dimanche 29 janvier 2017

En revenant de l'expo : histoire du Maroc et prestidigitation par N.Delanoë


Du 12 octobre au 30 décembre, le Musée de L’Ordre de la Libération a accueilli au cœur du Musée des Invalides l’exposition « Le Maroc à travers les âges », placée sous le haut patronage du roi du Maroc Mohamed VI en partenariat avec l’Institut du Monde arabe, le soutien de l’ambassade du Maroc en France, la Fondation Charles de Gaulle et la Mairie de Paris. Madame Bahija Simou, commissaire de cette exposition, directrice des Archives royales, est l'organisatrice de cet évènement.

L’exposition a été inaugurée en grande pompe par le prince Moulay Rachid, le conservateur du musée de l’Ordre de la Libération, l’ambassadeur du Maroc en France, le Trésorier de la Fondation Charles de Gaulle, un colonel Délégué national du conseil national aux communes "Compagnons de la Libération". Jack Lang était l’invité d’honneur.

Selon Madame Bahija Simou, « nous assistons /…/ à une instrumentalisation des spiritualités qui nous fait courir le risque d’un recul de la civilisation et de la modernité. » Devant « la menace de la destruction du patrimoine mondial et d’une agression contre l’humanité et sa mémoire », il s’agissait, avec cette exposition « de combattre la barbarie ». Ainsi, conformément à « la pensée de Sa Majesté le Roi du Maroc /… / la culture constitue le moyen le plus efficace pour préserver la mémoire des diverses menaces qui pèsent sur elle… L’un des moyens majeurs pour garder les générations futures de tout égarement. »

Alors que le Maroc a en 2016 commémoré le 60ème anniversaire de son accession à l’indépendance, (9 mars 1956), cette exposition se veut l’aboutissement de deux expositions précédentes. L’une « Le Maroc contemporain », accrochée à l’IMA à l’automne 2014, était consacrée aux plasticiens marocains contemporains. L’autre, « Le Maroc médiéval, un empire de l’Afrique à l’Espagne » s’était tenue au Louvre d’octobre 2014 à janvier 2015. L’événement culturel du Musée de l’0rdre de la Libération avait quant à lui était scellé en février 2016 à l’IMA entre le roi du Maroc et le président de la République française.

On le voit, cet événement a bénéficié d’une introduction diplomatico-culturelle de poids, mise en place de longue main et qui entend servir des buts historico-diplomatiques de poids eux aussi. En un temps où la France est en guerre contre « le terrorisme»/Daëch/l’Etat islamique (selon), tant en Afrique limitrophe du Maroc qu’au Moyen Orient, et où les services de renseignement marocains sont devenus des alliés « de la coalition internationale » indispensables et imbattables dans cette guerre, le roman national en miroir est de rigueur.

À l’entrée du musée s’ouvre la première partie de l’exposition, gratuite. On longe de (trop) hautes bannières chronologiques qui déroulent treize siècles à grands pas, photographies et facs-similés à l’appui –lieux antiques, personnages remarquables, textes calligraphiés rares, cartes des réseaux commerciaux et voyageurs de l’Afrique à l’Europe, réseaux urbains et architecture, casbahs imprenables, bijoux, oasis, cités royales, arbres généalogiques. De tout temps, de dynastie royale en dynastie royale, l’État marocain était en marche, son peuple était arabe. Un Maroc de l’ancienneté, de la permanence, de la spiritualité et de l’islam modéré (sunnite) et de la présence chrétienne, y compris des relations avec le Saint Siège au temps des Croisades, un Maroc carrefour des civilisations (à peine présents toutefois, les peuples qui en furent et en sont les porteurs). Mais surtout, un Maroc qui entretient avec la France une amitié séculaire –depuis le XIIIe siècle. Entre ces deux-là, c’est l’art du dialogue. Et du partage des deux guerres mondiales du XXe siècle, au cours desquelles les Marocains ont payé un très lourd tribut aux côtés de la France.

Les photos en noir et blanc sont impressionnantes, et émouvantes, qui montrent spahis, tabors et goumiers en burnous ainsi que des fantassins de l’armée de terre armés jusqu’aux dents en train de crapahuter, ramper, traverser des cordillères à dos de mulets chargés de mitrailleuses. On les voit aussi en Anciens combattants, décorés et fiers, saluant le drapeau et les officiers français qui leur doivent tant. La fin de la première partie de l’exposition souligne la dimension historique du futur Mohamed V. À l’époque sultan du Maroc, Sidi Mohamed ben Youssef est en  effet invité à la célébration de la Victoire le 18 juin 1945 et est fait Compagnon de la Libération par de Gaulle en personne –devenant ainsi le seul chef d’état arabe et musulman à avoir reçu ce titre. Deux grands hommes frères d’armes scellaient ainsi à la face du monde l’égalité et la fraternité qui les reliaient. Alors, fin du Protectorat colonial ?

Petit rappel historique. En septembre 1939, le sultan avait prononcé un discours remarquable et remarqué appelant ses sujets à s’engager pour soutenir la France contre les Allemands : « Nous lui devons un secours sans réserve /…/ dans l’épreuve qu’elle traverse et d’où elle sortira, nous en sommes convaincus, glorieuse et grande. » En août 1941, la Charte de l’Atlantique avait promis l’autodétermination aux peuples colonisés et le 8 novembre 1942, avec le débarquement américain, une pluie de tracts sur Casablanca avaient proclamé: « Les Américains ne luttent pas uniquement pour leur sécurité future mais aussi pour rendre à ceux qui vivent sous le drapeau tricolore leur idéal, leur liberté  et la démocratie.. » À la suite du débarquement, auquel résistèrent violemment les forces pétainistes, faisant de très nombreuses victimes, la France Libre avait repris le contrôle de l’administration coloniale. Néanmoins souverain sur ses sujets, le sultan protégea les Juifs marocains des lois antisémites, qui persistaient.

Peu après, lors de la Conférence d’Anfa/Casablanca de janvier 1943 à laquelle participèrent Churchill, de Gaulle, Giraud et Roosevelt, ce dernier offrit un dîner en l’honneur du sultan et lui laissa entendre que la fin du système colonial viendrait avec la fin de la guerre. Aussi, en janvier 1944, les nationalistes marocains présentaient-ils au sultan, qui approuva, un Manifeste pour l’indépendance du Maroc, tout de suite très populaire dans la population marocaine, mais pas auprès des autorités françaises, on s’en doute. En 1945, on l’a vu, Ben Youssef n’en était pas moins fait Compagnon de la Libération.

Fin de la première partie de l’exposition. Il s’agit en somme d’une présentation lissée d’un Protectorat qui va tranquillement vers l’indépendance, malgré de réelles frictions. D’abord, le Manifeste nationaliste, suivi en 1947 du discours de Tanger prononcé par Sidi Mohammed ben Youssef lui-même, réclamant l’indépendance et l’adhésion du Maroc à la Ligue arabe, membre de l’ONU -pas un mot sur cet aspect. À partir de 1951, la rupture est consommée. Les ultras français, avec le général Juin à leur tête (pas un mot sur lui ni sur eux) font pression sur le sultan, qui ne désavoue pas les nationalistes, au contraire. Le conflit s’exacerbe, la résistance se durcit et les émeutes se multiplient -pas un mot sur ces dernières ni sur le pacha de Marrakech qui passe à la solde de la France. Celle-ci dépose le souverain, le remplace par un fantoche et le déporte à Madagascar (1954).

À l’heure de Diên Biên Phu, du début de la guerre d’Algérie et des luttes pour l’indépendance en Tunisie, le Maroc est à feu et à sang. Mais on préfère parler d’un simple exil de deux ans. Puis d’un retour triomphal et glorieux, ce qui est exact.
La deuxième partie de l’exposition n’est pas gratuite. Elle présente, toujours sous forme de panneaux imagés, à quelques beaux objets près, le Maroc indépendant de Mohamed V –des barrages, des usines, des visites à travers le pays, à la fois homme d’Etat et musulman charismatique, hélas mort trop tôt –février 1961.

Et puis on passe à la salle consacrée au Maroc contemporain, celui de Mohamed VI –des gares, des TGV, des autoroutes, des écoles coraniques, des relations internationales, dans l’union et l’intégrité territoriale, le tout en clips vertigineux et la présentation là encore de quelques objets prestigieux. L’exposition se termine sur le courageux appel lancé par Mohammed VI en août 2016, dénonçant les islamistes et appelant les hommes de bonne volonté à s’unir contre eux.

Je n’ai pas rêvé, il n ‘y a rien sur le Maroc de Hassan II, ni sur Hassan II lui-même.

C’est tout juste s’il apparaît et est nommé deux fois, jeune prince héritier aux côtés de son père. Et une fois sur un portrait en couleurs (le nom n’apparaît pas dans la légende), tenu par une manifestante au cours de la faramineuse Marche verte de 1975 –une des grandes manœuvres de Hassan II pour que le Sahara ex-espagnol soit internationalement reconnu comme faisant partie du Maroc. Rien sur le roi Hassan II, ni sur Ben Barka, ni sur Oufkir, ni sur les coups d’état (déjoués) dont le royaume fut à plusieurs reprises l’objet, rien sur la répression contre leurs  auteurs et contre la gauche qui fit du Maroc un pays policier d’épouvante. Aucune citation non plus de l’aura internationale de Hassan II, ni de sa politique étrangère très complexe –le seul pays arabe à avoir des relations avec Israël, et de bonnes relations qui plus est. Enfin rien sur sa politique dite d’alternance à partir de 1998, avec un chef gouvernement socialiste. Rien.

Rien sur un règne qui dura de 1961 à 1999 et qui fut mené de main de maître et de fer par un monarque hors norme.

Mutatis mutandis, ce serait comme si une exposition sur l’histoire de France contemporaine gommait la présidence Mitterrand.

De la prestidigitation, cette histoire.


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