Rédacteur : Bruno Galland, conservateur général du patrimoine, directeur d'archives départementales.
Il y a vingt-deux ans, en publiant Archives interdites, Sonia Combe jetait un pavé dans la mare. En faisant
porter aux archivistes la responsabilité des difficultés d’accès à certains
fonds de la Seconde guerre mondiale, elle commettait une profonde injustice,
mais au moins contribuait-elle à mieux faire connaître les difficultés que
subissaient alors les Archives de France et, singulièrement, les Archives
nationales. A ce pamphlet ont heureusement succédé des initiatives concrètes –
auxquelles Sonia Combe s’est bien gardé de participer - qui ont permis, en
particulier, l’ouverture du nouveau site des Archives nationales de
Pierrefitte-sur-Seine, la mise en place d’un système d’information performant
et une revalorisation des archives contemporaines, parallèlement à une
réécriture de la loi et à une série de textes en faveur de l’ouverture (le
dernier en date étant le décret de 2015 ouvrant au public les fonds des
juridictions de l’Occupation et de la Libération).
Or, voici que le billet posté par Sonia Combe dénonce de
nouveau le comportement des archivistes, accusés cette fois-ci de se prêter
avec complaisance à l’écriture d’un « roman national » qui occulterait
des pan entiers de la mémoire, faute de connaître suffisamment les enjeux de
l’histoire contemporaine – et, plus fondamentalement, parce qu’ils
appartiendraient à un milieu socio-culturel qui privilégie « Dieu, le roi,
la France »...
Ainsi Sonia Combe concentre-t-elle ses attaques sur la
« grande collecte » de documents relatifs aux relations entre
l’Afrique et la France, une initiative de novembre 2016 qu’elle attribue aux
Archives nationales (il n’en est rien) et qui serait, au fond, la preuve d’un
colonialisme latent du milieu réactionnaire des archivistes. Plutôt que de
répondre sur un si mauvais procès, faut-il lui rappeler qu’il y a quelques
années les équipes scientifiques des Archives nationales se sont largement engagées
contre le projet de « Maison de l’histoire de France » précisément
parce qu’elles étaient très attentive à toute instrumentalisation de l’écriture
de l’histoire ? une position qui a coûté son poste à la directrice des
Archives nationales alors en fonction, Isabelle Neuschwander, mais qui a
finalement conduit à ce qu’Aurélie Filipetti, à son arrivée rue de Valois, annule
le projet. Mais, à ce moment-là, on n’a guère entendu Sonia Combe…
Sur le même plan, Sonia Combe prend prétexte des expositions
récentes des Archives nationales consacrées au fichage policier et aux services
secrets pour démontrer qu’elles participent de « l’occultation d’épisodes
peu glorieux du passé national ». On suppose que c’est aussi le cas de
l’exposition actuelle sur les procès des femmes – si tant est que Sonia Combe sache
qu’elle a lieu. On croit rêver ! Comment peut-on citer de tels exemples
pour reprocher aux archivistes de se désintéresser de l’histoire contemporaine
et des nouveaux enjeux de la mémoire – sinon par une sorte d’obsession ?
Sur un plan plus anecdotique, en dénonçant le poids excessif
du latin au concours d’entrée de l’école des chartes, Sonia Combe semble
ignorer qu’il existe depuis près de quinze ans un concours de recrutement sans
version latine qui représente une large partie des postes. De même, en
déplorant la présence monopolistique des chartistes dans les services
d’archives, au détriment des étudiants formés en master d’archivistique à
l’université, elle semble ignorer que la plupart des effectifs des archives
départementales et une large partie de ceux des Archives nationales sont
précisément constitués par ces archivistes issus de l’Université.
Plus fondamentalement, comment ne pas s’étonner de cette
assimilation grossière entre médiévistes et passéistes, latinistes et
colonialistes… L’historiographie médiévale compte de nombreux esprits de toute
orientation qui témoigne combien de tels schémas sont réducteurs.
Toutes ces erreurs, confusions et omissions ramènent
l’article de Sonia Combe à ce qu’il est : une caricature grossière qui
témoigne, de la part de son auteur, d’une incapacité à remettre en cause ses
propres questionnements. Puis-je suggérer à Sonia Combe d’abandonner ses vieux
dossiers et de renouveler sa dialectique ? Ça tombe bien, la prochaine
grande collecte promue par le ministère de la Culture sera consacrée au rôle
des femmes dans la société. Sonia Combe pourra en profiter pour confier ses archives
aux Archives nationales…
Bruno GALLAND
Le texte de l'appel de la Grande collecte sur l'Afrique et la France au 19e et 20e" siècles sans référence au passé colonial avait surpris plusieurs membres du CVUH. Rappelons que la plupart des membres du CVUH (dont Sonia Combe), ont été largement mobilisés contre la Maison de l'histoire de France. Cependant la question n'est pas celle de nos états de service respectifs, mais de la nécessité d'une réflexion plus générale sur la façon dont l'institution des AN peut contribuer à masquer en partie le passé ou tout simplement sélectionner ce qui doit être dit ou vu.
Sonia Combe
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