Rédactrice Sonia Combe
Puisqu’il a été question de plagiat récemment (cf. Le Monde du 5 décembre et la réponse d’Etienne Klein), je voudrais
rebondir sur ces pratiques déshonorantes et réfléchir au moyen de les prévenir.
Une collègue turque, qui a fait sa thèse en France,
s’indignait il y a peu sur Facebook
du fait que ses travaux étaient de plus en plus utilisés par des historiens
français sans que son nom soit mentionné. Elle avait le sentiment qu’on s’appropriait
son travail.
Le procédé est à peu près sans risque. Cette collègue est
loin et peut difficilement surveiller l’édition française. Et puis, elle n’est
pas (re)connue en France, elle enseigne en Turquie (et non à Columbia ou
Princeton, dans ce cas, elle serait citée en lettres majuscules si c’était
possible), elle ne siège dans aucune commission, dans aucun comité de rédaction
etc., en bref, elle est dépourvue de capital symbolique dans le champ.
Ce n’est pas un hasard si je reprends ces concepts car
Bourdieu avait très bien expliqué ce qui se jouait avec les citations : les
gens importants (influents) sont généralement cités dans le corps du texte, les
autres renvoyés dans les notes en bas de page ou dans la bibliographie finale,
ce qui signifie que leur paternité se trouve noyée dans l’ensemble des sources.
Il n’avait pas mentionné, me semble-t-il, qu’il y avait mieux encore : il
existe une catégorie de collègues, comme cette collègue turque, qu’on peut
piller sans scrupule, se dispensant même de les citer. Sans doute pour alléger
l’appareil de notes. Vous connaissez les éditeurs...
Une autre pratique consiste à délégitimer les travaux
de collègues en tronquant leurs propos, ce qui revient à leur faire dire ce
qu’ils n’ont pas dit, ou même l’inverse de ce qu’ils ont dit. C’est ainsi que
je fus avertie qu’un historien me faisait défendre un ouvrage que j’avais au
contraire critiqué, mais sur lequel j’avais eu en son temps un désaccord avec
l’un de ses patrons de thèse. Je lui adressai un e-mail : avait-il bien lu ce que j’avais écrit ? Je
ne m’attendais certes pas à ce qu’il fasse amende honorable. Je savais même que
je ne m’en faisais pas un ami, mais ce jour là, au lieu de hausser les épaules,
je pris ma plume. Il y a des jours où c’est comme ça. Grande fut ma surprise lorsque je reçus par retour
du courrier un mail courroucé : « Ah, ah, vous cherchez la
polémique ! Sachez qu’avec moi, ça ne prend pas ! » Pour un peu
on l’imaginait relevant ses manches. Tiens, pensé-je, ta seule défense quand tu
es pris la main dans le sac, c’est l’attaque. Je ne sais pas ce que valent tes
travaux, mais je peux t’assurer que tu feras carrière. Continue à être du côté
de qui peut t’être utile. Tu as tout compris.
Bourdieu disait encore, je ne sais plus où, peut-être
dans son séminaire, qu’à ne pas nommer ceux qu’on cible, par peur, pudeur ou prudence,
on tombe à plat. Les initiés, qui ont compris qui était visé, rient sous cape
tandis que le coupable, assuré de son impunité, s’en lave les mains.
Alors, que faire ? Un billet d’humeur – à tout le
moins. En citant ses sources. Mais devrait-on encourager notre collègue turque
à le faire? Ce serait à ses risques et périls…pour le cas où elle ambitionnerait
un poste en France - ce qui, étant donné la situation en Turquie, pourrait ne
pas être impossible.
Quant à moi, voici mes sources :
Sonia Combe, Archives
interdites. Albin Michel, 1994 p. 294-300
Fabien Theofilakis, « Les prisonniers de guerre
allemands en mains françaises dans les mémoires nationales en France et en
Allemagne après 1945 », Cahiers
d’histoire critique, 100/2007.
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