vendredi 13 janvier 2017

A propos de vilaines pratiques: citations non référencées, tronquées, plagiat etc.

Rédactrice Sonia Combe


Puisqu’il a été question de plagiat récemment (cf. Le Monde  du 5 décembre et la réponse d’Etienne Klein), je voudrais rebondir sur ces pratiques déshonorantes et réfléchir au moyen de les prévenir.
Une collègue turque, qui a fait sa thèse en France, s’indignait il y a peu sur Facebook du fait que ses travaux étaient de plus en plus utilisés par des historiens français sans que son nom soit mentionné. Elle avait le sentiment qu’on s’appropriait son travail.
Le procédé est à peu près sans risque. Cette collègue est loin et peut difficilement surveiller l’édition française. Et puis, elle n’est pas (re)connue en France, elle enseigne en Turquie (et non à Columbia ou Princeton, dans ce cas, elle serait citée en lettres majuscules si c’était possible), elle ne siège dans aucune commission, dans aucun comité de rédaction etc., en bref, elle est dépourvue de capital symbolique dans le champ.

Ce n’est pas un hasard si je reprends ces concepts car Bourdieu avait très bien expliqué ce qui se jouait avec les citations : les gens importants (influents) sont généralement cités dans le corps du texte, les autres renvoyés dans les notes en bas de page ou dans la bibliographie finale, ce qui signifie que leur paternité se trouve noyée dans l’ensemble des sources. Il n’avait pas mentionné, me semble-t-il, qu’il y avait mieux encore : il existe une catégorie de collègues, comme cette collègue turque, qu’on peut piller sans scrupule, se dispensant même de les citer. Sans doute pour alléger l’appareil de notes. Vous connaissez les éditeurs...

Une autre pratique consiste à délégitimer les travaux de collègues en tronquant leurs propos, ce qui revient à leur faire dire ce qu’ils n’ont pas dit, ou même l’inverse de ce qu’ils ont dit. C’est ainsi que je fus avertie qu’un historien me faisait défendre un ouvrage que j’avais au contraire critiqué, mais sur lequel j’avais eu en son temps un désaccord avec l’un de ses patrons de thèse. Je lui adressai un e-mail : avait-il bien lu ce que j’avais écrit ? Je ne m’attendais certes pas à ce qu’il fasse amende honorable. Je savais même que je ne m’en faisais pas un ami, mais ce jour là, au lieu de hausser les épaules, je pris ma plume. Il y a des jours où c’est comme ça. Grande fut  ma surprise lorsque je reçus par retour du courrier un mail courroucé : « Ah, ah, vous cherchez la polémique ! Sachez qu’avec moi, ça ne prend pas ! » Pour un peu on l’imaginait relevant ses manches. Tiens, pensé-je, ta seule défense quand tu es pris la main dans le sac, c’est l’attaque. Je ne sais pas ce que valent tes travaux, mais je peux t’assurer que tu feras carrière. Continue à être du côté de qui peut t’être utile. Tu as tout compris.
Bourdieu disait encore, je ne sais plus où, peut-être dans son séminaire, qu’à ne pas nommer ceux qu’on cible, par peur, pudeur ou prudence, on tombe à plat. Les initiés, qui ont compris qui était visé, rient sous cape tandis que le coupable, assuré de son impunité, s’en lave les mains.

Alors, que faire ? Un billet d’humeur – à tout le moins. En citant ses sources. Mais devrait-on encourager notre collègue turque à le faire? Ce serait à ses risques et périls…pour le cas où elle ambitionnerait un poste en France - ce qui, étant donné la situation en Turquie, pourrait ne pas être impossible.

Quant à moi, voici mes sources :
Sonia Combe, Archives interdites. Albin Michel, 1994 p. 294-300
Fabien Theofilakis, « Les prisonniers de guerre allemands en mains françaises dans les mémoires nationales en France et en Allemagne après 1945 », Cahiers d’histoire critique, 100/2007.


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