelles « sub-étatiques », par des groupes transnationaux. Tout cela rappellerait un Moyen Age fait d’autorités morales comme le pape et de pouvoirs seigneuriaux enchevêtrés. Souveraineté et pouvoirs se distinguent moins clairement et s’entremêlent. Dans l’esprit de cette Ecole, le terme de Moyen Age est métaphorique ou analogique et sert à identifier une situation reconnue comme tout à fait nouvelle. Mais cette analogie académique est reprise par les Think Tanks conservateurs et le département d’Etat et elle devient dès lors un outil de justification de leur politique. Donald Rumsfeld met ainsi en avant les sensibilités médiévales d’Al-Qaida, non pour dénoncer son obscurantisme, mais pour souligner sa capacité d’action transnationale, son adaptabilité. Afin de lutter contre cet émiettement politique et ce « retour » au Moyen Age, des nouvelles pratiques, elles aussi adaptées, telles la torture, en particulier lorsque que l’on se confronte à des Etats défaillants (« failed state ») deviennent légitimes. Le nouveau paradigme justifie la transgression des normes du droit au nom de la modernité périmée et/ou menacée.


Et les médiévistes dans tout cela ? Ils ne sont pas restés passifs, rappelle Holsinger et ils ont multiplié les interventions et les écrits pour situer les enjeux plus historiquement. Mais, on le sait, aux Etats-Unis, comme en Europe d’ailleurs, la parole savante circule sans la force des mots du pouvoir...

Signalons aussi, une récente et excellente synthèse critique sur la construction et les usages du « Moyen Age », de la Renaissance à nos jours, non sans points de vue, du médiéviste Valentin Groebner : Das Mittelalter hört nicht auf. Über historisches Erzählen, Munich, Beck, 2008, 176 p.


Nicolas Offenstadt