Du 12
octobre au 30 décembre, le Musée de L’Ordre de la Libération a accueilli au
cœur du Musée des Invalides l’exposition « Le Maroc à travers les âges »,
placée sous le haut patronage du roi du Maroc Mohamed VI en partenariat avec
l’Institut du Monde arabe, le soutien de l’ambassade du Maroc en France, la
Fondation Charles de Gaulle et la Mairie de Paris. Madame Bahija Simou, commissaire
de cette exposition, directrice des Archives royales, est l'organisatrice de cet
évènement.
L’exposition
a été inaugurée en grande pompe par le prince Moulay Rachid, le conservateur du
musée de l’Ordre de la Libération, l’ambassadeur du Maroc en France, le Trésorier de la Fondation Charles de Gaulle, un
colonel Délégué national
du conseil national aux communes "Compagnons de la Libération". Jack
Lang était l’invité d’honneur.
Selon Madame Bahija Simou, « nous assistons /…/ à une instrumentalisation des spiritualités qui
nous fait courir le risque d’un recul de la civilisation et de la
modernité. » Devant « la
menace de la destruction du patrimoine mondial et d’une agression contre
l’humanité et sa mémoire », il s’agissait, avec cette exposition
« de combattre la barbarie ».
Ainsi, conformément à « la pensée de
Sa Majesté le Roi du Maroc /… / la culture constitue le moyen le plus efficace
pour préserver la mémoire des diverses menaces qui pèsent sur elle… L’un des
moyens majeurs pour garder les générations futures de tout égarement. »
Alors que le Maroc a en 2016 commémoré le 60ème
anniversaire de son accession à l’indépendance, (9 mars 1956), cette exposition
se veut l’aboutissement de deux expositions précédentes. L’une « Le Maroc
contemporain », accrochée à l’IMA à l’automne 2014, était consacrée aux
plasticiens marocains contemporains. L’autre, « Le Maroc médiéval, un
empire de l’Afrique à l’Espagne » s’était tenue au Louvre d’octobre 2014 à
janvier 2015. L’événement culturel du Musée de l’0rdre de la Libération avait quant
à lui était scellé en février 2016 à l’IMA entre le roi du Maroc et le
président de la République française.
On le voit, cet événement a
bénéficié d’une introduction diplomatico-culturelle de poids, mise en place de
longue main et qui entend servir des buts
historico-diplomatiques de poids eux aussi. En un temps où la France est en
guerre contre « le terrorisme»/Daëch/l’Etat islamique (selon), tant en
Afrique limitrophe du Maroc qu’au Moyen Orient, et où les services de renseignement
marocains sont devenus des alliés « de la coalition internationale » indispensables
et imbattables dans cette guerre, le roman national en miroir est de rigueur.
À l’entrée du musée s’ouvre la première partie de
l’exposition, gratuite. On longe de (trop) hautes bannières chronologiques qui
déroulent treize siècles à grands pas, photographies et facs-similés à l’appui –lieux
antiques, personnages remarquables, textes calligraphiés rares, cartes des
réseaux commerciaux et voyageurs de l’Afrique à l’Europe, réseaux urbains et
architecture, casbahs imprenables, bijoux, oasis, cités royales, arbres
généalogiques. De tout temps, de dynastie royale en dynastie royale, l’État
marocain était en marche, son peuple était arabe. Un Maroc de l’ancienneté, de
la permanence, de la spiritualité et de l’islam modéré (sunnite) et de la
présence chrétienne, y compris des relations avec le Saint Siège au temps des
Croisades, un Maroc carrefour des civilisations (à peine présents toutefois,
les peuples qui en furent et en sont les porteurs). Mais surtout, un Maroc qui
entretient avec la France une amitié séculaire –depuis le XIIIe siècle. Entre
ces deux-là, c’est l’art du dialogue. Et du partage des deux guerres mondiales
du XXe siècle, au cours desquelles les Marocains ont payé un très lourd tribut
aux côtés de la France.
Les photos en noir et blanc sont impressionnantes, et
émouvantes, qui montrent spahis, tabors et goumiers en burnous ainsi que des fantassins
de l’armée de terre armés jusqu’aux dents en train de crapahuter, ramper,
traverser des cordillères à dos de mulets chargés de mitrailleuses. On les voit
aussi en Anciens combattants, décorés et fiers, saluant le drapeau et les
officiers français qui leur doivent tant. La fin de la première partie de
l’exposition souligne la dimension historique du futur Mohamed V. À l’époque
sultan du Maroc, Sidi Mohamed ben Youssef est en effet invité à la célébration de
la Victoire le 18 juin 1945 et est fait Compagnon de la Libération par de Gaulle
en personne –devenant ainsi le seul chef d’état arabe et musulman à avoir reçu ce
titre. Deux grands hommes frères d’armes scellaient ainsi à la face du monde
l’égalité et la fraternité qui les reliaient. Alors, fin du Protectorat
colonial ?
Petit rappel historique. En septembre 1939, le sultan
avait prononcé un discours remarquable et remarqué appelant ses sujets à
s’engager pour soutenir la France contre les Allemands : « Nous lui devons un secours sans réserve /…/ dans l’épreuve qu’elle
traverse et d’où elle sortira, nous en sommes convaincus, glorieuse et grande. »
En août 1941, la Charte de l’Atlantique avait promis l’autodétermination aux
peuples colonisés et le 8 novembre 1942, avec le débarquement américain, une
pluie de tracts sur Casablanca avaient proclamé: « Les
Américains ne luttent pas uniquement pour leur sécurité future mais aussi pour
rendre à ceux qui vivent sous le drapeau tricolore leur idéal, leur
liberté et la démocratie.. »
À la suite du débarquement, auquel résistèrent violemment les forces
pétainistes, faisant de très nombreuses victimes, la France Libre avait repris
le contrôle de l’administration coloniale. Néanmoins souverain sur ses sujets,
le sultan protégea les Juifs marocains des lois antisémites, qui persistaient.
Peu après, lors de la Conférence d’Anfa/Casablanca de janvier
1943 à laquelle participèrent Churchill, de Gaulle, Giraud et Roosevelt, ce
dernier offrit un dîner en l’honneur du sultan et lui laissa entendre que la
fin du système colonial viendrait avec la fin de la guerre. Aussi, en janvier
1944, les nationalistes marocains présentaient-ils au sultan, qui approuva, un
Manifeste pour l’indépendance du Maroc, tout de suite très populaire dans la population marocaine, mais pas auprès des autorités françaises, on s’en doute.
En 1945, on l’a vu, Ben Youssef n’en était pas moins fait Compagnon de la
Libération.
Fin de la première partie de l’exposition. Il s’agit en
somme d’une présentation lissée d’un Protectorat qui va tranquillement vers
l’indépendance, malgré de réelles frictions. D’abord, le Manifeste nationaliste,
suivi en 1947 du discours de Tanger prononcé par Sidi Mohammed ben Youssef
lui-même, réclamant l’indépendance et l’adhésion du Maroc à la Ligue arabe,
membre de l’ONU -pas un mot sur cet aspect. À partir de 1951, la rupture est
consommée. Les ultras français, avec le général Juin à leur tête (pas un mot
sur lui ni sur eux) font pression sur le sultan, qui ne désavoue pas les
nationalistes, au contraire. Le conflit s’exacerbe, la résistance se durcit et les
émeutes se multiplient -pas un mot sur ces dernières ni sur le pacha de
Marrakech qui passe à la solde de la France. Celle-ci dépose le souverain, le
remplace par un fantoche et le déporte à Madagascar (1954).
À l’heure de Diên Biên Phu, du début de la guerre
d’Algérie et des luttes pour l’indépendance en Tunisie, le Maroc est à feu et à
sang. Mais on préfère parler d’un simple exil de deux ans. Puis d’un retour triomphal
et glorieux, ce qui est exact.
La deuxième partie de l’exposition n’est pas gratuite.
Elle présente, toujours sous forme de panneaux imagés, à quelques beaux objets
près, le Maroc indépendant de Mohamed V –des barrages, des usines, des visites à
travers le pays, à la fois homme d’Etat et musulman charismatique, hélas mort
trop tôt –février 1961.
Et puis on passe à la salle consacrée au Maroc
contemporain, celui de Mohamed VI –des gares, des TGV, des autoroutes, des
écoles coraniques, des relations internationales, dans l’union et l’intégrité
territoriale, le tout en clips vertigineux et la présentation là encore de
quelques objets prestigieux. L’exposition se termine sur le courageux appel
lancé par Mohammed VI en août 2016, dénonçant les islamistes et appelant les
hommes de bonne volonté à s’unir contre eux.
Je n’ai pas rêvé, il n ‘y a rien sur le Maroc de Hassan
II, ni sur Hassan II lui-même.
C’est tout juste s’il apparaît et est nommé deux fois,
jeune prince héritier aux côtés de son père. Et une fois sur un portrait en
couleurs (le nom n’apparaît pas dans la légende), tenu par une manifestante au
cours de la faramineuse Marche verte de 1975 –une des grandes manœuvres de
Hassan II pour que le Sahara ex-espagnol soit internationalement reconnu comme
faisant partie du Maroc. Rien sur le roi Hassan II, ni sur Ben Barka, ni sur Oufkir,
ni sur les coups d’état (déjoués) dont le royaume fut à plusieurs reprises l’objet,
rien sur la répression contre leurs auteurs et contre la gauche qui fit du Maroc un pays policier d’épouvante. Aucune citation non plus de l’aura
internationale de Hassan II, ni de sa politique étrangère très complexe –le
seul pays arabe à avoir des relations avec Israël, et de bonnes relations qui
plus est. Enfin rien sur sa politique dite d’alternance à partir de 1998, avec
un chef gouvernement socialiste. Rien.
Rien sur un règne qui dura de 1961 à 1999 et qui fut mené
de main de maître et de fer par un monarque hors norme.
Mutatis mutandis,
ce serait comme si une exposition sur l’histoire de France contemporaine
gommait la présidence Mitterrand.
De la prestidigitation, cette histoire.
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