vendredi 30 avril 2021

Billet d'humeur : Ce que le Rwanda a (enfin) appris aux historiens...

Ce n’est pas du contenu du rapport Duclert dont il sera ici question, d’autres plus compétents que moi ont fait l’analyse de ses avancées et de ses manquements au plan de la connaissance historique, mais de ce que des historiens interrogés, notamment dans Médiapart le 25 mars 2021, ont admis :

- Premièrement, que les historiens devaient écouter les témoins. Cela semble tomber sous le sens en histoire contemporaine, histoire qu’on pourrait définir précisément comme l’histoire dont il reste des témoins – mais ça ne l’était pas. Il n’y a pas si longtemps on les entendait pour certains (il s’agissait essentiellement d’hommes) dénoncer ce qu’ils appelaient « la dictature du témoignage »[1]. Je me souviens de Geneviève de Gaulle-Anthonioz, alors présidente de l’Association nationale des anciennes déportées et internées de la Résistance (ADIR), rappelant à l’un d’entre eux, qu’elle était désolée, mais qu’il allait encore devoir attendre un peu pour pouvoir écrire l’histoire comme il l’entendait… Cet historien avait eu l’inélégance de dire devant elle et ses compagnes qu’il en avait assez d’écrire l’histoire avec des témoins contrôlant par-dessus son épaule. En voix off ces mêmes collègues considéraient l’histoire orale, qui commençait à être (tardivement) admise en France, comme un gadget pour… historiennes.

- Deuxièmement, que les archives devaient être ouvertes à tous et à toutes et sans restriction. Pendant longtemps - n’insistons pas d’avantage car j’imagine qu’ils (il s’agissait encore une fois d’hommes) rougissent aujourd’hui des propos qu’ils ont pu tenir autrefois, lorsqu’un système antidémocratique appelé « dérogation » leur permettait l’accès à des dossiers refusés à d’autres et qu’ils trouvaient cela… légitime. L’un d’eux, ah la langue me brûle de dire son nom mais je ne lui ferai pas cet honneur, devait même se moquer ouvertement de Rita Thalmann, qui fut la première historienne à dénoncer publiquement ce système. Désormais logés à la même enseigne par une mesure régressive concernant l’accès aux archives, les voilà contraints de demander le respect de la démocratie. Tant mieux, car c’est ainsi que les choses peut-être avanceront.

- Troisièmement, avons-nous également appris ces derniers temps, le récit historique ne serait pas le domaine réservé des seul.e.s historien.ne.s (entendez ici, ceux et celles muni.e.s du titre scolaire agrégation et/ou thèse). Ce sont en effet un physicien (François Graner) et un journaliste (Patrick de Saint-Exupéry), ainsi que d’autres non-historiens aux côtés d’historien.ne.s qui ont impulsé la recherche sur le rôle de la France au Rwanda. Récemment un général alors en poste pendant le génocide disait à quel point il ne savait rien sur le pays où on l’avait expédié. C’étaient des journalistes qui l’avaient informé. La première écriture de l’histoire en train de se faire, nous autres historien.ne.s professionnel.le.s. du contemporain, nous la devons aux témoins et aux journalistes. En attendant l’ouverture des archives, ce sont nos sources.

Mais, par-delà la controverse sur la constitution de la commission Duclert, un autre enseignement est à tirer de cette implication de non-historiens. C’est celui du rôle joué par une association comme Survie et par la presse : anticipant le résultat final de ladite commission dont le rapport intermédiaire laissait fortement à désirer – même Le Monde en date du 7 avril 2020 écrivait qu’« il blanchissait déjà discrètement les autorités françaises de certaines accusations » – la presse et notamment Médiapart, a clairement mis en garde contre la raison d’État qui pourrait conduire à épargner la France. Sans doute piquée au vif, la commission a en partie, semble-t-il, mais c’est déjà ça, redressé le tir. Elle s’est cependant contentée d’éviter de cibler les responsabilités. Plus exactement, elle a accablé le défunt Président Mitterrand (mais non son fils). Les autres, bien vivants, – et la France (responsable mais non complice tout en l’étant, on ne comprend pas trop) – finalement ne s’en tirent pas trop mal.

En définitive, il convient de le répéter, nul est besoin de commission. Seuls les travaux de chercheur.e.s indépendant.e.s – à condition qu’on leur en donne les moyens en finançant leurs projets – sont à même de s’émanciper du politique.

 

Sonia Combe



[1] Cf. Stéphane Audouin-Rouzeau et Annette Becker, 14-18 Retrouver la guerre, Paris, Gallimard, 2000, p. 52.

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