dimanche 7 novembre 2010

« Vous prendrez bien un peu de jeu de Paume ? » par Pierre Serna


Dans Le Monde du dimanche 24 octobre 2010 une jeune et brillante collègue philosophe, Cynthia Fleury, professeur à l’IEP et dans d’autres grandes écoles, après avoir fustigé comme il se doit le gouvernement et son autisme congénital, en vient à réfléchir sur la réforme de la République et le danger inhérent dans lequel elle se trouve. Le constat se fonde en faisant référence à Pierre Rosanvallon, et à sa conception du régime républicain.
Cynthia Fleury elle-même en vient à donner une définition de la République comme un mode fonctionnement par assentiment du plus grand nombre, par construction lente du consensus et surtout par la compréhension les uns des autres, dans le compromis sans cesse rejoué.
Afin de développer ce dernier argument la jeune professeure de philosophie explique que la république est impossible dans le mépris partagé : le blocage selon elle des institutions viendrait d’un mépris commun, égal entre les acteurs syndicaux, ne saisissant pas les impératifs d’une technicité de la gouvernementalité pour reprendre un terme de Foucault et un mépris aussi égal des dirigeants sur le monde des syndiqués ou des citoyens indociles ;
Ce premier constat ne peut que laisser dubitatif et appelle une remarque. L’historien du XVIIIe siècle habitué à travailler sur la cascade des mépris qui constitue le tissus social de la société d’Ancien Régime puis l’historien des élites issues de la Révolution et du Consulat, ancêtres des noblesses d’Etat, celui qui a étudié les élites d’Ancien Régime et de la République et les modes de distinction dans les systèmes politiques récents peut apporter un bémol à ce constat qui se veut modéré, impartial, juste et philosophique.
Le mépris est le résultat d’une situation de domination objective de telle sorte qu’il n’y a pas de mépris réciproque, né au même moment de part et d’autre d’une frontière politique ou sociale.
Il y a un mépris d’abord, le plus souvent ce sont les élites qui le produisent car elles ont les moyens faciles de disqualifier les autres, ceux qui ont moins accès au moyens d’information et de diffusion des modes de pensée dominants ; puis il y a en réaction, un contre-mépris c’est vrai, mais qui vient dans un second temps et dont l’efficacité est moindre. En clair il ne saurait être question d’un constat de crise où les responsabilités seraient partagées en un égal mépris de part et d’autre.
L’historien peut dire à la philosophe que cela ne fonctionne pas comme cela et que l’antécédence du mépris des gouvernants pour les gouvernés produit toujours des dégâts lourds de conséquences sociales. Dans le cas présent la moquerie incessante sur les grèves invisibles, sur la pauvreté intellectuelle des syndicats et leur incapacité à mobiliser a fini par créer un front de refus dont il faut bien comprendre l’origine et le mépris constitutif pour comprendre sa force.
Comment sortir de cette Situation ? Cynthia Fleury propose une solution : établir un nouveau serment du jeu de paume. L’historien de la Révolution ne peut que se sentir flatté, l’année 1789 sert encore à quelque chose et semble offrir une matrice de relance du processus républicain, et interpellé en même temps, pourquoi précisément Le Jeu de Paume, pourquoi cet événement dans l’année 1789 ?
Quelques pages plus loin du même journal ! un début de réponse peut être esquissé. Dans une tribune intitulée « Perplexe Albion » sur le calme stoïque des anglais au moment d’accepter la rigueur nécessaire, face à l’énervement répété des français égoïstes au moment de refuser les justes réformes, un chroniqueur anglais interrogé explique que les mouvements actuels ne sont pas si étonnants de la part d’un peuple qui a pris la Bastille pour délivrer sept personnes…
Passe sur la vérité historique et les conditions précises de la prise de la forteresse-prison, ce qui demeure Outre Manche est éclairant de l’autre article : ce n’est même plus la Terreur qui terrorise ce n’est même plus la Vendée qui vandalise, c’est la Bastille elle-même qui est érigée en renversement complet, injustifiée, incroyable, complètement disproportionné.
Ce glissement sur l’inacceptable de la révolution de 1793 à 1789 a quelque chose de fort intéressant pour l’historien, sensible aux usages de l’histoire et à ses manipulations.
Il indique à quel niveau de régression politique et contestataire nous en sommes réduits, mais il indique aussi une vérité profonde (il y a toujours du vrai dans les utilisations, ce n’est pas l’utilisation de l’histoire qui pose problème, c’est le résultat de cet usage), cette vérité profonde que les contemporains ont tous compris : la Bastille était bien plus qu’une manifestation elle était plus qu’une révolte, elle était une, la Révolution.
Du coup, on comprend bien pourquoi la jeune philosophe républicaine mais consensuelle, modérée mais ferme dans la critique contre le système Sarkozy, voit dans la scène du serment du Jeu de Paume un moment fédérateur, non violent, un moment de calme où les députés réunis se prêtent un serment à renouveler de nos jours pour relancer le pacte républicain…
Fort bien.
La scène semble idyllique donc, et susceptible de constituer une nouvelle matrice pour un contrat républicain renouvelé, à inventer (sic) dont on imagine qu’il est d’autant plus fort que l’on vient de choisir symboliquement cette scène immortalisé par David du serment réconciliateur.
A cela près deux remarques.
1. Alors que l’entretien se construit sur l’idée que la République est le gouvernement partagé et celui de l’attention portée à tous les citoyens éclairés, ces mêmes hommes qui prêtent serment en ce 20 juin 1789, forment déjà une élite qui n’est sûrement pas le peuple à ce moment là, et prennent bien soin de s’en distinguer. Trois jours auparavant Mirabeau a perdu une belle bataille de symboles contre Sieyès, ce dernier bataillant pour que cette assemblée se nommât Assemblée Nationale, là où le tribun aixois demandait qu’elle s’appelât Assemblée du Peuple. Exit le peuple, les représentants sont ceux de la nation et comptent bien le demeurer. Choisir comme symbole du pacte républicain cette assemblée de l’élite du Tiers-Etat n’est pas le meilleur gage de démocratisation de la vie politique.
2. Si l’on suit bien la philosophe Cynthia Fleury, le symbole de ce serment est son côté posé, presque calme, serein, exit la violence, populaire bien sûr, exit la violence de l’arbitraire du pouvoir évidemment, la dense tranquillité, pour ne pas écrier la force tranquille (!) de la scène en impose et semble un programme en soi d’une politique apaisée, espoir d’un pacte républicain à re-proposer, ni « populiste » de gauche, ni « conservateur » de droite (re-sic), où alors ? En un centre sûrement, immense et flou, légèrement à gauche, posture d’intellectuel oblige, mais fédérateur en diable imagine-t-on sans peine…
Est-ce vraiment le cas, est-ce vraiment ce qui s’est passé ce jour là et dans cette ambiance là, en ce 20 juin 1789 ?
Là encore une nuance de taille s’impose qui nécessite de rappeler quelques banalités. Ces hommes, en cette fin de juin 1789, sont pressés par le pouvoir du roi. Ils se réfugient dans cette salle du jeu de paume et jurent de ne se séparer que lorsque la France aura une constitution. Cette élite du tiers Etat est en rupture de ban, dans l’illégalité ; ce sont des hors-la-loi passibles d’être arrêtés et de subir une tentative de coup d’Etat qui ne manquera pas de se produire trois jours plus tard, le 23 juin, lors de la fameuse séance royale.
On ne saurait être plus clair. Ces hommes, et ce fut leur immense courage, leur brave témérité, entrent délibérément en Révolution, désobéissent au pouvoir, refusent l’autorité du roi, font la grève des Etats généraux littéralement, manifestent publiquement dans Versailles, la cité royale, leur désaccord total avec la politique de réformes du roi. Pire ils font le serment de ne se séparer qu’après la victoire… en se jurant de faire comme les insurgent américains « vivre libre avec une constitution, ou mourir ».
Personnellement, on l’aura peut-être compris, cela ne me gène strictement pas et je suis admirateur du courage et de la force subversive de cette scène fondatrice, et la prends volontiers comme pacte fondateur d’une nouvelle république s’il le faut.
Simplement, je ne souhaiterais pas que la force et la violence de la scène soient édulcorées et présentées comme la matrice d’une nouvelle fondation à inventer, dont l’objectif serait la recherche d’un consensus entre tous, dans la discussion pacifiée, comme cela est présenté dans cet entretien.
Il y a des moments où il faut lutter et les hommes qui font ce serment en ce 20 juin le savent bien, et sont résolus à affronter le pouvoir en place.
Le Serment du Jeu de Paume fut un acte de bravoure, de combat, de rébellion, de révolte, une journée révolutionnaire. L’équivalent d’un refus catégorique des réformes du pouvoir, l’égal d’une manifestation monstre.
Qu’on le prenne comme exemple de la radicalisation à poursuivre contre un pouvoir qui nie les formes les plus élémentaires de la démocratie, et comme journée de référence pour la lutte, et l’on sera plus près de la non-manipulation de l’histoire.
Mais qu’on édulcore à ce point le Serment du jeu de Paume au point d’en faire un bon think thank pour faire semblant de jouer à la démocratie participative, comme nouveau souffle pour la deuxième gauche : il y a une limite qu’il serait bon de ne pas franchir.
Un temps la Révolution fut niée, puis critiquée, ensuite ignorée, au fond c’était mieux que de nous la présenter comme un jus au goût sirupeux.
A tout prendre on préfère le regard inquiet du chroniqueur anglais, devant l’incroyable action desfrogs attaquant une prison pour libérer 7 personnes, y en eût-il eu une seule que cela en aurait valu la peine, simplement ce n’était pas le but de l’assaut…
Entre se faire craindre et se faire déguster de façon sucrée, mieux vaut la première alternative.

Non merci pas de ce jeu de Paume, trop mielleux… pas assez naturel…trop trafiqué…


Pierre Serna

samedi 23 octobre 2010

La Maison de l’histoire de France : essai de socio-histoire d’un projet par Isabelle Backouche


« Un lieu attrayant. Un lieu vivant. L’endroit où il faudra être si l’on aime l’histoire. L’endroit qui fera aimer l’histoire » (1).
Pour apprécier et contrer le projet en cours d’élaboration de Maison de l’histoire de France, la mise en œuvre de mes compétences d’historienne appliquées aux documents disponibles et au profil de leurs auteurs, semble le moyen le plus efficace pour faire pièce à un certain nombre d’affirmations, souvent fallacieuses ou erronées. En effet, le dernier rapport rendu en avril 2010 par Jean-François Hébert prend la précaution de citer en notes les tribunes publiées par des historiens hostiles au projet, afin de contrer leurs argumentaires (2). J’utiliserai ici une autre méthode : faire valoir comment le métier d’historien, dont les promoteurs du projet sont loin de maitriser les savoir-faire, confère une aptitude critique à celui (ou celle) qui l’exerce et permet de ruiner les prétentions du projet de Maison de l’Histoire de France. Depuis plus d’un an, une offensive a été menée contre les sciences humaines et sociales, avec notamment le mot d’ordre de la valorisation de nos savoirs. Et bien, je propose de me livrer à un exercice que je n’aime pas nommer « expertise » mais qui avec ce nom trouvera tout son sens aux yeux des promoteurs de la Maison de l’histoire de France.
Historienne formée aux sciences sociales, je m’arrêterai tout d’abord sur un essai de mise en contexte du projet de la Maison de l’Histoire de France, convaincue qu’il n’est qu’une pièce d’un programme cohérent de destruction du savoir et de sa marchandisation dans notre société. Puis je me prêterai à une lecture croisée des sources disponibles (3) (les rapports publiés sur internet), et à un essai de sociologie des porteurs du projet, étrangers au métier d’historien et à la recherche qui lui donne vie.
Sans vouloir plaider pour une chapelle quelconque, ni revendiquer la moindre exclusivité, on peut prétendre que seuls des historiennes et des historiens peuvent se prononcer sur la validité d’un tel projet, et éclaircir les ambiguités que font régner ses promoteurs entre « musée de l’histoire » et « musée de l’histoire de France » dont les enjeux sont bien entendu radicalement différents. D’emblée, il faut poser une première question : pourquoi le projet n’a-t-il pas été préfiguré par un conseil scientifique comprenant des chercheurs en histoire susceptibles de trancher cette première option essentielle, et la viabilité du choix mis en avant d’une Maison d’histoire nationale. On parle beaucoup ces derniers mois de la professionnalisation, notamment comme débouché des filières de sciences humaines et sociales. Et bien, sur un tel projet, les historiens étaient les professionnels qui devaient être mobilisés en tout premier lieu. Il n’en a pas été ainsi.

Les motifs d’un projet

Rappelons que le projet de Maison de l’histoire de France a découlé d’une demande du Président de la République à la ministre de la Culture et de la Communication pour que soit expertisé « le projet de créer un centre de recherche et de collections permanentes dédié à l’histoire civile et militaire de la France » afin de répondre au goût des Français pour leur histoire (4). Ici, tous les mots sont importants. D’abord le périmètre initial du projet dédié « à l’histoire civile et militaire de la France », devenue aujourd’hui « histoire de France », et alors que le rapport Hébert s’appuie sur l’idée d’un goût des Français pour l’histoire (5), ici, remarquons qu’il est question de « leur histoire ». Alors malgré les promesses d’inscrire cette histoire à une échelle qui déborde le cadre national, il semble que l’adjectif possessif soit ici central. Mais on peut alors se demander quels sont les Français qui seront jugés dignes de s’approprier cette histoire. On voit ici, qu’on entre dans une logique de catégorisation du social, toujours dangereuse mais à forte portée politique aujourd’hui.
Il s’agit peut-on lire de « redonner à l’histoire la place qu’elle a perdue » (6). On retrouve ici la rhétorique de la perte et de la disparition fréquemment pratiquée par le chef de l’État pour introduire ses réformes et moderniser la France. Ne l’a-t-on pas entendu décrire une recherche française misérable et déclassée en janvier 2009 pour justifier le train de réformes que le gouvernement a finalement fait passer, et continue d’imposer à la recherche française pour la soumettre à des logiques gestionnaires étrangères à la production du savoir. Ainsi, la Maison de l’Histoire de France semble découler d’une forme d’évidence : l’histoire doit retrouver une place dans notre société, mais le rapport Hébert s’évertue à nous assurer que ce ne sera pas une histoire officielle. Comment le croire quand on voit la place accordée aux historiens dans la préfiguration du projet ?
Et on peut opposer à cette volonté de réhabilitation de l’histoire dans notre société une double opération de déqualification de la transmission du savoir historien qui s’est faite dans le même temps. D’une part, les programmes du CAPES d’histoire-géographie ont été l’an dernier réduits à leur plus simple expression, c’est à dire à une connaissance minimale de ce que l’élève trouve dans son livre d’histoire. Et on a supprimé l’épreuve dite d’historiographie qui permettait précisément de faire valoir l’histoire comme construction. D’autre part, les programmes du second cycle ont été ravalés à une série de connaissances fragmentées pompeusement intitulées : « Questions pour comprendre le vingtième siècle » (7), toute la démarche consistant à repérer des lieux, des dates et des faits emblématiques. On voit là une communauté de conception avec le projet de Maison de l’Histoire de France qui donne toute sa force à cette offensive contre le savoir dans notre société. Autre point commun, la Maison de l’Histoire de France placera en son centre les nouvelles technologies, initiative louable à condition qu’elle ne soit pas exclusive. De même, le programme de la classe de Première conseille dans sa section « développer son expression personnelle et son sens critique » d’utiliser en premier lieu « de manière critique les moteurs de recherche et des ressources en ligne (internet, intranet de l’établissement, blogs) ». Saine précaution certes, mais le livre n’est pas nommé comme objet susceptible d’une lecture critique.
Autre dimension du projet : la valorisation de la recherche en histoire. Hébert propose de faire de la Maison de l’histoire de France un lieu qui mettra en valeur « l’utilité sociale de la recherche en histoire » (8). Mais les historiens ne souhaitent pas être « utiles » : ils sont soucieux de diffuser leurs recherches, et les pouvoirs publics pourraient tout simplement pratiquer une aide à la publication plus systématique et plus étoffée – notamment pour faire connaître les travaux des jeunes chercheurs et soutenir les revues - plutôt que de faire croire que la Maison de l’histoire de France servira à mettre en valeur leurs travaux.
Enfin, on peut clôre cet essai de mise en contexte du projet de Maison de l’Histoire de France en citant les propos récents de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche : « Il faudra aussi faire évoluer les études d’histoire et géographie, trop spécialisées : personnellement, je crois beaucoup aux bi-diplômes. Si l’on ajoutait de l’anglais, des technologies de l’information, du droit ou de la gestion, les diplômés en histoire pourraient plus facilement trouver à être embauché – comme en Allemagne ou en Angleterre – dans les métiers du tourisme, du journalisme ou de la culture » (9). On retrouve le souci de niveler le niveau de connaissances, déjà présent dans la formation des futurs enseignants du secondaire. A cela s’ajoute une double objection que l’on peut faire à Valérie Pécresse. Les cursus d’histoire proposent depuis fort longtemps des parcours diversifiés à leurs étudiants ce que la ministre semble méconnaitre. Elle se garde surtout de dire que ces bi-diplômes existent déjà mais qu’en raison du manque de moyens et de postes, ils sont presque inaccessibles : la double licence histoire-science politique proposée par Paris I offrait 100 places pour plus de 3000 candidatures par le biais d’admission post-bac cette année. Il ne suffit pas de vanter les mérites de certains parcours universitaires, encore faut-il donner la capacité aux universités d’accueillir tous les bacheliers qui souhaitent s’engager dans une telle voie.

Un généalogiste et un énarque

La qualité même et le parcours de formation des auteurs du projet apparaissent déterminants pour cerner ses ambitions et éclaircir ses objectifs. On peut bien entendu débattre longtemps sur la légitimité à porter le titre d’historien. Pour ma part, je considérerai que la qualité d’enseignant-chercheur, avérée par des publications et une activité d’enseignement, me semble la meilleure garantie pour être capable d’élaborer un nouvel outil au service de la recherche en histoire. Or que remarquons nous. Parmi les trois auteurs de rapports ayant mené à l’annonce de l’installation de la Maison de l’histoire de France au Archives nationales, seul Jean-Pierre Rioux répond à la définition précédente mais sa mission consistait à faire l’expertise des lieux possibles d’installation. Il est étrange d’avoir sollicité un historien sur ce versant de l’étude et de ne pas lui avoir confié la partie scientifique de l’opération.
Les deux hommes qui ont préfiguré la Maison de l’Histoire de France ont un point commun : ils sont tous deux passés par le ministère de la Défense. Hervé Lemoine s’y est occupé, à divers titres, des archives entre 1988 et 2007 tandis que Jean-François Hébert a été conseiller dans les cabinets ministériels de la Défense (1993-97), puis secrétaire général pour l’administration du ministère de la Défense jusqu’en 2002.
Hervé Lemoine a élaboré un premier rapport en 2008. Sa biographie « officielle » sur le site du ministère de la Culture et de la Communication signale qu’il est titulaire « d’une licence d’enseignement en histoire et géographie et d’un DEA en histoire contemporaine et en sciences politiques ». Les différents sites consultés ne donnent pas de références bibliographiques attestant d’une activité de chercheur en histoire. Par contre, il a enseigné les sciences auxiliaires de l’histoire à Sciences-Po entre 1999 et 2006. Auparavant, il avait créé un cabinet spécialisé dans les recherches sur l’histoire des familles, et exercé les fonctions de vice-président de la Chambre syndicale des généalogistes-héraldistes de France. Voici une compétence importante pour mettre en place un musée de l’histoire de France qui « contribuera à faire vivre notre identité nationale auprès du grand public » (10), le généalogiste étant le spécialiste de la filiation, donc de la quête des origines. Mais nous savons qu’un bon généalogiste n’est pas un historien. Hervé Lemoine n’a d’ailleurs pas tardé à renouer avec ses affinités généalogistes, une fois nommé aux Archives nationales, puisqu’il y a organisé les 25 et 26 septembre 2010, « un forum de la généalogie » (11).
Plusieurs biographies disponibles sur le net (12) placent le travail d’Hervé Lemoine sous le signe d’une proposition de Fernand Braudel : « Décrire, voir, faire voir, pour faire comprendre l’histoire », sans que cette phrase ne soit jamais référencée dans les écrits de Braudel. Cette formule, en forme de slogan, donne son titre à la deuxième partie du rapport de Lemoine (13). Et ultime réemploi, on retrouve cette phrase, le slogan cédant la place à l’incantation, dans la lettre de mission du Ministre de la Culture et de la Communication, Frédéric Mitterrand, datée du 22 septembre 2009, à Jean-François Hébert, auteur du dernier rapport publié sur la Maison de l’histoire de France. Une telle répétition a du sens pour l’historien qui croise ses sources, et qui retrouve cette même affirmation sous la plume de tous les promoteurs de l’opération : il s’agit de faire valoir la figure tutélaire de celui qui est reconnu comme l’un des plus grands historiens du XXe siècle en France. Il est facile d’invoquer les grands historiens disparus, mais un tel procédé relève pourrait-on dire d’une méthode qui s’apparente davantage à la communication qu’à la référence savante. Et si Braudel doit donner l’exemple, alors pourquoi ne pas avoir sollicité l’avis d’historiens qui appartiennent au Centre de recherches historiques, créé précisément par Fernand Braudel en 1949 (14). Une telle omission, comparée à l’usage de la figure de Braudel, n’est pas un simple oubli. C’est une manipulation d’un label historien que les chercheuses et chercheurs en histoire ne peuvent tolérer.
Enfin, le rapport le plus récent a été confié à Jean-François Hébert, formé à l’ENA, conseiller Maître à la Cour des comptes, directeur du cabinet de Christine Albanel, puis nommé président du Château de Fontainebleau, un parcours qui ne lui confère ni une connaissance approfondie de la recherche en histoire, ni une véritable légitimité pour penser le projet scientifique d’un établissement dédié à l’histoire (15).

Le métier d’historien

Car tel est bien le problème central. Malgré des compétences avérées dans plusieurs domaines, les deux hommes qui portent le projet ignorent le métier d’historien et surtout ses évolutions qu’on ne peut qualifier de récentes puisqu’elles remontent à l’entre-deux-guerres.
On peut d’abord s’étonner qu’un conservateur général du patrimoine, modifie le titre initial d’un rapport rendu en avril 2008 et qui ne portait pas le titre de « Maison de l’histoire de France », mais bien celui de « Rapport pour la création d’un centre de recherche et de collections permanentes dédié à l’histoire civile et militaire de la France ». Il me semble qu’un rapport, une fois rendu public, est un document qui doit ensuite garder toute son intégrité. Or le projet publié sur le site du ministère depuis le mois de septembre a vu son titre modifié, et le titre d’origine basculé en sous-titre.
La première entorse au métier d’historien est de légitimer l’intervention de l’État en faveur de l’histoire sous condition que ce soit une histoire nationale. On a ici une habile confusion entre un État, promoteur d’une politique en faveur de l’histoire - et il vaudrait mieux parler de la recherche en histoire – et une France, objet de cette histoire, qui nous dit-on « souffre » à la fois de son histoire et de son identité (16). Ainsi, la Maison de l’histoire de France, et surtout les historiens qui y contribueraient, seraient les médecins du peuple français, malade et inquiet. On pouvait penser que les évolutions historiographiques de ces quatre vingt dernières années écarteraient le risque d’un telle instrumentalisation de l’histoire, grossière et pathétique. Mais voilà, Hervé Lemoine est loin de la recherche historique, il peut donc prétendre que l’histoire est apte à panser les plaies des Français, qui d’ailleurs ne sont pas vraiment objectivées. Il procède ainsi à une personnalisation de l’histoire, telle une muse, qui l’éloigne de son statut de science qui tire sa spécificité non de ses potentialités bienfaitrices mais de procédures expérimentales peu évoquées.
Lemoine pratique la dénégation en prétendant qu’un des effets pervers de la préoccupation des gouvernants pour la façon dont l’histoire est écrite et transmise est qu’il interfère avec le travail de l’historien en cherchant à lui imposer ses propres visions, ses propres interprétations (17). Il ne serait donc pas question de tomber dans ce travers avec la Maison de l’histoire de France ? Mais suffit-il de dire qu’à d’autres époques l’effet pervers a pu exister pour s’en écarter ? Ici encore, c’est un moyen bien grossier pour dénier ce qui est en réalité le cœur du projet. De même, le rapport Hébert dénie la possibilité d’une « histoire officielle » au sein de la Maison de l’histoire de France. Mais il y a ici confusion – délibérée ou pas – entre utilisation politique et construction du discours historique. En effet, tout discours historien est construit à partir des questions du présent. C’est une évidence que de le rappeler. Alors, inutile de prétendre que le pouvoir politique n’interviendra pas dans la conception de cette institution. C’est un vœu pieux, et c’est surtout méconnaitre le travail de la recherche en histoire. A partir du moment où il y a construction, c’est à dire impossibilité d’une sorte de neutralité, alors le parcours que proposera la Maison de l’histoire de France, par le simple tri qu’il opérera figera une vision particulière de l’Histoire de France. Et c’est une telle opération que nous, historiennes et historiens, trouvons dangereuse, sans qu’il soit nécessaire d’agiter le spectre de la censure politique. Mais le rapport Hébert ne l’utilise pas naïvement à mon sens, c’est une façon de pratiquer le déni pour faire passer « innocemment » un projet tout aussi risqué que celui qui revendiquerait ouvertement ses prétentions idéologiques.
Relevons dans le rapport Hébert toute une série d’affirmations erronées et périmées sur le rapport de l’historien à ses sources. Il nous donne comme garantie de la validité du projet le fait qu’il sera fondé sur la « réunion d’un ensemble de musées nationaux, ce qui aura pour effet de la doter d’emblée d’un socle de collections » (18). Voilà déjà une vision bien restrictive et désuète puisqu’au lieu de partir d’une problématique qu’il serait ensuite question de mettre en scène dans le futur Musée, il faudra se contenter des ressources disponibles, un peu comme si un historien engageait sa recherche à partir d’une pile de cartons d’archives disponibles. Ajoutons que cette proposition est aussi une garantie de conformer le futur établissement à la RGPP, comme il en est question dans la cinquième partie du rapport Lemoine intitulé : « Un rapport exemplaire du point de vue des principes de la révision générale des politiques publiques » (19). Donc, la Maison de l’histoire de France sera un bon élève, et il y a peu de chances qu’elle s’engage dans une politique coûteuse d’emprunts à d’autres établissements. Il faudra donc faire cette histoire de France à partir des collections des musées de Saint-Germain-en-Laye, de Cluny, d’Ecouen, du château de Fontainebleau, de la Malmaison, du palais de Compiègne, et d’autres encore qui ne sont pas cités.
Autre rapport problématique aux sources, J-F. Hébert suggère que le comité scientifique qui définira les axes de recherche promus par la Maison de l’Histoire de France se hasarde à« encourager les projets de recherche exploitant des sources inédites de l’histoire » (20). Ainsi la nouveauté d’une recherche reposerait sur le caractère « inédit » d’une source, un peu à la manière d’un scoop. On a là une conception de l’histoire dont la qualité reposerait sur la révélation et l’effet de surprise comme garanties d’une innovation, à l’image d’une « culture voyeuriste » qui fleurit dans notre société. C’est donc bien un projet d’histoire ancré dans son époque que nous propose J-F. Hébert. Autre proposition surprenante à propos des sources : il faudrait que « des sources fondamentales de notre histoire soient éditées » (21). On peut immédiatement poser la question de savoir ce qu’est « une source fondamentale » ? Il est donné en exemple des correspondances de grands hommes. Affleure encore ici une conception de l’histoire qui réifie les sources, leur attribue une valeur intrinsèque que le questionnement historien depuis près d’un siècle a relativisé au bénéfice d’une pratique réflexive qui place au centre de l’enquête historienne la construction d’une problématique et non les sources.
Finalement, la question qui justifie le projet procède d’une double interrogation qui mérite d’être mise en exergue : « Ainsi, « depuis quand la France ? » présuppose de s’interroger sur « qu’est-ce que la France ? » et c’est bien cette question centrale qui est au coeur du projet de création d’une « maison de l’histoire » aux Invalides » (22). Une telle naturalisation de l’objet de l’enquête est inacceptable : on passe d’une dimension chronologique à une dimension ontologique et, ce faisant, il me semble que l’historien n’a plus sa place dans l’enquête.
Ultime incartade au métier d’historien, à mettre au compte de J-F. Hébert. La « Galerie de l’histoire de France » proposera trois niveaux : la découverte, l’approfondissement et le débat. Intéressons nous au troisième niveau. On lit : « Le parcours général de la galerie de l’Histoire de France doit introduire le visiteur au débat contradictoire indispensable à la compréhension du récit historique, antithèse et antidote à toute histoire officielle. Autour d’un socle factuel, il montrera les différentes présentations auxquels les événements ont donné lieu sur le moment même et les interprétations divergentes qui en ont été tirées par la suite » (23) . Cette proposition est d’une grande naïveté : en quoi consistera le « socle factuel » qui échappera à la suspicion d’être une présentation particulière des faits, voire une interprétation des faits. Cette vision des choses découle de l’idée que l’histoire pourrait être neutre, isolée d’une construction qui nécessairement répond aux questions du présent. L’historiographie enseignée aux étudiants ne prétend pas leur dire : voilà ce qu’est l’histoire, et voilà les histoires qui en ont été faites. Cette dualité n’a aucun sens, elle vide de son contenu la fameuse « galerie de l’histoire de France », ou plutôt, elle démasque le parti pris sur lequel elle reposera forcément, malgré les allégations de ses concepteurs.

Le site de l’Hôtel de Soubise

A propos du site choisi, le quadrilatère du Marais qui abrite les archives nationales depuis le début du XIXe siècle, les rapports entre eux sont contradictoires. Le récent arbitrage a fait le choix du site des Archives nationales, prenant acte de l’abandon du projet de rénovation du musée des Archives, fermé depuis 1995 mais en cours de refondation depuis 2000 sous l’égide d’un véritable comité scientifique (24). Or, on pouvait lire en 2008 à propos du « projet scientifique pour le musée des Archives nationales » (25) : « Le décor intérieur prestigieux de ces bâtiments, tout en étant l’un des principaux attraits du Musée, constitue une contrainte architecturale qui s’impose à toute présentation muséographique et qui suppose une collaboration étroite avec les services compétents de la direction de l’Architecture et du Patrimoine ». Ainsi, les contraintes de 2008 seraient devenues des atouts pour accueillir le projet de Maison d’histoire de France en 2010 ? On a là, à deux ans d’intervalle, des affirmations peu crédibles. On apprend dans le rapport Hébert que le travail de préfiguration de ce musée des Archives nationales a abouti à une impasse en 2005, à partir du moment où le déménagement à Pierrefitte était lancé (26) . Il faut peut être plutôt envisager que le travail d’un véritable conseil scientifique a été mis au placard au profit du programme actuel dont nous avons démontré le caractère instrumental et peu crédible sur le plan scientifique.
Notons enfin qu’est rattaché au Musée des archives nationales, depuis les années 1950, un service éducatif qui accueille des élèves de tous les âges et des étudiants, pour les faire participer à des ateliers thématiques qui permettent de mettre en valeur le travail historien à partir des archives (27). La prétention affichée par le rapport Hébert d’enfin mettre à la disposition de tous les publics une institution susceptible de mettre à leur disposition le travail de l’historien est une fiction, ou plutôt une méconnaissance de l’existant pour faire valoir l’idée d’une innovation. Précisons que le service éducatif n’est pas doté d’un budget très important, mais que la méthode consiste à supprimer ce qui existe pour faire croire qu’on va inventer. Alors comment peut-on accepter de lire : « Il est fondamental que le monde enseignant s’approprie la Maison de l’Histoire de France qu’il doit considérer comme le prolongement naturel, comme le complément indispensable, de l’enseignement dispensé en classe » (28).

J’ai souhaité instruire ma critique du projet de Maison de l’Histoire de France à partir de ma double expérience, de chercheuse en histoire et d’enseignante en poste aux Archives nationales. En contextualisant le projet et en procédant à une lecture critique des rapports de préfiguration, il semble difficile d’imaginer que cette future institution sera susceptible de promouvoir la recherche en histoire quoi qu’en disent ses défenseurs pour la simple raison qu’ils ignorent, par naïveté ou cynisme, les contraintes du métier d’historien.



Isabelle Backouche
Maître de Conférences en histoire, EHESS-CRH


Sites consultés :
• Le blog de la fédération française de la généalogie http://leblog-ffg.over-blog.org/art...
Les trois rapports utilisés comme sources sont consultables à l’adresse suivante :



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Notes :


(1) Rapport Hébert, p. 17.
(2) Rapport Hébert, p. 11, note 15 et p. 16, note 22.
(3) Il s’agit de H. Lemoine, « La Maison de l’Histoire de France ». Pour la création d’un centre de recherche et de collections permanentes dédié à l’histoire civile et militaire de la France, avril 2008 ; J-P. Rioux, Sites susceptibles d’accueillir un musée de l’Histoire de France, Mai 2009 ; J-F. Hébert, Éléments de décision pour la Maison de l’Histoire de France, avril 2010.
(5) Rapport Hébert, p. 6
(6) Rapport Hébert, p. 16.
(7) Voir plus précisément pour la classe de Première, le programme paru au BO du 30 septembre 2010, http://www.education.gouv.fr/cid533...
(8) Rapport Hébert, p. 13.
(9Le Figaro Magazine, 16 octobre 2010. Valérie Pécresse y commente la publication du premier palmarès des universités françaises.
(10) Lettre de mission du 31 mars 2009 du président de la République à Eric Besson, ministre de l’immigration, de l’Intégration et de l’Identité nationale, cité dans Libération du 15 octobre 2010, p. 1
(11http://leblog-ffg.over-blog.org/article-herve-lemoine-nouveau-directeur-des-archives-44181930.html. Plusieurs photos sont accessibles à cette adresse attestant de la tenue de l’événement.
(12) Nous donnons à la fin de ce texte, toutes les adresses des sites que nous avons visités.
(13) Rapport Lemoine, p. 25. Notons une variante, liée probablement à des copies hâtives : « Décrire, voir, faire voir et comprendre l’histoire ». Aucune référence ne permet de stabiliser la phrase attribuée à Braudel, nouvelle incartade au métier d’historien.
(14) Seul Marc Ferro est cité, sans qu’on sache le rôle qu’il a joué dans la consultation. Il semble que ce soit au titre de son appartenance au conseil d’administration des archives nationales.
(15) Remarquons dans sa biographie un passage en 1989-90 dans les établissements de préfiguration de la bibliothèque de France dont on sait combien l’architecture et les bâtiments sont au service de la communauté scientifique…
(16) Rapport Lemoine, p. 17-18. Plusieurs textes d’historiens sont cités à l’appui de cette affirmation, et je laisse à ces auteurs la responsabilité de leurs écrits mais je ne suis pas certaine que leur diagnostic appelait une Maison de l’Histoire de France comme mode de guérison des maux des Français. Disons peut-être qu’ils ont joué aux apprentis sorciers.
(17) Rapport Lemoine, p. 17
(18) Rapport Hébert, p. 10
(19) Rapport Lemoine, p. 58
(20) Rapport Hébert, p. 13, note 18.
(21) Rapport Hébert, p. 14.
(22) Rapport Lemoine p. 65
(23) Rapport Hébert, p. 11.
(24) Sont cités parmi les historiens en faisant partie : Daniel Roche, Pierre Nora, Jacques Olivier Boudon, Alain Corbin.
(25) Rapport Lemoine, p. 80
(26) Rapport Hébert p. 30.
(27) Détachée à mi-temps de l’enseignement secondaire, j’ai travaillé neuf ans dans ce service éducatif, de 1987 à 1996, et j’ai par exemple conçu un atelier thématique fondé sur une sélection d’archives repérées au cours du travail de thèse que je réalisais au même moment sur les relations entre Paris et la Seine. Une véritable synergie existait entre professeurs d’histoire, documentalistes, archivistes et conservateurs pour faire vivre un lieu qui accueillait plusieurs milliers d’enfants et d’étudiants par an.
(28) Rapport Hébert, p. 12.

vendredi 24 septembre 2010

Virer l’Afrique de l’histoire de France, il paraît que C dans l’air du temps par Laurence De Cock, Suzanne Citron et Jean-Pierre Chrétien



Les nouveaux programmes d’histoire de 5ème introduisent l’histoire des royaumes médiévaux africains. Certains s’indignent que l’on puisse substituer aux grandes figures héroïques françaises la vulgaire étude de mondes lointains…
L’affaire commence par une déclaration d’intention qui fleure bon les plumiers et les pages jaunies de l’école de la troisième république : « Pour promouvoir et défendre l’Histoire de France et son enseignement dans l’Instruction Publique », laquelle instruction publique n’existe plus depuis 1932. Ringard ? point du tout, c’est sur Facebook, c’est du vrai débat de réseau social, c’est du sérieux (1). Car il y est question de défendre la vraie France, celle de nos ancêtres, celle de nos héros, la France qu’on aimerait que nos enfants (ré)apprennent à aimer. La France des livres d’histoire de papi et mamie, belle, éternelle, fécondée par Clovis qui lui a donné son nom, magnifiée sous Louis XIV, et sublimée par Napoléon. Et cette histoire là est aujourd’hui malmenée, violentée par les programmes scolaires de collège qui préfèrent les empires médiévaux africains (Songhaï et Monomotapa) à nos grandes figures totémiques, lesquelles ont été, du coup, capturées par le front national. Si vous êtes convaincus par la pertinence de l’argumentation, il y a une pétition à signer.
Bien-sûr, on connaît la rengaine de ces missionnaires de l’identité nationale, on l’a suffisamment désossée ces derniers temps. Et le discours est tellement grotesque qu’en cette rentrée scolaire déjà suffisamment compliquée, on n’avait guère plus de quelques secondes à perdre à pester contre ces pitreries. Mais c’était sans compter sur l’acuité de la presse qui perd rarement une occasion de s’engouffrer dans la brèche d’une possible et énième polémique sur « l’enseignement en France qui fout le camp, c’est comme tout ma bonne dame ». A commencer par Le Figaro qui part donc interroger le docteur de l’âme blessée de la France, Max Gallo (2), lequel trouve que « l’enfer est pavé de bonnes intentions » et craint le « zapping ». Mazette. Ce n’est donc pas Bénin (pardon pour le jeu de mot, c’est cette mode africaine, que voulez-vous).

Il est vrai que le véritable instigateur de la campagne pour l’hexagonalisation des programmes de collège est pugnace. Dimitri Casali est présenté successivement comme historien, spécialiste de la révolution, puis de Napoléon, puis de l’immigration, puis un peu enseignant tout de même, « en ZEP » bien entendu. Autant dire qu’il s’y connaît en drapeau bleu blanc rouge bafoué. Dans sa pétition pour le rétablissement de Louis XIV et Napoléon 1er (lesquels n’ont jamais disparu des programmes) , il fait montre de tous ses talents de polémiste historien polyvalent. A commencer par la référence obligée à Marc Bloch et à sa célèbre citation désormais tronquée à tout va qui, en version « casaliste » donne ceci : « Ceux qui ne frissonnent pas à l’évocation du baptême de Clovis et de la fête de la Fédération de 1790 ne comprendront jamais l’histoire de la France » tandis que la citation originale est la suivante : "Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l’histoire de France , ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération." Nom de Dieu, mais où est donc passé Clovis ? 
Certes, sortie de son contexte, à la manière de Nicolas Sarkozy lors de sa campagne électorale, l’affirmation peut venir valider les prétentions nationalistes les plus primaires. Mais comme le rappelle Gérard Noiriel (3), loin de la perspective du consensus national, Marc Bloch, dans L’étrange défaite, se fait le défenseur d’un libre et nécessaire combat des « philosophies sociales contraires ». Il déplore ainsi que les élites n’aient pas su forger des fêtes populaires susceptibles de mobiliser le peuple autour d’idéaux démocratiques. On est loin de l’apostolat national. Dans le même ouvrage, Marc Bloch écrivait d’ailleurs : "Je ne crois nullement plus difficile d’intéresser un enfant aux vicissitudes d’une technique, voire aux apparentes étrangetés d’une civilisation ancienne ou lointaine, qu’à un changement de ministère".




Mais ce n’est pas l’avis des invités du lundi 6 septembre de l’émission C dans l’air sur France 5, avec au casting : 


- Le représentant de l’institution : Laurent Wirth, Doyen des Inspecteur généraux d’histoire et géographie



- L’historien chercheur habitué du plateau de la chaîne : Fabrice d’Almeida



- L’historien amateur auteur d’une « Histoire de France pour les nuls » : Jean-Joseph Julaud



- L’historien polyvalent polémiste en croisade : Dimitri Casali



- Le présentateur novice, autoproclamé porte parole des Français d’en bas qui ne connaissent rien à l’enseignement de l’histoire et à qui il faut parler simplement et pas comme des spécialistes s’il vous plaît : Thierry Guerrier.


Le dispositif a donné lieu à une bien belle expérience de surdité partagée. Autour de joutes profondes et animées que l’on pourrait résumer ainsi :
- Louis XIV n’est pas au programme / Si il y est / Napoléon III a disparu des programmes ?/ Non c’est Napoléon 1er/ Qui n’a pas disparu, regardez les programmes / Regardez moi dans les yeux et dites moi que Clovis n’a pas disparu des programmes / moment de frisson / alors alors ? /Et Charles Martel, hein, il est dans les programmes ? / Non, il n’y est pas /Ben voilà. Sourire de satisfaction béate/ et tout ça parce que Christiane Taubira, en 2001, avec les « Indigènes de la République » (ils se sont créés 4 ans plus tard !) a fait une loi qui ne concerne que la traite africaine…

Précisant bien qu’on ne peut pas l’accuser de conservatisme car il a écrit un livre sur « ces immigrés qui ont fait la France », Dimitri Casali y lance un cri d’alarme : si les jeunes croient aujourd’hui que le drapeau bleu blanc rouge est celui du Front national, c’est parce qu’ils ne peuvent plus s’identifier au panthéon républicain et nourrir le désir de se mettre au service de la grandeur nationale. Dans ce cas, l’urgence n’est certainement pas d’aller promener ses neurones dans la brousse africaine. Thierry Guerrier relance parfois le débat pour comprendre – car il VEUT comprendre- et bigre, par deux fois, lance la question brûlante : Serait-ce parce qu’il y a des enfants issus de l’immigration dans les classes ? Question évincée, contournée, où on comprendra que le petit Mohamed ou le petit Mamadou ont quand même le droit de rêver : le petit Corse Buonaparte ne fut-il pas un modèle « d’intégration réussie » !? Ils peuvent aussi rêver de se faire baptiser à Reims, comme Clovis, avant de repousser Charles Martel à Poitiers…




On peut certes discuter des modalités de l’intégration de l’histoire africaine dans le récit scolaire et dans ces nouveaux programmes. Est-ce un hasard, par exemple, si dans cette polémique ridicule, on a évité soigneusement de citer l’empire du Mali (qui figure aussi dans le nouveau programme et qui risquait d’être mieux connu des auditeurs) et si on s’est empêtré à plaisir dans le Monomotapa célébré par La Fontaine sans jamais citer les fortifications de Zimbabwe ? Mieux vaut peut-être, pour l’Afrique, parler de ce que l’on ignore, du plus « exotique », et « oublier », dans les deux cas (pays du Sahel et pays du Zambèze) que l’or qui en provenait fut durant des siècles un des supports essentiels du commerce international, de la Méditerranée à l’océan Indien. Pour le dire plus clairement, « oublier » que, sans l’or africain, on ne peut comprendre l’économie de l’Occident médiéval. Maurice Lombard l’avait déjà expliqué dans les Annales il y a un demi-siècle… Mais il parait, a-t-on entendu dans la bouche de M. Casali, que l’histoire des Annales est une affaire d’intellos révolue et que le bon peuple de France doit enfin bénéficier d’un retour enchanté aux images d’Epinal de nos grands-parents. C’ dans l’air le revival lavissien. Et vraiment, il est navrant de tendre un porte-voix à ceux qui, de concert avec notre président, pensent encore que « le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire » (4).… de France ?



Laurence De Cock, professeure d’histoire-géographie au lycée Joliot Curie de Nanterre
Suzanne Citron, historienne
Jean-Pierre Chrétien, historien africaniste.


Tous trois sont membres du CVUH : comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire.


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Notes :

(3) « Marc Bloch » notice de Gérard Noiriel dans Laurence De Cock et alii, Comment Nicolas Sarkozy écrit l’histoire de France, Agone, 2008.
(4) Nicolas Sarkozy, discours de Dakar, 26 juillet 2007. Voir Jean-Pierre Chrétien et al., L’ Afrique de Sarkozy. Un déni d’histoire, Karthala, 2008

La tentation du bouc émissaire par Guillaume Mazeau.


Réagissant aux graves violences perpétrés par une cinquantaine de personnes à Saint-Aignan, Brice Hortefeux a rapidement donné le ton : « Les gens du voyage ne sont pas au-dessous des lois, ils ne sont pas au-dessus non plus ». Le 21 juillet, Nicolas Sarkozy a annoncé une réunion « sur les problèmes que posent les comportements de certains parmi les gens du voyage et les Roms » afin d’expulser « tous les campements en situation irrégulière ». En quelques jours, un problème de droit commun a ainsi conduit à la stigmatisation officielle d’une communauté tout entière. Sœurs d’infortune des sans-papiers, ces populations sont ainsi livrées en pâture à l’opinion publique comme les « ennemis de l’intérieur » d’une société dépressive, malade d’elle-même et qui cherche des coupables. Pour masquer leur impuissance devant la crise, les autorités politiques prennent donc la responsabilité d’organiser une chasse aux boucs émissaires à coups d’amalgames entre « gens du voyage » et « Roms ». Jugées par avance, ces populations sont les premières cibles d’une politique de salissure et d’expulsion comme en témoignent le marquage au tampon dont certains Roms de l’Essonne ont été victimes en 2009 ou la récente destruction du bidonville du Hanul (Seine-Saint-Denis). En dénonçant des populations déjà mises au ban de la société, les autorités alimentent un climat explosif.
Loin de trahir l’impossible intégration de la communauté des « gens du voyage », les violences de Saint-Aignan révèlent avant tout le divorce entre l’Etat et les citoyens les plus précaires. Comme ce fut le cas à Clichy-sous-Bois en 2005 après l’électrocution de Zied et Bouna, mais aussi à Villiers-le-Bel en 2007 après le décès de deux adolescents ou à Grenoble le 16 juillet dernier après la mort d’un jeune braqueur du quartier de La Villeneuve, la rébellion de Saint-Aignan, partie de la mort d’un jeune homme ayant forcé un barrage de police, est due au sentiment d’injustice ressenti par des populations de plus en plus exclues. Enfermées dans une logique de violence, celles-ci rejettent, jusqu’à faire littéralement la guerre aux policiers ou même aux pompiers, ceux qui prétendent exercer une autorité au nom de l’Etat. Plusieurs fois publiquement insulté, le président de la République n’échappe pas à cette nouvelle forme de défiance contre les élites de la République, qui se banalise aujourd’hui bien au-delà des banlieues et des populations les plus précaires.
Lassés par les dérobades et les trahisons des puissants, les Français veulent que tombent des têtes. Des caprices des Bleus à l’affaire Woerth-Bettencourt en passant par les cigares de Christian Blanc et le jet privé d’Alain Joyandet, les dernières semaines ont été émaillées d’incidents aussitôt convertis en « affaires » aussi accidentelles que révélatrices d’un profond passif entre le peuple et les élites (voir l’interview de Marcel Gauchet dans Le Monde du 17 juillet). Ecœurées par les abus de pouvoir et l’insolent sentiment d’impunité affiché par certains dirigeants (condamné le 4 juin pour injure raciale, le ministre de l’intérieur n’a même pas démissionné), écrasées par la précarité et frustrées par la panne de l’ascenseur social, les classes moyennes cèdent aux sirènes d’un antiélitisme parfois primaire, dont certains prophètes de malheur comme Michel Onfray, détruisant à l’aveugle toutes les formes d’autorité, opposant systématiquement corruption des « grands » à la vertu des « petits », se font les irresponsables porte-paroles.

Crise économique et sociale, haine des élites, chasse des populations marginales, succession d’affaires politico-médiatiques paralysant le débat public : les années 2010 s’ouvrent sur un climat qui rappelle les plus graves crises de notre histoire. La première, dans les années 1780, s’est soldée par une décennie de Révolution. La seconde, dans les années 1930, a engendré le collaborationnisme et le pétainisme. Forts de notre expérience démocratique, il est temps que nous choisissions les termes de notre avenir et que nous réinventions les utopies collectives dont la République a toujours eu besoin pour résister à la politique du pire. 


Guillaume Mazeau, maître de conférences en histoire moderne, Institut d’histoire de la Révolution française, membre du CVUH (comité de vigilance sur les usages publics de l’histoire)
(article publié dans Le Monde du 24 juillet 2010 sous le titre « Des leçons de Saint-Aignan »).

La politique de sécurité n’est pas la sûreté de la Révolution française par Guillaume Mazeau


Interviewé sur France Inter le 23 août, le ministre de l’Immigration a ainsi défendu le tour de vis sécuritaire annoncé par Nicolas Sarkozy : « C’est comme ça que s’est construite la Révolution. Ce qu’on appelait […] la sûreté, aujourd’hui on dirait la sécurité, c’était bien la loi qui protège, l’Etat qui protège les faibles, les opprimés et les plus fragiles, et c’est toujours le cas dans notre société. »
En établissant cette filiation, Eric Besson tente de démontrer que l’actuelle politique sécuritaire ne trahit pas les valeurs républicaines mais qu’au contraire, elle les garantit. Ainsi présentées, les lois sur la sécurité annoncées cet été par Nicolas Sarkozy seraient même fidèles à l’esprit de la Révolution française, puisque selon Eric Besson, ces lois rappellent que le premier devoir de l’Etat est de protéger les citoyens les plus vulnérables.
Il est pourtant impossible d’amalgamer la notion de « sûreté », telle qu’on l’employait au XVIIIe siècle et celle de « sécurité », telle qu’on l’entend aujourd’hui. En 1789, une des premières urgences des révolutionnaires était d’éliminer les atteintes à la liberté individuelle : les arrestations décidées de manière arbitraire étaient devenues les marques les plus honnies du despotisme monarchique.
Dès le 26 août, la sûreté est ainsi inscrite dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen comme un des droits naturels et imprescriptibles (art. 2). Inspirée de l’exemple anglais (l’Habeas corpus de 1679 interdit d’être emprisonné sans jugement) puis popularisée par les penseurs des Lumières, la notion de sûreté individuelle est alors définie comme la garantie qu’a toute personne de ne pas être détenue arbitrairement, mais selon les formes et conditions prévues par la loi.

La défense de la « sûreté » des personnes, qui vise à protéger les individus contre l’arbitraire de l’Etat, n’a donc rien à voir avec la notion de « sécurité » telle que l’emploie Eric Besson. Le terme de « sécurité » ne s’est imposé que depuis les années 1980 pour désigner le droit à être protégé des violences civiles. Ainsi associé au maintien de l’ordre public, il se rapproche davantage de ce qu’au Siècle des lumières, on nommait « tranquillité publique » ou encore « sûreté générale ». Mais, surtout depuis la loi du 18 mars 2003 sur la sécurité intérieure, ce droit est désormais compris dans son sens le plus restrictif : le devoir de l’Etat est de protéger les citoyens et leurs biens contre les délinquants, quitte à menacer la sûreté des personnes (fouilles, contrôles d’identité, fichage ADN…). En assimilant la sécurité à la protection des droits fondamentaux de l’homme, Eric Besson ne fait ainsi que reprendre une stratégie électoraliste déjà tentée par le garde des Sceaux Alain Peyrefitte, qui affirmait en 1980 devant la montée de la gauche : « La sécurité est la première des libertés . » 


Guillaume Mazeau, maître de conférences à l’Institut d’histoire de la Révolution française, est membre du Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire (Cvuh)
(article publié dans Libération du 1er septembre 2010 sous le titre « La sécurité de Sarkozy n’est pas la sûreté de la Révolution »).

mardi 18 mai 2010

Nouvelles confrontations et usages politiques de l’histoire Permis d’exhumer le passé en Espagne par Mari Carmen Rodríguez


Les récentes manifestations de soutien en faveur du magistrat Baltasar Garzón alors qu’il était menacé de destitution pour avoir officiellement osé demander l’ouverture d’une procédure judiciaire en défense des victimes des crimes de la guerre civile et du franquisme, ce qui a été confirmé le 14 mai 2010, ont réussi à porter sur la scène internationale les enjeux d’un conflit mémoriel irrésolu qui persiste en Espagne depuis la période en question. Les attaques politiques et institutionnelles menées contre Garzón ont provoqué une levée de boucliers d’une part importante de la société civile, d’ONG de droits humains, de juges, de politiciens, d’intellectuels ou de personnalités publiques, qui ont manifesté leur opposition à cette atteinte au respect des droits humains insoutenable dans une démocratie digne de ce nom.
Le Conseil des droits humains des Nations unies (CDHN), siégeant à Genève, a placé l’Espagne au cœur de ses discussions. Si, comme l’a souligné le secrétaire d’Etat aux Affaires constitutionnelles, José Luis de Francisco, ce pays se distingue depuis quelques années pour ses avancées progressistes telles que la lutte contre la violence de genre, le droit au mariage homosexuel ou la « loi de récupération de la mémoire historique », il a dû répondre, le 6 mai 2010, de son attitude inverse face à « l’impunité des crimes franquistes » devant les 55 membres du CDHN. Les critiques les plus acerbes sont venues de plusieurs pays d’Amérique latine, une région pour laquelle la transition espagnole a longtemps représenté un modèle exemplaire[1].
Parmi les imposantes mobilisations qui ont relayé le mouvement de protestation dans plus de 21 villes d’Espagne, mais aussi au Portugal, en France, au Mexique et en Argentine, citons celle qui a occupé, samedi 24 avril 2010, l’avenue d’Alcalá, artère emblématique de la capitale. L’itinéraire a suivi celui des manifestations habituelles, depuis la place de Cibeles, au pied du Palais des Communications, jusqu’à la porte du Soleil, la puerta del Sol, cœur symbolique de la ville, pendant près de deux heures. L’assistance, dont les estimations se situent entre 59’700 et 100’000 personnes, a réuni une grande diversité de manifestants, de tous âges, de diverses nationalités, professions ou appartenances politiques, proches ou non des victimes de la répression franquiste, tous réunis par la nécessité de leur rendre justice et de défendre l’universalité des droits humains.
A cette démonstration citoyenne massive s’est ajoutée la lecture à plusieurs voix d’un Manifeste de la « plateforme contre l’impunité du franquisme ». Le cinéaste Pedro Almodovar, l’écrivain Almudena Grandes, le détenu durant de longues années de la dictature, Marcos Ana et le porte-parole de l’ONG Human Rights Watch Reed Brody ont souligné leur solidarité avec les victimes qui demandent vérité, justice et réparation. Pointant l’ironie d’une magistrature espagnole qui n’applique pas dans son propre pays les normes qu’elle a fièrement arborées pour juger à juste titre les tortionnaires en Amérique latine, ils ont rappelé aux représentants de l’Audience nationale qui entendent condamner Garzón que les véritables crimes sont les assassinats et les disparitions forcées, et non l’investigation. Le fait qu’une initiative soutenue par la Phalange espagnole et le groupe d’extrême droite Manos limpias (mains propres) ait réussi à paralyser le procès contre les crimes franquistes est un scandale sans précédent dans l’histoire de la démocratie espagnole. La « loi de récupération de la mémoire historique » est un processus qui doit se poursuivre pour éviter que de tels non-sens se reproduisent. Enfin, les porte-parole ont rappelé que la société civile a tenté d’exprimer dans la rue, au-delà des labyrinthes de l’argumentation judiciaire, le fait que c’est la dignité des victimes qui est en jeu. Le Manifeste s’est clos par une minute de silence en leur hommage pour dire « non à l’impunité ».
Parallèlement à la marche organisée pour soutenir l’action de Garzón, la concurrence mémorielle s’est illustrée de manière asymétrique par un cortège réduit à une plus simple expression : 100 phalangistes de tous âges qui ont défilé bras levé, entonnant l’hymne franquiste du Cara al Sol en longeant la rue Génova. Ce parcours est emblématique puisque cette rue a vu naître le fondateur de la phalange, José Antonio Primo de Rivera. La marche des héritiers directs du fascisme espagnol, co-auteurs de la pétition pour destituer le juge Baltasar Garzón, s’est arrêtée devant le siège du Tribunal suprême pour réclamer la tête du magistrat. Les dirigeants n’ont pas participé à cette marche. Le Conseil national du parti s’était réuni pour préparer une réponse à son exclusion de la procédure par le même juge d’instruction (Luciano Varela) qui a mis en cause la personne de Garzón.
Aujourd’hui, la rue Génova héberge également la direction du Parti populaire, qui n’a pris part à aucune des manifestations, mais dont le positionnement dans cette affaire a consisté à défendre les décisions du Tribunal, garant du respect de la « démocratie », et à accuser les manifestants de vouloir « rouvrir les blessures du passé ». Cette argumentation, qui défend les décisions de la magistrature au nom de la loi d’amnistie de 1977, cache aussi une motivation moins humaniste. L’ostracisme qui frappe le juge Garzón serait fort bienvenu dans la mesure où ce magistrat a dirigé, au cours de ces derniers mois, une enquête nationale contre un imposant réseau de corruption dans lequel sont impliqués de hauts dirigeants du PP (l’affaire Gürtel, regroupant des délits de détournement de fonds publics, de financement illégal du parti et de fausses factures). L’image du parti a ainsi été fortement mise à mal par les enquêtes ordonnées par Garzón. Prise dans ce contexte, l’instrumentalisation du passé par le PP, qui consiste à rappeler les devoirs de respect de la loi d’amnistie de 1977 répond ainsi avant tout à ses intérêts politiques les plus immédiats. Elle relève également d’une stratégie à géométrie variable tant cet appel au respect des tribunaux n’est plus de mise face aux enquêtes qui entachent les membres corrompus du parti.
Quoi qu’il en soit, ces confrontations mémorielles du 24 avril 2010 ont révélé qu’une large majorité de la société civile espagnole était désormais encline à placer le jugement des « crimes contre l’humanité » au-dessus du consensus politique hérité de la transition, qui semble avoir révélé toutes ses limites.

Déconstruire les usages publics de l’histoire dans un contexte donné contribue à mieux comprendre une société
Pour comprendre cet infléchissement mémoriel des Espagnols par rapport à leur passé traumatique, mais aussi les dangers que soulèvent la judiciarisation de la mémoire proposée par Garzón et les récents usages de l’histoire pratiqués par les associations pour la « récupération de la mémoire historique », il est nécessaire de rappeler que les enjeux de mémoire actuels en Espagne sont le fruit de l’instrumentalisation politique du passé qui a été mise en place dès la guerre civile. Mémoires multiples, enchevêtrées, mythes reproduits consciemment ou inconsciemment, y compris par les historiens, ces confusions sont l’écho d’usages mémoriels qui se déclinent en trois temps : l’épisode traumatique de la guerre civile (1936-1939), la dictature franquiste (1939-1975) et la période succédant à la loi d’amnistie de 1977.

1936-1939 : l’usage en guerre des mémoires concurrentielles
Durant les hostilités, les acteurs en lutte ont diffusé des « romans nationaux » concurrentiels au service de leur idéologie, interprétant le passé, mais aussi le présent dans un vaste effort de propagande. La guerre civile a constitué un espace de « re-nationalisation » pour l’Espagne contemporaine[2]. L’usage patriotique de l’histoire et de la culture a représenté un outil privilégié au service des projets politiques en jeu. La recherche de l’unité, basée sur la ré-invention de valeurs fédératrices, ou l’élaboration d’appartenance à des comunautés imaginaires, mais aussi la construction d’une figure stéréotypée de l’ennemi, ont constitué les sillons de ces multiples intrumentalisations mémorielles.
Du côté franquiste, la nostalgie d’un passé sélectif, axée sur la grandeur impériale, l’autorité du Chef et les valeurs traditionnelles, a été placée au service d’un projet politique nationaliste et autoritaire qui a été légitimé par la hiérarchie catholique dès les premières semaines du conflit. Le combat des nationalistes entendait justifier leur nouvelle « Croisade » par la nécessité de récupérer l’« espace vital » nécessaire à la « race espagnole ». Ils se sont revendiqués d’une lignée de chefs historiques ibériques, en majorité castillans, ayant contribué à faire de l’Espagne une puissance coloniale.
Le passé sélectionné par la propagande franquiste s’est appuyé sur des mythes collectifs de l’impérialisme catholique médiéval de la Reconquista tels le Cid ou Saint-Jacques le Matamore. L’histoire, supplantée par le mythe, a convergé vers l’idée d’une Espagne unifiée et impériale qui a servi de prétexte à l’exaltation nationaliste contemporaine. D’autres figures historiques, liées à la construction de l’Empire espagnol, ont été instrumentalisées par le régime franquiste. Il s’agit notamment des Rois Catholiques Isabelle et Ferdinand, de Charles Quint et de Philippe II. Le culte de la pensée impériale s’est inscrit dans le sillage d’une longue tradition d’usage politique du passé, issue de la fabrication de récits identitaires, à l’instar de nombreuses nations en quête de légitimation à la fin du XIXe siècle[3]. Cette « invention de la tradition », selon les termes d’Hobsbawm et Ranger[4], s’est traduite dans les milieux conservateurs au cours des années 1930, par le projet d’un Nouvel Etat autoritaire et expansionniste en réponse à une « Espagne en ruine ». Le mythe impérial a notamment été réinvesti par le mouvement national-syndicaliste, par la Junte castillane d’action hispanique, par le parti Action espagnole[5] et par la Phalange[6]. La Conquête était perçue comme un Age d’Or qui avait été corrompu par la contagion d’idées révolutionnaires et libérales du XVIIe au XIXe siècles, piliers de l’anti-Espagne, un paradis perdu qu’il s’agissait de retrouver.
La guerre civile a ainsi ouvert la voie à une « re-nationalisation » de l’histoire que les franquistes ont abondamment exploitée sur le modèle suivant :
Le 17 juillet 1936, l’Armée, secondée par le peuple et les milices, s’est érigé avec le devoir sacré de sauver l’Espagne d’un Gouvernement anticonstitutionnel, tyrannique et frauduleux, qui livrait notre Patrie au communisme international.
L’Armée, les chemises bleues de Castille et les bérets rouges de Navarre[7], emplissent les rues et les places de leurs vibrants hymnes. L’épopée glorieuse de la Reconquête commence. […] Nous sommes en présence d’une guerre qui revêt, chaque jour un peu plus, le caractère d’une croisade, d’une grandeur historique et d’une lutte transcendantale de peuples et de civilisations. Une guerre qui, une fois de plus dans l’Histoire, a élu l’Espagne comme champ de tragédie et d’horreur, pour résoudre et apporter la paix au monde devenu fou aujourd’hui.[8]
Cet usage mémoriel faisait écho aux alliances politiques décisives qui se sont nouées au fil du conflit. Le 29 septembre 1936, Francisco Franco de Bahamonde, nommé Chef d’Etat par la Junte de Défense des insurgés, a reçu la bénédiction de l’évêque Pla y Deniel qui a salué sa « Croisade » par une lettre pastorale. En novembre, la machine répressive a été instituée par la création des conseils de guerre et en avril 1937, l’unification des plus grands partis du Mouvement national a été décidée. Enfin, en 1938, avec la mise en place officielle du gouvernement nationaliste à Burgos, le « sacre » de Franco à la cathédrale a transformé le chef militaire en dictador máximo[9], contrôlant l’administration de l’Espagne nationale et sa propagande[10].
De son côté, le gouvernement républicain a également recouru à l’usage public de l’histoire au cours de la guerre civile au service d’une « Espagne Nouvelle », démocratique, antifasciste, aux prises avec les auteurs du coup d’Etat de 1936. Cette diffusion faisait écho à la vision d’une part importante des intellectuels progressistes qui ont participé à la construction d’une identité nationale au cours de la première étape de la République (1931-1933). Ils avaient alors exclu des organes de décision les valeurs traditionalistes, monarchiques ou catholiques conservatrices[11]. Les deux années suivantes, marquées par le retour des partis conservateurs et réactionnaires au gouvernement (1934-1936), ont par contre été marquées par l’annulation des réformes et par la répression face aux revendications ouvrières. L’exemple le plus marquant reste celle qui a étouffé la grève minière dans les Asturies et une mobilisation dans les grandes villes de la péninsule, pour protester contre le changement de direction politique du gouvernement. Le jeune militaire Francisco Franco, chargé d’organiser la répression à la tête des troupes coloniales, a fait une première entrée violente sur la scène nationale. Ce contexte de crise a semble-t-il joué un rôle dans les élections de février 1936, qui débouchent sur une configuration plus progressiste. Le coup d’Etat de juillet des généraux réactionnaires a dès lors été annoncé au nom d’un retour à une République conservatrice. Mais cette tentative de renversement s’est enlisée dans une confrontation de longue durée, nourrie par les divergences politiques.
La propagande des défenseurs de la légitimité du gouvernement de 1936 a convoqué les figures progressistes de l’histoire politique espagnole pour les placer au service de la nouvelle identité républicaine[12].  Les marques de « re-nationalisation » de l’histoire par une « République en guerre » vont se centrer sur une vision diachronique des épisodes « illustrés » de l’Espagne « intentionnellement passés sous silence » par les conservateurs et incarnant une société multiculturelle et tolérante. Des figures symboliques ont été choisies par les autorités républicaines pour incarner historiquement ces valeurs. Le passé médiéval a été, par exemple, abordé sous l’angle des apports de la civilisation éclairée d’Al Andalus. Le XIXesiècle, dénigré par les monarchistes et les catholiques, a incarné la volonté de construire une nation libérale. Le modèle de la Constitution de 1812 à Cadiz a été opposée au modèle de l’Espagne impériale des XVe et XVIe siècles, ainsi qu’aux figures des Rois Catholiques et de Charles V, que les conservateurs exaltaient inlassablement. La relecture de la Ière République de 1873, vue comme un prélude à la proclamation de la IIe République en 1931, a légitimé le combat des « républicains » dans la durée. La République en guerre s’est donc exclusivement établie en filiation avec le bienio progressiste (1931-1933), au risque de se figer dans une représentation utopique de démocratie idéale. L’icône du « peuple en armes » luttant contre l’envahisseur a servi de grille de relecture du passé. L’épisode du soulèvement des Madrilènes le 2 mai 1808 face à l’occupation napoléonienne est notamment devenu une représentation dominante de la lutte pour la liberté. Représentation des minorités opprimées, elle est devenue le reflet de la République menacée[13].
Cette instrumentalisation en faveur du gouvernement républicain cherchant à fédérer les forces intérieures et extérieures a progressivement glissé vers une uniformisation politique moins tolérante qui a occulté les divergences internes. Les épisodes de forte répression exercée sur les mouvements révolutionnaires durant le bienio negro, par exemple lors de la révolte des Asturies en 1934, ont été passés sous silence. La question épineuse du conflit avec les groupes dissidents durant la guerre civile comme le Parti ouvrier d’unification marxiste (POUM) ou la Confédération nationale des travailleurs (CNT) et la Fédération anarchiste ibérique (FAI), ont subi le même sort.
Dans ce contexte d’affrontement politique, l’usage des armes est venu prolonger la portée de la propagande. Par contre, comme l’ont relevé les études de ces dernières années, le recours à la violence n’a pas répondu aux mêmes dynamiques. La force et la violence ont connu un déploiement foncièrement asymétrique au détriment du camp républicain[14].
Dans les zones restées fidèles à la République, la guerre, notamment au cours des premiers mois, a provoqué un usage incontrôlé des armes par des milices, des comités locaux ou des individus isolés. L’Etat républicain a perdu à cette occasion le monopole de l’exercice de la violence. Le « peuple en armes » a également exercé une justice expéditive envers des propriétaires terriens ou industriels, de même qu’auprès d‘« indécis » qui refusaient de choisir leur camp. Néanmoins, cette violence ne peut être assimilée en qualité et en nombre aux exécutions massives par des troupes de choc franquistes pour qui la prise du pouvoir par la force (violence physique et psychologique) est devenue une méthode encouragée, autorisée, voire systématique. Elle s’est déclinée en deux temps : d’abord le coup d’Etat (assassinats extrajudiciaires, représailles directes sur les dissidents politiques, disparitions forcées, fosses communes), puis la violence paraétatique durant la guerre civile (camps de concentration, jugements militaires, travail forcé). Et, encore une fois, le nombre des victimes et la durée de la violence franquiste (bien au-delà de la guerre) ont été éminemment supérieurs aux débordements observés dans le camp républicain[15].


1939-1975 : le corsage mémoriel des « vainqueurs »
Après le conflit, la violence a persisté dans l’Espagne de Franco. La répression de l’après-guerre (prison, torture, camps de concentration, jugements militaires expéditifs, politiques mémorielles discriminantes, lois répressives, intimidation, contrôle) a servi de remède prophylactique pour éradiquer l’ennemi politique[16]. En 1940, Franco a notamment chargé  le Ministère de la Justice de mener une enquête sur les agissements de ses membres depuis 1936 en vue de leur condamnation et d’éventuelles réparations pour les victimes franquistes. Une commission, la Causa General, a été créée pour dispenser cette justice unilatérale.
 La propagande est venue justifier ces agissements en imputant aux vaincus la responsabilité des atrocités du conflit. Franco a tenté d’inculquer à la population, par l’éducation et la répression, une vision de l’histoire basée sur une sélection utile à la justification de sa Croisade nationale-catholique, en condamnant fortement toute opposition à la version officielle. Sa politique mémorielle  a tenté d’instituer une série de cérémonies publiques à grande échelle pour imposer, dans l’espace public, sa version de l’histoire. Outre la célébration imposante de la Victoire qui a pris place le 1er avril 1939, les funérailles exemplaires du chef de la Phalange, premier parmi les martyrs de sa Croisade, ont été relayées par ce besoin incessant d’honorer les héros de son camp dans tout le territoire. Le Généralissime a ordonné des exhumations en vue de l’identification des morts de son camp et a procédé aux réparations nécessaires pour les familles de victimes franquistes. Le comble de ce culte s’est incarné dans la construction d’un mausolée géant pour ces « dignes défunts » (el Valle de los Caídos), à 14 km du mausolée des rois d’Espagne (l’Escorial), commandé par le Généralissime en 1941. La politique mémorielle des vainqueurs a donc assigné un rôle de subalternité à la mémoire des vaincus. Cette dernière, jugée déloyale et punissable, a été reléguée à la clandestinité.
Durant le « premier franquisme » (1939-1959), le mythe de la Croisade nationale-catholique et la vision impériale ont occupé l’espace mémoriel officiel. Au mythe d’une guerre providentielle est venue se greffer progressivement l’idée d’une « guerre fratricide », une fatalité dont « tous les Espagnols ont été coupables », ce qui a contribué à éluder la responsabilité des putschistes[17].
Depuis la France, l’historien Tuñón de Lara est apparu comme la figure dominante de l’autre historiographie de la guerre civile[18]. Des contributions étrangères comme Le labyrinthe espagnol,  de Gerald Brenan (1943), réalisées par des chercheurs moins limités par la censure espagnole, ont également dressé un portrait social et politique du conflit qui rompait avec la vision franquiste. D’autres voix venues de l’extérieur comme celles de Gabriel Jackson, Edward Malefakis, Hugh Thomas, Burnett Bolloten, Pierre Vilar, Emile Témime et Pierre Broué, Guy Hermet ou Bartholomé Bennassar ont encore alimenté ce courant. Grâce à la maison d’édition Ruedo Ibérico établie à Paris, ces ouvrages ont circulé clandestinement en Espagne, particulièrement parmi les étudiants antifranquistes. A partir de 1956, les étudiants qui protestaient contre Franco parlaient déjà du « mensonge des vainqueurs »[19].
Guidé par la volonté de changer l’image de la dictature, un virage mémoriel a ouvert la voie au « deuxième franquisme ». Le discours politique officiel a renoncé, vis-à-vis de l’extérieur, à ses allures vindicatives. Afin de survivre historiquement au jugement moral et éthique du temps, le franquisme a soutenu la thèse que le fascisme italien et le nazisme allemand n’avaient rien à voir avec son régime, faisant de l’anticommunisme et du catholicisme les paradigmes spécifiques de l’action de son gouvernement[20]. Ce façonnement a valu à Franco la considération officielle des démocraties occidentales et l’image d’un partenaire fiable. L’aide économique américaine et la réintégration de l’Espagne aux Nations unies ont permis au dictateur d’assurer une longévité à son pouvoir. Les cérémonies officielles ont alors célébré un nouveau mythe : les « 25 ans de paix » apportés par Franco à la nation ibérique.
Quant à la « pédagogie » du régime  par la violence, si son intensité est sans commune mesure avec l’immédiat après-guerre[21], certaines condamnations expéditives, suivie d’une mise à mort violente se voulant exemplaire, ont constitué une arme menaçante, brandie par Franco jusqu’à la fin du régime. Les exécutions au garrot des dissidents Joaquín Delgado et Francisco Granados  (1963) ou Salvador Puig Antich (1974) en sont un témoignage éloquent.

1977-2009 : Les conséquences de la « transition de velours »
Avant la mort de Franco, sa succession avait été préparée. Le jeune prince Juan Carlos de Borbón devait restaurer la monarchie. Mais le processus de changement initié au cours des dernières années a porté ce dernier à se rallier aux représentants progressistes du franquisme et la décision de mener une « transition » vers la démocratie a ainsi été officialisée. Une junte démocratique s’était formée en 1974. Elle a donné naissance en 1976 à une plate-forme de réformateurs qui n’entendaient pas donner aux institutions un tournant trop radical (abolition de la monarchie ou procès des responsables franquistes). En 1977, la loi d’amnistie, présentée comme le meilleur remède pour réaliser une transition non-violente[22], a été approuvée au Parlement. Les anciens arguments liés à la guerre, qualifiant le conflit de guerre « fratricide » perpétrée au nom d’une folie collective, et la nécessité d’une réconciliation « des frères » ont constitué la toile de fond mémorielle de cette période[23].
Néanmoins, de récentes études montrent que le ralliement à une loi d’amnistie générale visant à pacifier et à éteindre les braises de la discorde n’était pas aussi unanime[24]. Les arrangements entre les dirigeants des partis majoritaires n’ont pas intégré les militants ou la société civile dans le processus décisionnel. Le changement semble davantage avoir été négocié au sommet de la hiérarchie politique, évitant ainsi le débat public. La particularité de cette « amnistie de velours » tient au fait qu’elle a été accordée sans conditions et avant même l’approbation de la Constitution par le Parlement, en 1978. Les acteurs de cette transition étaient donc engoncés dans le corsage mémoriel hérité du franquisme. Ainsi, aucune « Commission de Vérité » n’a fait d’enquête sur les disparus, et encore moins sur les responsabilités de la dictature, laissant cette tâche à la société civile. Les anciens membres du régime franquiste ont dès lors occupé des postes de choix dans la nouvelle configuration politique. L’ancien ministre du Tourisme et de l’Information, Manuel Fraga se trouve aujourd’hui encore à la présidence du Parti populaire en Galice. La phalange, parti incarnant le fascisme espagnol a également perduré, comme en témoigne son engagement contre l’action du juge Garzón.
Face à cette politique officielle, plusieurs acteurs de la société civile ont emprunté une autre voie : libérer les non-dits. La parole des témoins a ainsi trouvé de nouveaux espaces d’expression. Le tissu associatif, par exemple, a exprimé des revendications de changement. Dans ce cadre, la mémoire des vaincus s’est exprimée notamment par la recherche des disparus, aboutissant aux premières ouvertures de fosses communes. Les autorités nommées en 1978, portée par l’élan d’ouverture, ont ainsi procédé à certaines actions de réparation symbolique comme des changements de noms de rues.
L’année 1981 a ensuite produit une rupture dans cet élan d’ouverture. La situation semble avoir basculé avec la tentative de coup d’Etat d’Antonio Tejero, un militaire qui a fait irruption, armé, au Parlement. Ce coup d’éclat, avorté, a néanmoins révélé une violence latente et prête à ressurgir de la part des adeptes de la dictature. De l’extérieur, on se demandait alors si l’Espagne était capable de « démocratie »… La décision de construire une mémoire consensuelle évitant la confrontation avec le passé a alors été choisie par les autorités pour résoudre la crise. L’intervention télévisée du roi Juan Carlos pour défendre l’option constitutionnelle est venue imposer l’idée que pour gérer les tensions, la transition entre la vieille garde franquiste et la jeune génération progressiste exigeait le compromis.
Dix ans plus tard, ce consensus a déjà montré ses limites. Le poids des mémoires individuelles a résisté aux choix des politiques officielles. Les souvenirs de l’expérience vécue se sont imposés et il a été demandé une réparation qui était niée par le compromis d’amnistie. La littérature a parfois servi d’espace de reconnaissance de ces dissonances. En 1985, par exemple, l’ouvrage Lune de loups de Julio Llamazares a redonné une corporéité aux crimes du franquisme et a témoigné de ce deuil impossible pour les familles de disparus en raison de ce silence forcé. Contre la chimère des décisions politiques, l’auteur soutient aujourd’hui que« l’oubli n’est pas la justice, bien au contraire, la mémoire est une nécessité vitale » et qu’« il est temps que les disparus sortent de leurs limbes et de leurs tombes clandestines, pour reposer pour toujours où il se doit, c’est-à-dire où leurs familles le désirent, comme c’est le cas dans les pays démocratiques »[25]. Pour ce témoin comme tant d’autres, la douleur de l’absence de réparation des crimes franquistes a résisté au temps et aux politiques mémorielles.
Ainsi, la société civile a poursuivi ce combat visant à rendre justice aux victimes de la guerre et du franquisme. Au cours des années 1990, de nombreuses associations ont tenté de récupérer des témoignages de survivants de la guerre civile. Elles ont recueilli des documents, rendu hommage aux victimes, aux brigadistes volontaires venus lutter pour la démocratie, etc. La mémoire a rouvert le chantier des recherches historiques. De nouveaux paradigmes comme la vie quotidienne dans l’arrière-garde, les réfugiés, la santé, l’éducation, l’histoire de genre, socioculturelle, ou la pluralité des expériences de guerre, ont mobilisé l’attention des chercheurs qui se sont aussi intéressés à sortir des bornes chronologiques de la guerre pour analyser des phénomènes comme la violence politique après-guerre ou les maquis antifranquistes.
Parallèlement au réveil de la mémoire des « victimes » et aux avancées historiographiques, un processus inverse a ressurgi, porté par un contexte de polarisation politique au cours du double mandat de la droite, représentée par l’avènement du Parti populaire de José María Aznar (entre 1996 et 2004). La guerre des mémoires militantes a occupé à nouveau le devant de la scène et des versions « néofranquistes », dans le sillage de filiation mémorielle de la dictature, comme celles du révisionniste Pío Moa[26], ont connu un étonnant succès éditorial au nom de la liberté d’expression. Relayée par les médias en quête de controverses, cette nouvelle confrontation mémorielle a révélé la prégnance des héritages du franquisme dans la société contemporaine.
Du côté des vaincus, la résurgence mémorielle s’est constituée autour d’associations qui n’ont cessé de revendiquer leurs droits auprès des autorités politiques. La médiatisation du cas du journaliste Emilio Silva qui a retrouvé, en 2000, la fosse où gisait son grand-père depuis son assassinat au cours de la guerre civile, a infléchi cette tendance. L’Association pour la récupération de la mémoire historique, qu’il a fondée avec d’autres, et les divers ouvrages qu’il a publiés à ce sujet ont contribué à promouvoir la cause des victimes du franquisme. Les médias ont diffusé largement ces témoignages « d’en-bas » caractérisés par un usage démonstratif et affectif du passé traumatique. Les opérations d’ouverture des fosses, qui rappellent l’horreur des charniers issus des crimes encore récents du XXe siècle, ont rencontré une forte audience auprès des nouvelles générations que les livres d’histoire ne mobilisaient plus. Mais le phénomène a donné naissance à une forme d’instrumentalisation au présent de l’expérience de ces victimes de la part de leurs petits-fils[27]. Ces « témoins des témoins » se sont sentis investis de la responsabilité de demander justice, mais dans une confusion entre enquête historique et mythe familial. L’exemple le plus médiatisé, comme nous l’avons vu, est celui d’Emilio Silva[28]. Son enquête personnelle, liée à la création de sa puissante association, est rapidement devenue la référence pour la gestion de la mémoire des victimes de la guerre et du franquisme, oubliant parfois de mentionner tout le travail qui avait déjà été réalisé en amont par d’autres collectifs. L’itinéraire individuel de Silva a été présenté par les médias comme un exempla, un modèle mythifié du « petit-fils de républicain » dont la mémoire niée faisait écho dans la société civile. La pluralité des expériences de violence, plus complexe à diffuser, n’a pas eu d’emprise face à cette nouvelle figure héroïsée de la mémoire des vaincus. Ce mythe de figure générique consensuelle a été reprise par le président José Luis Rodríguez Zapatero en 2004. Lui-même « petit-fils de républicain », il a promu un projet de « loi de récupération de la mémoire historique [29] ». Le projet paraissait ambitieux puisqu’il s’agissait de réparer officiellement les crimes physiques et de jugement perpétrés durant la guerre et la dictature. La volonté de réparation venait enfin de l’Etat ! Dans un premier temps, les mesures ont consisté à éliminer des symboles (statues de Franco, toponymie - nom de rues, lieux au service de la propagande franquiste, etc.), à reconnaître les droits des exilés (récupération de la nationalité espagnole pour leur famille), ainsi qu’à autoriser l’ouverture des fosses communes afin de donner une digne sépulture aux victimes de la répression.
Mais, en dépit de ces gestes prometteurs, la loi se veut consensuelle et n’entend pas créer de rupture avec la loi d’amnistie de 1977. Elle ne permet aucune révision des procès du franquisme. Les tribunaux ont jugé ces procès non-révisables. En outre, aucune injonction politique d’ouverture d’archives ou de prise en compte de la demande des familles d’exhumer leurs morts n’en a découlé, de peur de générer le dissensus.
La magistrature détient dès lors une pièce maîtresse du processus de réparation, malgré les revendications issues de la société civile. Mais cette institution, auprès de laquelle la IIeRépublique avait déjà rencontré de fortes oppositions et résistances[30], se retranche aujourd’hui encore derrière un mur de conservatisme très inquiétant.

Enjeux de la judiciarisation de la mémoire
Dans ce contexte, plusieurs associations et individus se sont adressées à un juge de l’Audience nationale connu sur la scène internationale pour avoir condamné les crimes du dictateur Augusto Pinochet et en Espagne pour avoir démasqué plusieurs affaires de corruption d’Etat. Ce magistrat, qui répond au nom de Baltasar Garzón, a répondu à ces sollicitations et a demandé en 2008 l’ouverture d’une instruction portant sur les tortures, les détentions et disparitions forcées de personnes durant la guerre civile et l’immédiat après-guerre sur le territoire espagnol, ainsi que sur l’existence d’un plan systématique et préconçu d’élimination de l’opposition politique. Dans un premier élan médiatique, il s’est attelé à dénombrer les corps qui, depuis la guerre civile, gisent sans sépulture dans des fosses communes. Suite au recensement fourni par des historiens et des associations de victimes, c’est armé de 114’266 noms[31] qu’il a demandé l’ouverture de l’enquête. Cette démarche avait pour but de juger les crimes du franquisme en les associant à la catégorie des « crimes contre l’humanité », déclarés imprescriptibles par le Statut de Nüremberg du 8 septembre 1945 (inclus dans la Convention de Genève de 1949, ratifiée par l’Etat Espagnol le 4 août 1952)[32].
La procédure de Garzón a suscité une forte opposition au sein des membres de l’Audience nationale. Les juges conservateurs ont argué du fait que la catégorie légale de « crimes contre l’humanité », datant de 1945, ne peut s’appliquer rétroactivement à la guerre civile et que, d’autre part, la procédure de Garzón est anti-constitutionnelle car elle contrevient à la Loi d’amnistie de 1977. Plus récemment, le magistrat Varela a accepté, sur demande de la Phalange et du groupe d’extrême droite Manos Limpias, de proposer à l’Audience nationale une mesure de déclaration d’inhabilitation contre le juge Garzón pour prévarication.
Cette dernière menace a provoqué une vive réaction dans la société civile qui a organisé des actes de soutien et les manifestations déjà évoquées. En Amérique latine et en Europe, des démonstrations de solidarité ont fait écho à la mobilisation ibérique contre l’iniquité de cette procédure.
La procédure judiciaire de Garzón relaie donc, dans un premier temps, la volonté des demandeurs de réparation non entendus par les autorités, mais relève aussi d’une question fondamentale de la défense des droits humains dans le monde. Alors qu’en Amérique latine, les transitions qui ont suivi de longues périodes de dictatures, comme au Chili, ont choisi de juger les coupables de leurs crimes pour réparer les erreurs d’un passé traumatique, l’Espagne apparaît engoncée dans un corsage mémoriel hérité du franquisme. A l’inverse de l’image d’avant-garde et d’ouverture que le gouvernement de José Luis Rodríguez Zapatero a tenté de forger depuis 2004, approuvant par exemple d’autres modèles familiaux comme le mariage homosexuel ou des programmes scolaires comme le projet d’éducation à la citoyenneté et aux droits humains en avril 2006[33], la réouverture du débat sur les crimes de la guerre civile et du franquisme bute sur une politique consensuelle qui profite aux amnistiés de 1977. La « loi de récupération de la mémoire historique » s’est limitée à quelques gestes de réparation symbolique. Par contre, la loi n’oblige pas les autorités locales à entreprendre la recherche de disparus, à ouvrir les archives policières ou ecclésiastiques afin de connaître les abus perpétrés durant cette période traumatique. Elle n’ouvre pas non plus la possibilité de réviser les procès iniques de la dictature[34].
Les récentes mobilisations posant la question de la rupture du consensus lisse issu de la transition sont nécessaires. Le dissensus peut ouvrir un débat qui permette la confrontation des interprétations et mette à l’ordre du jour une enquête pénale jamais réalisée par la Justice espagnole, d’où l’impunité conférée aux crimes commis. Sans ce passage par l’explicitation, les mémoires blessées seront à nouveau niées et enfouies. Avec l’initiative du juge Garzón, la mémoire traumatique des Espagnols se trouve à un croisement de son histoire. Il s’agit de permettre aux victimes de devenir des « sujets », de rompre le silence politique.

Limites de la judiciarisation et usage de l’histoire du franquisme
Néanmoins, il convient de signaler les limites de la judiciarisation de la mémoire » initiée par Garzón et de nouveaux problèmes d’usage de l’histoire que soulèvent les récentes mobilisations mémorielles.
Parmi les limites que pose la procédure de Garzón se trouvent les bornes chronologiques. Le sixième « raisonnement juridique » présenté par le magistrat à l’Audience nationale le 16 octobre 2008[35] propose de recenser tous les disparitions ou assassinats qui ont été perpétrés entre le 17 juillet 1936 (date des premiers soulèvements militaires contre le gouvernement républicain) et le 31 décembre 1951 (période présumée de la fin de la répression systématique du régime franquiste contre les dissidents), notamment pour permette de délivrer, par la suite, des permis d’exhumation de ces victimes.
Par contre, les exécutions décidées par les Tribunaux militaires contre les anarchistes Delgado, Granados, ainsi que Puig Antich, ne sont pas mentionnées par la procédure et seraient donc juridiquement privées de réparation. Cet écueil ouvre la voie à une mise en concurrence des victimes qui aurait pour conséquence le déni des injustices commises durant la période que les historiens identifient comme « le deuxième franquisme », dont certains acteurs sont encore en vie aujourd’hui… Les demandes de révision des procès de ces victimes de la dictature pourraient donc légalement être rejetées une fois encore par les tribunaux espagnols.
Il est également utile de signaler que pour contourner la loi d’amnistie, les crimes en question doivent entrer dans la catégorie de « crimes de lèse-humanité » ou de « génocide ». Or, le texte des actes d’accusation rédigés par Garzón glisse de l’une à l’autre en s’appuyant sur la volonté d’élimination systématique qui a été prônée par les militaires insurgés dès 1936 (déclarations du général Emilio Mola et du général Queipo de Llano, décret de la Junte suprême militaire ou annonces du général Francisco Franco sur l’emploi nécessaire de la violence). Ces annonces sont assimilées aux instructions données le 23 juin 1941 par le maréchal Keitel lors de l’avancée du IIIe Reich à l’Est, ainsi qu’aux incitations au meurtre diffusées par radio par les milices interhamwe au Rwanda[36]. Le deuxième acte élaboré par le juge Garzón fait référence à un « plan systématique et préconçu d’élimination des opposants politiques par le biais de morts multiples, tortures, exil ou disparitions forcées de personnes à partir de 1936, durant la guerre civile et les années d’après-guerre » [37]. Ces parallélismes aboutissent à l’idée que les crimes perpétrés durant la guerre civile et la dictature franquiste « pourraient constituer des délits de génocide »[38]. L’argumentation qui suit rappelle la mort de 4’300 prisonniers républicains dans le camp national socialiste de Mathausen entre 1942 et 1945 (période qui correspond à la « solution finale » visant l’extermination des juifs d’Europe par les nazis). Les prisonniers espagnols ont dès lors été victimes des programmes d’extermination « pour des raisons de race, religion, nationalité ou conviction politiques »[39]. Dans le même sillage, la justification de la catégorisation des crimes du franquisme comme « génocide » est apportée par le rapprochement entre les deux systèmes concentrationnaire nazi et franquiste. Les tests physiques et psychologiques « étranges [40] » pratiqués dans les camps de concentration franquistes dans les provinces de Burgos et Malaga envers les prisonniers et prisonnières et le projet d’identification du « bio-psychisme du fanatisme marxiste » par le psychiatre en chef de Franco sont aussi mentionnés à cet effet. Notons enfin le quatrième raisonnement juridique qui évoque, sur le mode comparatif, les massacres commis contre les Arméniens[41].
Ces enchevêtrements mémoriels qui aboutissent à l’égalisation des « crimes contre l’humanité » et des « crimes de génocide », contraires aux cadres juridiques internationaux et aux recherches historiques reconnues, ainsi qu’à une absence de distinction entre les « camps de concentration » et les « camps d’extermination » afin d’attirer l’attention du Tribunal suprême, posent des problèmes déontologiques. Il y bien ici un risque d’instrumentalisation de l’histoire, et de confusion, qu’il convient de signaler dans le contexte de cette judiciarisation.
Ces usages mémoriels ont également été relayés par la diffusion de messages collectifsqui procèdent à un parallèle problématique entre les crimes de la guerre civile et du franquisme et le génocide nazi des juifs d’Europe. Il est vrai que l’oubli du génocide des juifs est considéré, depuis les années quatre-vingt, comme une faute morale et politique qui fait obstacle à l’avenir[42]. Le feuilleton Holocaust, diffusé d’abord aux États-Unis (1978), puis en Allemagne et en France (1979), avait reçu une audience exceptionnelle et provoqué une prise de conscience très importante de l’opinion publique à ce propos. Cette notion de préjudice collectif est en fait alimentée par la notion juridique d’imprescriptibilité des crimes du passé[43]. L’oubli présent dont la collectivité se rendrait coupable devient ainsi criminel. Dans le processus d’individualisation des sociétés, les représentations mentales intègrent une vision du monde où la souffrance individuelle doit être prise en compte et mise en scène. Les mobilisations collectives se construisent alors au travers de logiques compassionnelles.
Le diaporama « Parece imposible pero sucedió »[44], diffusé par un courrier électronique collectif, exploite justement cette icône mémorielle contemporaine pour procéder à une relecture du franquisme. La série de diapositives commence par dénoncer « l’Holocauste franquiste » en arborant une photographie de Franco et Hitler, non référenciée (vraisemblablement en allusion à la rencontre des deux hommes à Hendaye en octobre 1940). Après avoir signalé que Franco avait donné des ordres pour qu’aucun témoignage filmique ou photographique sur les camps de concentration espagnols ne soit diffusé, une sélection d’images choc telles que des enfants victimes de bombardement à Barcelone ou des fusillés à Badajoz et à Madrid est accompagnée du commentaire suivant : « Ceci fut l’Holocauste comme il a été prévu il y a près de 60 ans. L’Holocauste espagnol a été éliminé de notre plan scolaire parce qu’il « offensait » la population qui affirme que l’Holocauste n’a jamais eu lieu. »La série de diapositives se clôt par une image filmique non référenciée (extraite de Land and Freedom, de Ken Loach, 1994), un hommage aux Espagnols assassinés contre la désinformation et la manipulation et un avertissement final : « Si tu effaces ce message, tu seras un complice silencieux ! ».
S’il est évidemment louable d’éclairer les crimes de la guerre civile et du franquisme que les autorités refusent de reconnaître, ces instrumentalisations posent problème. Pour éviter les usages du passé au profit de demandes mémorielles du présent, il est nécessaire de définir la nature des crimes dont il est question, dans le contexte qui leur est propre. Si les guerres mondiales et les génocides du XXe siècle ont généré de multiples analyses[45], le travail de conceptualisation de la violence franquiste est encore à effectuer[46]. Le premier écueil à dépasser pour ce faire concerne l’accès aux sources judiciaires, militaires ou ecclésiastiques, qui restent encore un monopole privé.

La vague de « re-nationalisation » du passé
Dans le même sillage qui consiste à relire le passé à travers le prisme du présent, les récentes manifestations ont également mis en évidence une autre expression croissante de l’instrumentalisation de l’histoire : son usage politique.
Dans un contexte de perte de confiance envers le représentant dominant de la gauche en Espagne, qui semble avoir glissé vers de profonds renoncements éthiques par souci électoraliste ou consensuel, la guerre civile offre un réservoir de figures identitaires idéalisées capables de cristalliser les horizons d’attente. Le culte de la IIe République, couramment incarné aujourd’hui par des bannières tricolores lors des hommages aux victimes de la guerre ou du franquisme (sans se soucier du fait que ces victimes n’auraient peut-être pas voulu être associées au gouvernement républicain) ou dans des manifestations diverses incarnant un idéal démocratique du passé porteur de vertus thérapeutiques pour le présent, en vient à occulter la réalité historique. A une « République en guerre », établie en filiation directe avec lebienio progressiste (alors que les insurgés revendiquaient le retour à la prétendue « vraie République », le bienio negro qui a directement précédé les élections de 1936), est venue se greffer une autre représentation héritée de la transition, celle d’une continuité entre l’expérience républicaine et le mouvement antifranquiste.
Les défenseurs des victimes du franquisme depuis les années 1990 ont progressivement réintroduit dans l’espace public cette forme de « re-nationalisation » de l’histoire, certes compréhensible après des décennies de monopole de propagande franquiste. Aujourd’hui, comme nous l’avons vu, c’est la montée en généralité de la figure du « petit-fils de républicain » qui est arborée par une série de collectifs, dont l’Association pour la récupération de la mémoire historique co-fondée par Emilio Silva et, depuis les élections nationales de 2004, le premier ministre Zapatero, lui-même « petit-fils de républicain »[47].
Si certains historiens ont déconstruit cette image victimaire et simplificatrice[48], son usage mémoriel résiste dans l’imaginaire collectif, comme l’atteste le début du prologue du magistrat Carlos Jiménez Villarejo à la récente publication des actes contre les crimes de guerre et du franquisme de Baltasar Garzón : « la IIe République espagnole a représenté le plus grand effort modernisateur et démocratique de l’Espagne au cours du XXe siècle ».
De même, la manifestation du 24 avril 2010 n’a pas échappé à cette instrumentalisation. La présence, sous de multiples formes, de la bannière tricolore de 1931 a uniformisé l’identité des victimes sans tenir compte de la multiplicité ou de l’absence de leurs affiliations politiques, de leurs expériences et des changements au cours de la guerre, au front ou à l’arrière, des circonstances de leur décès, des différences qui persistèrent aussi, au-delà du conflit civil, dans les réseaux de résistance antifranquistes, etc. S’il est regrettable que le gouvernement de la transition n’ait pas rompu avec de nombreux éléments du franquisme comme l’emblème national rouge et or, les couleurs de la IIe République n’ont-elles pas aussi été arborées lors de la répression des mineurs asturiens en octobre 1934 ? Cette assignation identitaire décidée par les « petits-fils » n’est-elle pas discutable compte tenu de l’idéalisation qu’elle suggère ? Ces « témoins des témoins » ne sont-ils pas inconsciemment pris à leur tour dans les politiques de mémoire[49], dans des questionnements politiques, familiaux ou existentiels qui guident leur relecture du passé[50] ?  
Comme le soulignent certains historiens critiques, que savons-nous exactement de la manière dont la guerre a été vécue par les Espagnols sans recourir aux essentialisations, au militantisme, au conditionnement par les politiques mémorielles ?[51]
Avant de se lancer dans les amalgames hérités des propagandes concurrentielles, il est urgent de revendiquer une justice plus éclairée, de mener une enquête minutieuse sur la définition de la violence exercée sous l’égide du Généralissime, et d’étudier la place occupée par la répression dans le camp républicain, sans que ces recherches ne soient guidées par une démarche de concurrence victimaire ou, à l’inverse par l’égalisante maxime mémorielle du deuxième franquisme du « nous sommes tous coupables[52] » ? L’impulsion judiciaire engagée près de 40 ans après la transition pourrait précisément servir de catalyseur à la recherche car elle pourrait déboucher sur ce « permis d’exhumer le passé » qui mettrait enfin à disposition des chercheurs des outils pour l’instant encore hors de portée comme par exemple les archives militaires et ecclésiastiques, les moyens d’identification archéologiques actualisés et d’autres encore. Ce dialogue entre histoire et mémoire devrait servir à dépasser les justifications binaires et tenter de mieux appréhender ces multiples expériences[53] qui ont configuré autant de représentations de l’Espagne au cours de cette longue période traumatique du siècle passé.

« L’effet Garzón »
La récente décision de suspendre le juge Garzón de ses fonctions en Espagne alors qu’il est reconnu par la Cour pénale internationale va porter un coup dur au combat des victimes de la guerre et du franquisme. Elle révèle que la judiciarisation a ses limites et qu’un tribunal en démocratie peut être capable d’organiser une « chasse aux sorcières » en se basant sur une argumentation légaliste qui se place au-dessus des droits humains. C’est une tache sombre pour la démocratie espagnole, incapable de se conformer au droit international en matière de non-prescriptibilité des crimes contre l’humanité.
Néanmoins, la mise en accusation de Garzón a eu le mérite de changer l’opinion des Espagnols face à la reconnaissance du travail de mémoire demandé depuis trois décennies par les familles de disparus. Bien que les sondages ne disent pas toujours réellement le point de vue de toute la population, une enquête basée sur 800 personnes entre le 3 et le 5 mai 2010 montre que 59,2 % des Espagnols sont d’accord d’ouvrir une enquête sur les crimes politiques impunis de la période franquiste (contre 26,9% et 14% sans avis sur la question). Quant à la responsabilisation nécessaire de l’Etat dans l’exhumation des fosses, 64,5% la demandent (contre 24,8 % et 10,7% sans opinion). En septembre 2008, alors que Garzón annonçait sa démarche aux médias, la proportion de ceux qui l’approuvaient était alors seulement de 51,7% (contre 39,3% et 9% sans opinion)[54]. Il semble donc que, contre l’avis d’une minorité constituée par la haute magistrature, une tendance majoritaire se dessine en Espagne en faveur du travail de mémoire qui avait été sacrifié lors de la transition de 1977.
D’autre part, l’effet sur « l’opinion publique » espagnole et internationale de la mobilisation en faveur de l’action de Garzón a permis le retour du débat au Parlement. Plusieurs représentants de la gauche progressiste, sous l’égide de Joan Herrera (Initiative pour une Catalogne verte), ont réussi à rassembler une majorité de partis pour demander un engagement politique ferme de l’Etat en faveur des victimes. Il est question de renforcer la mise en place de la « loi de récupération de la mémoire historique » afin d’améliorer la protection des victimes du franquisme et d’obliger les autorités locales à répondre aux demandes d’exhumations des familles. La motion a été approuvée par tous les groupes parlementaires, excepté le PP, retranché dans le vieil argument mémoriel qui affirme que pour rester en paix, il ne faut pas « rouvrir les blessures du passé » (oubliant ainsi de mentionner celles des victimes qui n’ont jamais été officiellement pansées).
Grâce au mouvement judiciaire et civil, l’Espagne se trouve à un tournant de sa politique mémorielle. Si la dictature a pris soin d’honorer ses morts et d’ouvrir une Causa General pour réparer les préjudices subis par les victimes de son camp, la société postfranquiste est peut-être aujourd’hui disposée à ouvrir une enquête en faveur de toutes les victimes. Au-delà de l’avenir professionnel de Baltasar Garzón et des clivages politiques, l’Etat pourrait enfin reconnaître officiellement et entamer un véritable processus de transition démocratique. Alors que les derniers témoins de ce passé traumatique disparaissent, il est urgent de donner tous les moyens nécessaires à une enquête historique qui éclaire enfin pleinement cette période. Il est aussi souhaitable que les autorités espagnoles assument cette responsabilité et délivrent ce « permis d’exhumer le passé » pour que l’injonction ne vienne pas de l’extérieur comme cela avait été le cas pour la Suisse, au cours des années 1990, dans le cadre de l’affaire des fonds en déshérence, débouchant sur le travail des historiens de la Commission Bergier à propos de l’attitude des autorités et des élites helvétiques à l’égard du national-socialisme[55]. Certes, on peut espérer aussi qu’une campagne internationale exige des autorités espagnoles qu’elles s’en tiennent enfin à l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité. Mais il serait bien préférable que ce principe soit décidé par  l’Etat espagnol lui-même.

Mari Carmen Rodríguez


Notes : 

[1] Jesús Izquierdo Martín, « Infertiles distances. La mémoire de l’histoire récente en Espagne », Le Cartable de Clio, N° 9Lausanne, Antipodes, 2009, pp. 107-114. 
[2] Xosé Manoel Nuñéz Seixas, ¡Fuera el invasor ! Nacionalismos y movilización bélica durante la guerra civil española, Madrid, Marcial Pons Historia, 2006, p. 24.
[3] En Espagne, ce mythe d’unité identitaire entre le continent américain et la péninsule ibérique, qui se traduit par la notion d’Hispanidad, a ressurgi avec force dans le contexte de désagrégation coloniale que vit la métropole ibérique à la fin du XIXe siècle : David Marcilhacy, Raza hispana. Hispanoamericanismo e imaginario nacional en la España de la Restauración, Madrid, Centro de Estudios Políticos y Constitucionales, 2010 ; Marie-Aline Barrachina. Propagande et culture dans l’Espagne franquiste, 1936-1945. Grenoble, ELLUG Université Stendhal, 1998 ; Eduardo González Calleja & Fredes Limón Nevado, La Hispanidad como instrumento de combate. Raza e imperio en la prensa franquista durante la guerra civil española. Madrid, Consejo Superior de Investigaciones Científicas, 1988.
[4] Eric Hobsbawm & Terence Ranger, L’invention de la tradition, Paris, éd. Amsterdam, 2006, p. 15.
[5] Ramiro de Maeztu, Defensa de la Hispanidad, Madrid, 1934.
[6] « Norma programática de la Falange, Nación, Unidad, Imperio » (en particulier l’article 3), in Dionisio Porres & Agustín del Río Cisneros, José Antonio y España, Mallorca, éd. Samaran – Publicaciones del Servicio Español del Magisterio y ediciones Prensa del Movimiento, 1951, p. 11.
[7] Emblème vestimentaire des requetés (groupes armés carlistes).
[8] Doctrina e Historia de la Revolución Nacional Española Barcelone, Editorial nacional, 1939, p.69.
[9] Alberto Reig Tapia, Franco, el César Superlativo, Madrid, Tecnos, 2005, pp.149-207.
[10] L’appareil médiatique est en place dans le Département national de Cinématographie depuis avril 1938. Rafael R. Tranche & Vicente Sánchez-Biosca, NO-DO. El tiempo y la memoria, Madrid, Cátedra/Filmoteca española, 2005, p.32.
[11] Voir Sandie Holguín, República de ciudadanos, cultura e identidad nacional en la España republicana, Barcelone, Crítica, 2003.
[12] Consuelo Domínguez, « La enseñanza de la historia : identidad cultural y valores democráticos en una sociedad plural », Revista de Teoría Didáctica de las Ciencias Sociales,No 7, Mérida (Venezuela), 2002, p. 98.
[13] Xosé Manoel Nuñéz Seixas, ¡Fuera…,  op. cit., pp. 31-176. Notons que, comme le souligne l’historien, le “mythe du peuple en armes” contre l’envahisseur napoléonien a également été exploité par les nationaliste qui en ont fait un symbole de résistance face à la contamination des idées révolutionnaires apportées par les Français à l’Espagne.
[14] Javier Rodrigo Hasta la raíz, violencia durante la guerra civil y la dictadura franquista. Madrid, Alianza editorial, 2008pp. 34-37.
[15] Ibid, pp. 30-49.
[16] Ibid., pp. 27-29. Voir aussi, du même auteur, Cautivos. Campos de concentración en la España franquista, 1936-1947, Barcelona, Crítica, 2005.
[17] Julio Aróstegui & François Godicheau, (éds), Guerra civil, mito y memoria, Madrid, Marcial Pons, 2006.
[18] José Luis de la Granja, Ricardo Millares & Alberto Reig Tapia, Tuñón de Lara y la historiografía española, Madrid, Siglo XXI, 1999.
[19] José Andrés Rojo, No hubo olvido ni silencio, article du quotidien El País, 2 janvier 2007.
[20] Alberto Reig Tapia, Franco..., op. cit.
[21] Pour plus de renseignements sur la répression franquiste, voir l’ouvrage collectif de Julián Casanova, Francisco Espinosa, Conxita Mir & Francisco Moreno Gómez, Morir, matar, sobrevivir, la violencia en la dictadura de Franco, Barcelona, ed. Crítica, 2002.
[22] 1977 est l’année de la loi d’amnistie et de la rédaction de la Constitution. Dans un premier temps, le gouvernement est dominé par l’Union du centre démocratique, puis, en 1982, l’avènement du premier gouvernement de gauche depuis la guerre civile (Parti socialiste espagnol) est considéré comme la fin de la transition.
[23] Pour une reconstitution de cette transition mémorielle et ses conséquences, voir Paloma Aguilar,Memoria y olvido de la guerra civil española, Madrid, Alianza editorial, 1996.
[24] Ferrán Gallego, El mito de la transición : la crisis del franquismo y los orígenes de la democracia (1973-1977), Madrid, Crítica, 2008 et la thèse à paraître de Juan Antonio Andrade, El PCE y el PSOE en (la) transición, Université d’Extrémadure.
[25] Julio Llamazares, « La perseverancia de los desaparecidos », in El País, 26 septembre 2008, p.27.
[26] Voir Pío Moa, Los mitos de la guerra civil, Madrid, La Esfera de los Libros, 2004.
[27] La reprise de la mémoire des victimes du franquisme par les petits-fils et ses dérives ont été remarquablement retranscrits par Odette Martinez- Maler, « Passeur de mémoire et figure du présent », in Carola Haenel-Mesnard & el, Culture et mémoire, représentations contemporaines de la mémoire dans les espaces mémoriels, les arts du visuel, la littérature et le théâtre, Paris, Editions de l’Ecole Polytechnique, 2008, pp. 43-52.
[28] Emilio Silva & Santiago Macías, Les fosses du franquisme, Madrid, Temas de Hoy, 2003
[29] La loi est approuvée le 31 octobre 2007 par le Congrès des Députés, à Madrid, sous la dénomination officielle suivante : « Ley por la que se reconocen y amplían derechos y se establecen medidas en favor de quienes padecieron persecución o violencia durante la Guerra Civil y la Dictadura » (Loi par laquelle on reconnaît et élargit des droits, de même que l’on établit des mesures, en faveur de ceux qui ont subi la persécution et la violence durant la guerre civile et la dictature).
[30] Selon Julio Aróstegui, Session de clôture, congrès La dictadura franquista : la institucionalización de un régimen, Université de Barcelone, 23 avril 2010.
[31] « Acte de la Juridiction centrale d’Instruction No 5, Audience Nationale, Madrid, Diligence précédant le procès 399/2006V », chapitre « raisonnements juridiques », sixième, dans Garzón contra el franquismo, los autos íntegros del juez sobre los crímenes de la dictadura, Barcelone, éd. Diario Público, 2010, p. 43.
[32] Bulletin officiel de l’Etat espagnol du 5 août 1952, voir « Acte de la Juridiction centrale d’Instruction No 5, Audience Nationale, Madrid, Diligence précédant le procès 399/2006V », chapitre « raisonnements juridiques », cinquième, dans Garzón… op. cit., p. 42.
[33] La loi de 2006 prévoit l’enseignement en 5-6 primaire (10-11 ans), en 2-3 secondaire et au baccalauréat (dans cours d’éthique et philosophie). Mari Carmen Rodriguez, L’éducation à la citoyenneté en Espagne, une question sensible, Le Cartable de Clio, No 9, Lausanne, Antipodes, 2009, pp. 229-237.
[34] Mari Carmen Rodriguez, « La révision des procès du franquisme est-elle possible ? », Le Courrier, Genève, 26 février 2008.
[35] « Acte de la Juridiction centrale…, op. cit., p. 43.
[36] Ibid., pp. 28-32.
[37] Ibid., p. 103.
[38] Ibid., p. 114.
[39] Ibid.
[40] Ibid., p. 115.
[41] Ibid., p. 123
[42] Sébastien Ledoux, Pour une généalogie du « devoir de mémoire » en France, Paris, © Centre Alberto Benveniste, février 2009.
[43] La « Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité » est adoptée en 1968 par les Nations unies.
[44] Cette série de diapositives ne comporte pas de référence d’auteur. Dernière consultation, 28 avril 2010.
[45] Yves Ternon, Guerres et génocides au XXe siècle, Paris, Odile Jacob, 2007.
[46] Javier Rodrigo, « La represión, estado de la cuestión ». VIIo Encuentro de Investigadores sobre el franquismo, Université de Saint-Jacques de Compostelle, 12-13 novembre 2009.
[47] Dans son discours d’investiture en 2004, José Luis Rodríguez Zapatero relie son engagement politique à l’esprit de son grand-père, le capitaine Lozano fusillé en 1936 pour avoir défendu le gouvernement légitime.
[48] Entre autres, François Godicheau, La guerre d’Espagne, République et révolution en Catalogne, Paris, Odile Jacob, 2004. Julián Casanova, Anarquismo y revolución en la sociedad rural aragonesa, 1936-1938, Barcelona, Crítica, 2006 (1ère édition, 1985) ; Jesús Izquierdo Martín & Pablo Sánchez LéonLa guerra que nos han contado, 1936 y nosotros, Madrid, Alianza Editorial, 2006 ; Julián Casanova, República y guerra civil, Barcelona, Crítica/Marcial Pons, 2007 ; Javier Rodrigo Hasta la raíz… op. cit.
[49] Paloma Aguilar, Políticas…, op. cit..
[50] Voir Odette Martinez-Maler,  « Passeur…, op. cit.
[51] François Godicheau, « La guerre d’Espagne, une histoire nationale en mutation », Le Cartable de Clio, Le Mont-sur-Lausanne, LEP, 2007, p.124.
[52] Javier Rodrigo, Hasta la raíz…, op. cit. Voir le chapitre « Une violence asymétrique », pp. 42-49.
[53] Dans l’esprit de déconstruction de l’idée d’une réduction du conflit à deux Espagnes, exprimée par Andrés Trapiello lors du congrès international sur la guerre civile, Madrid, 27-29 novembre 2006. Voir aussi, du même auteur Des armes et des lettres, Paris, La Table ronde, 2009.
[54] Sondage Publiscope, Barcelone, quotidien Público, 10 mai 2010, pp. 2-3.
[55] L’affaire des « fonds en déshérence », c’est-à-dire des biens des victimes du nazisme non restitués à leurs propriétaires ou à leurs descendants par les banques ou autres institutions financières suisses a créé un regain d’intérêt depuis 1995-1996. En Suisse, la recherche la plus attendue a été la publication du rapport de la Commission Indépendante d’Experts Suisse – Seconde Guerre Mondiale, mise en place par le Conseil fédéral et présidée par Jean-François Bergier : La Suisse, le national-socialisme et la Seconde Guerre mondiale. Rapport final, Zurich, Pendo, 2002.