samedi 22 mars 2008

Nicolas Sarkozy, nouvel Instituteur National d’une école policée par Laurence De Cock


Le ministère de l’éducation soumet, en ce moment même, les nouveaux programmes de l’école primaire à la consultation (1). A travers ce projet, la Présidence poursuit son lent travail d’investigation de l’école comme lieu de fabrication d’une adhésion aux valeurs du système sarkozien. Le ton avait été donné dès les discours électoraux : fervent admirateur de l’école de Jules Ferry (dont le nom apparaît 58 fois dans les discours de 2007), Nicolas Sarkozy se pose comme l’héritier du fondateur de l’école de la IIIème république. Il faut rappeler d’emblée que l’histoire scolaire en France est indissociable du projet républicain depuis la fin du XIXème siècle. Elle est donc, dans son essence même, chargée d’une mission civique et politique au sens où elle postule que la connaissance du passé configure l’agir politique de demain. Conjuguée à la mise en place d’une « instruction morale et civique » à l’école, l’histoire scolaire participait alors à l’entreprise de « fabrication des républicains » dans une France encore morcelée en terroirs, ou « petites patries ». Le roman national qui fait son apparition, principalement sous la plume d’Ernest Lavisse, mobilisait l’ensemble des grandes figures historiques susceptibles de provoquer chez les enfants une identification héroïque et une matrice culturelle suffisamment efficaces pour ancrer un sentiment national et patriotique : « A l’enseignement de l’histoire incombe le glorieux devoir de faire aimer et comprendre la patrie… Nos ancêtres les Gaulois et les forêts des druides, Charles Martel à Poitiers, Roland à Roncevaux, Godefroy de Bouillon à Jérusalem, Jeanne d’Arc, tous nos héros du passé, même enveloppés de légendes… si l’écolier n’emporte pas avec lui le vivant souvenir de nos gloires nationales, s’il ne sait pas que nos ancêtres ont combattu sur mille champs de bataille pour de nobles causes, s’il n’a point appris ce qu’il a coûté de sang et d’efforts pour faire l’unité de notre patrie (…) s’il ne devient pas un citoyen pénétré de ses devoirs et un soldat qui aime son drapeau, l’instituteur aura perdu son temps. (2) »
Depuis un siècle, les programmes scolaires tentent de combiner, autant que faire se peut, les avancées historiographiques ou épistémologiques de la recherche historique aux enjeux politiques et sociaux du moment. Et c’est peut-être justement à l’école primaire que cette ligne est la plus visible. Ainsi, les actuels programmes Joutard (2002), tout en reconnaissant les vertus pédagogiques d’une histoire par les grands témoins, les chargent d’une fonction beaucoup plus en phase avec l’historiographie contemporaine. Ces derniers ne sont en effet pas appréhendés comme des figures emblématiques, mais sont présentés aux élèves à la fois « comme des témoins privilégiés de leur époque et comme des individus au parcours singulier dont on peut mettre en valeur la personnalité ou l’exemplarité de comportement sur la plan des valeurs ». Dans ce « panthéon culturel », le personnage historique est un héros qui donne corps et chair au récit. Il peut être extra-national ( Martin Luther King, Shakespeare, Gandhi, Armstrong…) mais, surtout, il vient s’associer dans la trame narrative à des « groupes sociaux significatifs » qui compensent la simple héroïsation par un environnement historique qui permet une appréhension plus panoramique de l’événement. Ainsi les programmes demandent-ils d’insister sur le rôle des femmes dans la vie publique ou sur le « rôle des groupes plus anonymes ». Dans cette « mini société » que constitue l’école, les moments de « vivre ensemble » (expression préférée par les programmes à celle d’ « éducation civique ») sont centrés sur une pédagogie de débat susceptible de sensibiliser les enfants « à l’aventure d’un espace commun à tous les hommes ». On notera ici le souci de contribuer à l’édification d’une citoyenneté de type critique, au sens où les enfants font simultanément l’expérience d’un passé vécu par des acteurs sociaux, et d’un présent dans lequel ils apprennent à mobiliser leurs propres outils d’analyse et d’expression ; dit autrement, l’école travaille à l’apprentissage de la responsabilité.
Quel projet scolaire Nicolas sarkozy propose-t-il aujourd’hui ? Dans une logique totalement inverse et résolument conservatrice, les nouvelles prescriptions font fi de toute réflexion sur la complexité du moment historique pour recentrer les compétences de l’élève sur la mécanique de la mémorisation. Il s’agit, dès le CE1 d’identifier les principales périodes de l’histoire, de mémoriser quelques repères chronologiques pour les situer les uns par rapport aux autres « en connaissant une ou deux de leurs caractéristiques majeures ». Même la linéarité du récit se voit ici amputée puisque est proposée aux élèves une sorte de scansion quasi automatique dates/personnages avec un simple exercice de mise en ordre. Les personnages héroïques restent, mais redeviennent de simples « jalons d’une histoire nationale ». La vision du passé, réduite à son minimum évènementiel se dessèche et se teinte à nouveau d’ethnocentrisme. C’est une histoire déshydratée qui est proposée aux enfants. Ernest Lavisse n’avait pas osé aller aussi loin : « On ne sait pas mieux son histoire pour avoir rangé dans sa tête un magasin de faits et de dates que sa langue pour appliquer, en tout cas difficile, la règles des participes » (3) Cette régression se double en outre d’un retour de l’ « Instruction morale et civique ». On notera dans les textes la réapparition, dès l’école maternelle, de la notion de politesse qui devient le fil rouge de l’apprentissage de la citoyenneté. A sept ans, tous les élèves de France apprendront à reconnaître l’hymne national et à se lever dès les premières notes. Les règles de civilité et le comportement « conforme à la morale » forment désormais le socle de la vie collective.

Est-ce à dire que l’on cherche ici à transformer nos petits écoliers en simples automates dénués de sensibilité aux hauts faits de l’histoire ou aux valeurs républicaines ? Bien au contraire, la place laissée vacante par l’absence de toute réflexion critique sera immédiatement investie par une pédagogie des affects. Celle initiée chez les grands lycéens par la lecture de la lettre de Guy Môquet ; celle récemment préconisée à travers l’indécente proposition présidentielle de faire parrainer un enfant juif déporté, par un élève de CM2 ; une initiative heureusement avortée, mais qui en dit long sur le projet éducatif de ceux qui nous gouvernent. Suspendre un enfant dans l’émotion empêche précisément toute intelligibilité des faits et toute possible construction d’outils de débat. C’est le sens même de l’école et de sa fonction civique qui est menacé. A une citoyenneté critique nécessaire à tout fonctionnement démocratique, on préfère le principe de l’adhésion aveugle qui prive le futur adulte de l’accès à une véritable conscience politique.


Laurence De Cock


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Notes :

(2) Ernest Lavisse, 15 juillet 1891, discours d’inauguration d’une école à Nouvion en Thiérache.
(3) « L’enseignement historique en Sorbonne et l’éducation nationale », Revue des deux mondes, 15 février 1882, p. 888.

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