« Honnêtement, on en a ras le bol de cette histoire du passé », par ces mots, Brice Hortefeux expliquait le 28 juin dernier lors d’un meeting sur l’Europe sa décision d’organiser un sommet de l’Intégration à Vichy les 3-4 novembre prochain. Il s’agirait d’en finir avec l’opprobre qui pèse sur la ville depuis un demi-siècle. Le débat déjà ancien sur l’amalgame entre le nom d’une ville et la désignation de l’Etat français dirigé par le Maréchal Pétain rebat alors son plein. Une proposition de loi avait d’ailleurs déjà été déposée par le député Gérard Charasse le 26 mars 2003 visant à « substituer, dans les communications publiques invoquant la période de l’État français, aux références à la ville de Vichy, l’appellation « dictature de Pétain » (1).
L’idée est donc claire : la ville souffrant de son involontaire fusion terminologique avec l’une des périodes les plus sombres de l’histoire de France, rebaptiser la période vichyste permettrait de s’alléger de ce lourd fardeau. C’est oublier un peu vite qu’on ne joue pas innocemment avec les mots qui qualifient le passé et que leur réécriture touche immanquablement à la réalité même de ce passé et de sa perception historique. Même si l’on ne peut que comprendre l’irritation ou le malaise des habitants de la ville de Vichy, il faut rappeler que l’on parle couramment, dès l’été 40, dans les journaux de l’époque de « gouvernants » ou « gouvernement » de Vichy tant chez les opposants que chez les Vichystes. La BBC évoque les "hommes de Vichy" dès juin 1940, et ce, jusqu’en 1944. L’expression d’usage, devient donc très vite courante. La formule utilisée par les acteurs de l’époque condense le caractère collectif de ce gouvernement, et, par là même, sa nature officielle. Elle le constitue symboliquement en tant qu’Etat français. En insistant au contraire sur « la dictature de Pétain », on vient substituer une dimension personnalisée à une réalité plurielle : Laval n’était pas Pétain, Darlan n’était pas Laval etc… Ce faisant, on retrouve entre les lignes le discours des tenants de la version gaullienne du régime de Vichy qui partage la France entre traîtres et patriotes et vise à déconnecter ce moment historique de la continuité de l’Etat français. Rappelons au passage que, dans son discours de 1995, Le président Chirac affirmait la responsabilité de l’Etat français dans la déportation des Juifs de France, et qu’aucune lecture sérieuse de cette histoire ne peut prétendre revenir sur ce point. Pourtant, en mai dernier à Ouistreham, Nicolas Sarkozy, dans son discours, réitérait cette vision éculée en affirmant que « la vraie France n’était pas à Vichy », et que « La vraie France, la France éternelle, elle avait la voix du général de Gaulle, elle avait le visage des résistants ».
Dans ce contexte, la décision de Brice Hortefeux ne peut que nous alerter. Que ce ministre, élu de la région Auvergne, se targue d’en attendre un retournement symbolique de l’image de Vichy ne doit pas masquer le cynisme qui consiste à proposer un sommet européen de l’« Intégration » sur le lieu même d’un régime qui s’est illustré par sa politique discriminatoire et criminelle à l’égard des étrangers. Les lois antisémites d’Octobre 1940 restent, en outre, une marque indélébile, non de la ville, mais de la prise en charge de l’antisémitisme par l’Etat français replié à Vichy. Mais l’enjeu politique est aussi ailleurs et plane autour de son cri du cœur : « Ras le bol de cette histoire du passé » largement applaudi par l’assistance le jour de sa prononciation (2). Plus largement, on y retrouve la tendance actuelle du gouvernement à dessiner les contours de l’« âme de la France » (version lyrique) ou de l’« identité nationale » (version politique) en tentant d’estomper les périodes les plus noires de l’histoire. L’anti-repentance agit encore ici comme un opérateur politique qui empêche l’intelligibilité du passé en détournant les regards vers un présent dépourvu des composantes historiques les plus embarrassantes. Notre travail d’historiens consiste cependant à rappeler que seule la compréhension des enjeux propres à un moment historique - aussi sombres soient-ils - permet la projection d’un avenir collectif qui repose sur un passé pleinement assumé.
CVUH (Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire : http://cvuh.free.fr)
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Notes :
(2) Voir la vidéo du discours sur DailyMotion. La vidéo est commentée par notre collègue Samuel Kuhn sur le site de Mediapart, club "usages et mésusages de l’histoire"
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