Il
est temps pour nous, membres du CVUH, de prendre position à une semaine
du second tour de l'élection présidentielle, dans un climat politique singulièrement inquiétant, et tout
particulièrement à gauche. Le CVUH n'est pas un mouvement politique ni
un syndicat, mais il a une fonction à la fois savante et critique depuis
sa fondation. Une des raisons fondatrices du CVUH, en 2005, est le
rapport à l'instrumentalisation de l'histoire de la colonisation de
l’Algérie. Rappelons-le : il s'agissait pour nous initialement de
récuser l'idée de devoir enseigner sous injonction ministérielle les
aspects positifs de la colonisation, comme le formulait le second alinéa
de l'article 4 du projet de loi : « les programmes scolaires
reconnaissent en particulier le caractère positif de la présence
française outremer et notamment en Afrique du nord ». C'était une
proposition de Jacques Chirac, mais dont il était assez évident qu'elle
cherchait à séduire l'électorat d'extrême droite, nostalgique de
l'Algérie coloniale et les milieux qui entreprenaient déjà une
réhabilitation publique de l'OAS.
Nous
sommes dans une situation infiniment pire, et qui nous requiert pour
les mêmes raisons : le FN et sa candidate ne cessent d'instrumentaliser
l'histoire, celle de la colonisation, celle de l'immigration, celle de
la déportation et de l'extermination des juifs, celle de l'occupation,
celle du protestantisme, celle de l'Islam, celle de l'Europe, etc. - la
liste est longue. Cela au nom de la « patrie », au nom du « peuple », au
nom d'une conception fermée, xénophobe et agressive de la « France »,
et de la « fierté nationale » qu'il faudrait restaurer. Et il faut
s'attendre à des projets de loi beaucoup plus graves et injonctifs
concernant l'enseignement de l'histoire, dans le primaire, le secondaire
et le supérieur.
Bien
sûr, nous constatons l'usage et l'instrumentalisation du drapeau
tricolore, de ces mêmes mots de peuple, de patrie, de France, chez la
plupart des partis politiques et des candidats à l'élection
présidentielle. Et bien sûr, en tant que citoyens d'opinions diverses,
nous pouvons nous inquiéter de certaines propositions du candidat d'En
marche concernant la sécurité sociale et la loi travail, entre autres.
Mais,
sauf à tout confondre, le danger n'est pas comparable. Un pouvoir
exécutif contrôlé par l'extrême droite ne produit pas les mêmes effets
de censure et d'action policière que le même pouvoir exécutif contrôlé
par des libéraux. Le gouvernement hongrois dirigé par Victor Orban qui
censure les médias, fait emprisonner les manifestants en dehors des
lois, réhabilite le régime fascisant et antisémite de l'amiral
Horthy tout en criminalisant les réfugiés qui tentent d'échapper à
l'extrême violence de la guerre en Syrie et en Irak, nous rappelle au
présent la nature du danger. S'agissant du seul domaine de l'histoire,
les historiens spécialistes peuvent discuter de l'utilisation de
l'expression de « crimes contre l’humanité » par Emmanuel Macron pour
désigner l'ensemble de la colonisation, incontestablement ponctuée de ce
type de crimes. Mais ce sont bien des dirigeants et des responsables FN
qui célèbrent la mémoire de Pétain, nient l'extermination des juifs par
les chambres à gaz, remettent en question le droit de pratiquer
librement ses croyances. C'est bien la candidate du FN qui propose de
supprimer le droit du sol, élément fondamental du droit républicain de
la nationalité depuis 1889, et qui cherche à rendre plus difficile la
vie quotidienne de millions de Français en prétendant distinguer
les « vrais Français » et les autres. C'est elle qui
prétend arrêter toute immigration, proposition absurde et régressive,
inapplicable, pour qui connaît l'histoire de l'immigration et pour qui
reconnaît le droit élémentaire de la vie en commun.
Il est donc impossible de nous abstenir dimanche prochain.
Et nous rejoignons les appels qui, pour les mêmes raisons que nous,
visent à dire non à la présence de l'extrême droite au pouvoir au sommet
de l'Etat le soir du 7 mai.
S’abstenir
n'aurait pas de sens, ce serait laisser à d'autres le soin de faire
barrage au Front National. Être clair c'est s'engager à voter pour
l'autre candidat, seul en lice contre le FN, afin de pouvoir ensuite
exiger du président de la République, y compris en le combattant, une
autre orientation programmatique. À nous de rester vigilants pour que
l'histoire retrouve les chemins de la critique.
Le CVUH
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