mercredi 15 octobre 2008

Réforme du lycée : l’histoire et la mémoire en option ? Par le CVUH

Le Journal du dimanche du 5 octobre 2008 a annoncé une inquiétante nouvelle : dans la réforme prévue du lycée, et coordonnée par le Recteur Gaudemar, l’histoire-géographie disparaîtrait du tronc commun des programmes de Première et en Terminale. En sommes-nous aujourd’hui au stade de la simple rumeur ou de l’effet d’annonce quasi officiel ? Quelle que soit la réponse, cette idée est à prendre au sérieux, notamment dans le contexte général d’une particulière sensibilité de l’opinion publique aux questions d’enseignement, et face à cette multiplication d’usages publics de l’histoire qui saturent les débats sociaux et politiques. Que l’on songe seulement à la campagne électorale de Nicolas Sarkozy et à ses références quasi compulsives à l’histoire de France ; au futur musée d’histoire de France qui se profile aux Invalides ; aux différentes pratiques gouvernementales qui instrumentalisent le passé comme lecture de la lettre de Guy Môquet dans les lycées.

Peut-être serait-ce dans le contexte plus précis d’une modification en profondeur de la formation des enseignants que l’on pourrait chercher des clés d’analyse de cette annonce. Que l’on se souvienne...
Dans un premier temps, les IUFM sont déclarés supprimés. Dans un second temps s’ouvre une curieuse période où l’on voit des universités chargées à la hâte d’inventer des formations pour des concours qui ne sont pas encore définis. Dans un troisième temps, on « découvre » que la soi-disant disparition des IUFM (en fait intégrés dans les Universités) a masqué la disparition de stages de formation comme le rappelait Antoine Prost dans le « Libération des historiens ».
Instruits de cette expérience, nous savons donc que cette annonce est le prélude à des réformes de grande envergure. Pour l’instant nous dit-on, rien n’est encore décidé, mais la vigilance est de mise : les enseignant(e)s ne peuvent rester coi(te)s devant les pauvres ruses éventées de la communication. Que l’on ne s’y trompe pas. Il ne s’agit pas ici d’une réaction corporatiste de défense de la discipline comme si le statu quo ne posait aucun problème. Nous insérons d’abord notre protestation dans une critique d’ensemble des méthodes du Ministre : décisions à la hussarde, absence de réflexion sur les objectifs de l’éducation publique dans la réalité complexe de la société d’aujourd’hui, incohérence d’une « réforme » du lycée après celle de l’école en laissant de côté le maillon le plus sensible et le plus essentiel, le collège.
Certes, l’histoire n’est pas une explication naïve du présent. Mais l’acquisition d’une conscience historique participe de la mission essentielle de l’école, celle de la préparation à la responsabilité à assumer dans la société de demain. Installer les adolescents dans l’ignorance du passé et de ses enjeux, c’est enfreindre l’acquisition de capacités critiques et les condamner à terme à une sérieuse atrophie de leur conscience politique. En effet, si l’enseignement de l’histoire devient optionnel, on interdit à certains élèves tout accès à la connaissance d’une histoire toujours à découvrir et dont l’interprétation ne cesse d’être revisitée. L’appréhension du passé permet à tout individu d’être en capacité de se situer dans le présent, de devenir un acteur de l’avenir. Si on laisse s’installer les confusions, les brouillages entre passé et présent, alors les discours politiques pourront, sans contrôle, user et mésuser de l’histoire. Le passé sera mis au service des discours de vérité, et le débat démocratique qui repose sur la mobilisation d’outils critiques se verra réduit à de simples joutes d’opinions, en apparence contradictoires, en réalité stériles et purement consensuelles. L’histoire n’est pas simplement une discipline, elle aide à saisir les impasses dans lesquelles nous sommes plongées. Que l’on songe à la crise financière actuelle, comment la comprendre désormais sans remonter à la genèse du capitalisme ? Autre exemple, comment rendre intelligible une formule aussi chargée de sens telle que “la démocratie participative” sans l’inscrire dans le temps ? Devrons-nous nous contenter des déclarations de quelques candidat(e)s , en quête de notoriété ?

Quel que soit le stade de la réforme annoncée, et sans défendre forcément les filières traditionnelles, nous demandons donc que la question de la mémoire collective, celle du poids du passé et notamment des héritages du 20ème siècle sur les problèmes d’aujourd’hui figurent explicitement dans le cahier des charges de l’éducation de tous les adolescents français du 21è siècle.



Que voulons-nous pour nos enfants ? La question est large, et l’enjeu est très lourd car l’enseignement de l’histoire concerne autant les enseignants et les chercheurs, que l’ensemble des citoyens. Ne prêtons pas le flanc à la lancinante critique de n’être que des « lobbies disciplinaires », mais exprimons la volonté de faire exister et perdurer dans ce pays une intelligence collective.


Par le CVUH

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