samedi 18 mars 2017

Les historiens, le Brexit et l’identité britannique

En juin 2016, les électeurs britanniques se sont prononcés en faveur de la sortie de l’Union européenne. Pendant la campagne autour du référendum qui a précédé ce vote, les savoirs historiques ont été mobilisés par les acteurs politiques et des historien.ne.s sont intervenu.e.s, plus que de coutume, dans le débat public. Le débat porté par les historien.ne.s s’est focalisé sur la question de l’exceptionnalisme historique britannique, qui est devenu un argument important pour les partisans du « Leave » (oui au Brexit). Les deux textes traduits et présentés dans ce dossier rendent compte des enjeux et des clivages qui se sont dessinés au Royaume-Uni au printemps 2015.

Actif depuis 2013, le collectif Historians for Britain (Historiens pour la Grande-Bretagne) s’est formé autour d’une vingtaine d’universitaires confirmés (notamment le médiéviste Nigel Saul et le spécialiste de la Commune Robert Tombs) et d’historiens médiatiques (Sheila Lawlor, David Starkey), tous désireux de défendre le point de vue du « Leave » et ce, à l’aune du passé. Début mai 2015, David Abulafia, professeur d’histoire méditerranéenne à Cambridge et président de Historians for Britain, publie, dans la revue d’histoire grand public History Today, un texte-manifeste intitulé « La Grande-Bretagne : à part ou une part de l’Europe ? ». Sa traduction est le premier texte du dossier. Les Historians for Britain organisent alors des séminaires et des conférences publiques autour de la question ; leur site internet énonce leur projet : « Permettre aux Britanniques de comprendre que de nombreux historiens font campagne pour obtenir un meilleur accord avec Bruxelles et n’ont pas peur de lutter pour parvenir à ce changement » (http://historiansforbritain.org/about/). À l’appui de leur position, ils proposent, en libre accès, des articles et des réflexions collectives, comme par exemple : « ‘Le Demos européen’ : un mythe historique ? » (http://forbritain.org/demosessays.pdf), « Au-delà des fantômes : l’adhésion à l’UE érode-t-elle l’influence globale de la Grande-Bretagne ? » (http://historiansforbritain.org/wp-content/uploads/sites/12/2016/01/WzW-HfB-Beyond-the-Ghost-7.pdf). À leurs yeux, la logique du Brexit trouve sa source dans la trajectoire millénaire et singulière de l’Angleterre, puis de la Grande-Bretagne, par rapport à ses voisins européens. Un « exceptionnalisme » qui serait façonné par l’ancienneté et la continuité d’institutions originales et stables – quand la rupture et la violence seraient la marque distinctive de l’histoire continentale –, par une forte tradition d’ouverture sur le monde, et par les valeurs et le tempérament modéré de son peuple.

Le texte de David Abulafia a aussitôt suscité des réactions parmi ses collègues, ce qui n’est pas étonnant puisque la majorité des historien.ne.s du Royaume-Uni s’est prononcée en faveur du maintien de leur pays dans l’Union européenne. Mais l’ampleur et la virulence de la controverse, par médias interposés, étaient sans doute moins faciles à prédire. Dans un billet posté sur son blog trois jours après le manifeste des Historians for Britain, Neil Gregor, professeur d’histoire de l’Europe moderne à l’université de Southampton, s’agace : « Il est difficile de savoir par où commencer lorsqu’on discute un récit auquel les historiens professionnels ont renoncé il y a des décennies, comme pourrait vous le confirmer n’importe quel étudiant médiocre de première année » (http://www.huffingtonpost.co.uk/neil-gregor/britain-europe_b_7272906.html). Une semaine après la publication du texte de David Abulafia, trois cents historien.ne.s de différentes universités britanniques signent une très critique « Lettre ouverte en réponse à la campagne des Historians for Britain » (http://www.historytoday.com/various-authors/fog-channel-historians-isolated).

Toujours en mai, avec le soutien d’une quinzaine de leurs pairs, Edward Madigan et Graham Smith, de l’université de Londres, font à leur tour paraître une « Déclaration » (dont la traduction est la deuxième pièce du dossier) dans laquelle ils dénoncent le mélange des genres non assumé et la déformation de l’histoire au service d’un projet politique : « Ce qui intéresse [les Historians for Britain] en fait, c’est de défendre une politique eurosceptique. Ce qui est tout à fait leur droit. Mais, en tant qu’historiens, nous appelons à un débat sincère et ouvert, où l’on discute du passé à partir de preuves et de données sérieuses ». Ce document est à l’origine d’un nouveau collectif, Historians for History (Historiens pour l’histoire), animé par Edward Madigan et Graham Smith, dont le nom fait écho, non sans ironie, à celui de leurs adversaires. Comme ces derniers, ils proposent sur leur blog de nombreux articles, mais cette fois pour montrer à quel point l’identité britannique s’est nourrie des constants échanges avec l’Europe. Les contributions épinglent notamment une manière d’écrire l’histoire héritière du XIXe siècle – la whig history –, linéaire et réductrice, nationaliste et anglocentrée (même si cet aspect est mal camouflé par un usage ambigu du mot « Britain »), où la nostalgie acritique de la grandeur impériale passée n’est jamais très loin (https://historiansforhistory.wordpress.com). Ajoutons, pour être complet, que, depuis février 2016, le site a évolué pour devenir un lieu de débat et de commentaires sur « l’histoire publique » (public history) au XXIe siècle, en prise avec l’actualité. Le spectre des débats s’est élargi. Si les réflexions sur « les usages et mésusages du passé dans les discours nationalistes et européistes » et sur « l’impact du passé sur la formation des identités nationales et supranationales » (https://historiansforhistory.wordpress.com/2016/02/05/were-back/) y trouvent toujours leur place, elles côtoient désormais des analyses argumentées sur les pratiques commémoratives et les enjeux mémoriels dans les îles Britanniques, sur les fictions d’histoire à la télévision, ou encore les débats et polémiques historiques sur Twitter.



Historians for Britain,
mai 2015

Article paru dans la revue History Today



Pourquoi « Des historiens pour la Grande-Bretagne » ?

En fait, de bien des manières, l’organisation que des collègues et moi-même avons mise sur pied au fil de l’année dernière aurait tout aussi bien pu s’appeler « Des Historiens pour l’Europe. » Nous ne sommes en effet pas hostiles à l’Europe et nous sommes convaincus que, dans un monde idéal, la Grande-Bretagne resterait au sein d’une Union européenne radicalement réformée. Le groupe d’historiens que nous formons, au sein de l’université ou en dehors, estime qu’il est urgent de fournir une perspective historique sur la relation entre la Grande-Bretagne et l’Europe, tant le débat à ce propos est devenu vif, voire brûlant. En tant que branche du groupe de pression Business for Britain, nous pensons que les Britanniques doivent impérativement être consultés sur la question de l’appartenance de la Grande-Bretagne à l’Union européenne. Cependant, si un référendum avait lieu demain, il n’y aurait aucun moyen de renégocier la position de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne, ce qui est pourtant vital. Plus vital encore : dans cette renégociation, l’UE devrait s’engager à réformer son mode de fonctionnement et à laisser aux pays qui ne souhaitent pas devenir membres des « États-Unis d’Europe » au minimum la liberté de s’appuyer sur leurs propres institutions souveraines, et sans interférence.

Voilà qui pourrait donner l’impression qu’il s’agit d’un manifeste politique plutôt que d’une argumentation historique. Pourtant, nous défendons des points de vue couvrant tout le spectre politique, de la droite à la gauche. Notre projet est de montrer comment la Grande-Bretagne s’est toujours développée d’une façon différente de celle de ses voisins continentaux. Ce développement a eu pour conséquence la création d’un système légal fondé sur la jurisprudence plutôt que sur le droit romain ou les codes napoléoniens1. Le Parlement britannique incarne des principes de conduite politique dont les racines datent du 13ème siècle, voire avant2. Des institutions ancestrales comme la monarchie et plusieurs universités ont survécu (et évolué) pratiquement sans discontinuité depuis des siècles. Un tel degré de continuité n’a pas son équivalent en Europe continentale. Sauf peut-être partiellement dans certaines régions d’Espagne où les assemblées parlementaires remontent au moins au Moyen Âge. Mais même dans ces cas-là, des changements constitutionnels radicaux et la guerre civile ont brisé bien des continuités. Ces assemblées ont disparu en France avec la Révolution et l’ère napoléonienne, tandis que l’Allemagne et l’Italie sont des créations du 19ème siècle dont les systèmes politiques ont été presque entièrement reconstruits après 1945. À part au Portugal, les frontières nationales ont fluctué au fil des siècles, et parfois brutalement. Suite au départ de la plus grande partie de l’Irlande, la Grande-Bretagne elle-même s’est contractée. Mais, en dehors des quelques coups d’Etat dus à Henri VII et Guillaume d’Orange, l’Angleterre n’a été déchirée par aucune invasion depuis 10663. Et son opinion publique n’a nullement soutenu le nationalisme intense qui a ravagé bien des pays européens, y compris la campagne indépendantiste de l’Écosse. Ni le fascisme ni l’antisémitisme n’ont trouvé à s’implanter profondément ici, pas plus que le communisme (excepté l’engouement ridicule de certains étudiants en sciences politiques). En politique, le tempérament des Britanniques a toujours été plus modéré que celui des grands pays européens.

Parallèlement à ces différences, l’engagement de la Grande-Bretagne aux côtés de l’Europe a une longue histoire ; cet engagement n’est pas uniquement celui de l’Angleterre, il inclut aussi celui de l’Écosse (notamment la « Vieille Alliance » avec la France4). « Brouillard sur la Manche, Continent isolé. » Ce célèbre titre de presse ne rend pas compte de la nature véritable de l’engagement de l’Angleterre en Europe, qu’il s’agisse du commerce de la laine avec les Flandres, cette incroyable source de richesse au Moyen Âge, ou des conquêtes anglaises jusqu’en Gascognei, de « la plus longue alliance » entre l’Angleterre et le Portugal ou encore, bien sûr, plus récemment, de la présence britannique en Méditerranée qui, selon les époques, plaça sous sa bannière non seulement Gibraltar mais aussi Minorque, la Corse, Malte, Corfou et Chypre. En 1939, les Français et les Britanniques honorèrent les promesses qu’ils avaient faites à la Pologne, ce qui nous valut de nous retrouver dans une guerre à mort avec l’Allemagne.

On pourrait décrire cette relation en disant que le Royaume-Uni a toujours été un partenaire de l’Europe tout en gardant une certaine distance avec elle. Après tout, jusqu’à la seconde moitié du 20ème siècle, la Grande-Bretagne étendait sa domination sur de vastes régions du globe, très loin de l’Europe. Devenir Européen pourrait ainsi passer pour une réaction à la fin de l’empire, ou en tout cas pour une réaction au relâchement des liens avec un Commonwealth en expansion. Mais ceci reviendrait à simplifier exagérément une histoire complexe et récente : en 1973, le Royaume-Uni a rejoint le Marché commun et nombreux sont ceux qui auraient préféré que les fondateurs de la future Union européenne oublient leur rêve d’une « union toujours plus large » pour se concentrer sur l’amélioration de cette association économique.

En tant qu’Historiens pour la Grande-Bretagne, notre but est de faciliter le débat. Lors de ce référendum, le vote des uns et des autres devrait dépendre de l’offre nouvelle qui leur sera faite avec la renégociation de la position de la Grande-Bretagne dans l’UE. Cette offre doit refléter le caractère différent du Royaume-Uni, enraciné dans une histoire largement ininterrompue depuis le Moyen Âge.

David ABULAFIA, Professeur d’histoire méditerranéenne, Université de Cambridge, Président de Historiens pour la Grande-Bretagne


Des historiens pour l’Histoire
Déclaration,
mai 2015


Nous saluons l’utilité de la contribution des Historiens pour la Grande-Bretagne au dernier numéro de History Today [mai 2015], rappel bien venu de la valeur de l’histoire dans le débat contemporain. Plus précisément, ce texte pose à un moment significatif d’importantes questions sur le nationalisme britannique et sur les revendications d’un exceptionnalisme anglais. Cependant, en tant qu’historiens, nous sommes en désaccord avec cette conception très réductrice et biaisée de l'histoire du Royaume-Uni.

Les auteurs semblent avoir interprété le passé de façon à satisfaire leur désir de voir se concrétiser la renégociation de l’appartenance de la Grande-Bretagne à l’Union européenne. Et sans même faire allusion aux aspects qu’ils aimeraient voir renégociés, ils expriment clairement leur impression que l’histoire britannique « largement ininterrompue depuis le Moyen Âge » place l’Angleterre à part, en fait un pays différent de ses voisins continentaux. Selon cette proposition dénuée de toute ambiguïté, les communautés nationales, de la Scandinavie à la Méditerranée, se seraient affrontées pendant un millénaire de violences, de discordes et de discontinuités politiques, tandis que la Grande-Bretagne aurait suivi un chemin relativement stable et plus éclairé. Cette version ne résiste pas à l’examen, même le plus superficiel, des faits.

Comme preuve de la trajectoire historique de l’Angleterre, unique en son genre, les auteurs citent « les principes d’une conduite politique dont les racines datent du 13ème siècle ». Il s’agit là sans doute d’une référence à l'idée d'une liberté pour tous qui aurait été sanctuarisée par la Grande Charte frappée du sceau du roi Jean en 1215. En vérité, bien que ce traité médiéval entre le roi Plantagenêt et ses seigneurs féodaux ait été interprété par certains d’une manière admirablement libérale, son but original était tout sauf démocratique. Quant aux anciens systèmes démocratiques, la Grèce est en bien meilleure position que l’Angleterre pour en revendiquer la paternité, tandis qu’en matière de suffrage universel, le Royaume-Uni a été à la traîne de nombre de ses voisins continentaux, notamment les Pays-Bas, l’Allemagne, la Pologne et le Danemark. Les élites politiques et sociales britanniques ont farouchement résisté à l’instauration d’un système de gouvernement véritablement démocratique et il a fallu se battre bec et ongles jusqu’à la fin des années 1920 pour le voir finalement triompher. Ceux qui vivaient toujours sous la domination impériale britannique ont dû attendre plus longtemps encore.

Les auteurs avancent sur des sables mouvants quand ils font allusion aux très anciennes institutions comme la « monarchie » britannique et « plusieurs universités » qui ont « survécu pratiquement sans une égratignure depuis des siècles, tout en continuant d’évoluer. » Rappelons tout d’abord que, dans la mesure où la dynastie des Plantagenêts est née d’une invasion normande, la plupart de ses rois étaient français et régnaient sur de vastes parties de la France, Guillaume III était hollandais, et Georges I et Georges II venaient d'Etats allemands ; de toute évidence, la monarchie illustre l’influence de l’histoire européenne sur la vie politique anglaise, bien plus que tout autre institution nationale. Ajoutons que la défunte reine-mère fut la première Anglaise à avoir épousé un souverain britannique depuis 200 ans. Mais plus important encore : on peut difficilement qualifier la monarchie de continuum et les dynasties royales anglaises ont souvent été renversées dans des circonstances sanglantes. Les affrontements dynastiques au cours de la guerre des Roses au 15ème siècle pour le trône d'Angleterre ont traumatisé bien des communautés anglaises. Les évènements se sont enchaînés d’une façon encore plus violente lorsque les Stuarts ont été renversés au bout de deux âpres guerres civiles qui culminèrent en 1649 avec l’exécution de Charles Ier, puis la proclamation du Commonwealth avec Olivier Cromwell en Lord Protecteur. Prétendre que « le tempérament politique des Britanniques a toujours été plus modéré que celui des grands pays européens » est discutable en tout cas pour les 19ème et 20ème siècles et parfaitement fallacieux pour le 17ème siècle.

Le caractère cosmopolite et souvent clairement européen des monarchies britanniques successives est complété par les perspectives internationales des lieux ancestraux du savoir britannique situés à Oxford, Cambridge, Saint Andrews et Glasgow. Fondamentalement, ces établissements partagent tous beaucoup de choses avec leurs équivalents à Bologne (fondé en 1088), Salamanque (1134), Prague (1348), Heidelberg (1386) et une série d’autres institutions européennes non moins anciennes. Tout historien des idées peut confirmer que les élites intellectuelles des pays qui forment désormais l’Union européenne échangent, collaborent et se querellent entre eux depuis des siècles.

Sur un autre plan, comme Neil Gregor l’a fait remarquer (14/05/2015, Huffington Post), les conquêtes coloniales et l’expansion impériale ont sans doute constitué les expériences historiques qui ont le plus rapproché les États d’Europe de l’ouest entre eux. Ce qui est le plus trompeur dans la déclaration des Historiens pour la Grande-Bretagne, c’est le refus de ses auteurs de dire clairement à quel État, à quelle nation ou à quel territoire ils font précisément référence quand ils parlent de la « Grande-Bretagne ». Sans vergogne, ils font non seulement de la mauvaise histoire mais en plus de la mauvaise géographie quand ils écrivent que « Suite au départ de la plus grande partie de l’Irlande, la Grande-Bretagne elle-même s’est contractée ». Au risque d’enfoncer des portes ouvertes, rappelons que l’Irlande n’a jamais fait partie de la Grande-Bretagne. L’île s’est trouvée sous la domination « anglaise », selon des modalités qui ont évolué au cours du temps, de la fin du 12ème siècle jusqu’à la fin de la période moderne ; elle a ensuite fait partie du Royaume-Uni (de Grande-Bretagne et d’Irlande) de 1800 à 1922 ; l’Irlande du Nord est aujourd’hui encore au sein du Royaume-Uni. La Grande-Bretagne, à proprement parler, est constituée de trois nations distinctes, elles-mêmes composées de multiples strates, définies en fonction des classes sociales, des espaces, de l’appartenance ethnique et de la religion. Le paysage culturel et social de l’Angleterre, de l’Écosse et du Pays de Galles s'est profondément enrichi depuis deux siècles par l’arrivée d’immigrants venus du monde entier, y compris du continent européen. Si les auteurs de la Déclaration désirent sincèrement informer le public sur l’histoire du Royaume-Uni, ils devraient être prêts à accepter cela. Mais ce refus de reconnaître l’évidence, celle de la diversité historique au sein de la Grande-Bretagne, suggère que les Historiens pour la Grande-Bretagne ne s’intéressent pas vraiment à la relation historique complexe que cet État entretient avec l’Europe continentale. Ce qui les intéresse en fait, c’est de défendre une politique eurosceptique. Ce qui est tout à fait leur droit. Mais, en tant qu’historiens, nous appelons à un débat sincère et ouvert, où l’on discute du passé à partir de preuves et de données sérieuses.

Nous sommes convaincus que les historiens ont potentiellement un rôle important à jouer, celui de débattre du passé avec le public. Aussi sommes-nous ouverts à tout commentaire ou toute contribution de qui voudrait peser dans ce débat.


Edward Madigan, Enseignant-chercheur en Public History, Royal Holloway, à l’Université de Londre
Graham Smith, Enseignant-chercheur Oral History, Royal Holloway à l’Université de Londre

1 En réalité, la Common Law se développe au XIIe siècle, lorsque l'Angleterre est étroitement reliée au continent au sein d'un « empire Plantagenêt ». Elle résulte de l'unification des coutumes anglo-normandes et d'une législation royale, élaborée progressivement par les juges royaux itinérants. Ce qui singularise ce système juridique dans l'Europe occidentale du XIIe siècle, c'est qu'il se fonde sur un corpus de précédents plutôt que sur un principe d'autorité comme c'est le cas dans le droit romano-canonique, alors en pleine expansion. Mais si le choix des corpus diffère, il y a une évidente contemporanéité des processus d’abstraction judiciaire, c'est-à-dire un processus dynamique qui s'élabore au terme d'un effort de schématisation contemporain de l’abstraction monétaire et scolastique. Il n’est donc pas tout à fait exact de dire que c'est le développement singulier de la Grande-Bretagne qui lui a donné son système juridique, d'une part parce que celui-ci est mis en place par une élite anglo-normande, et d'autre part, parce que les processus cognitifs qui ont permis son aboutissement étaient ceux des clercs formés dans les écoles bien plus souvent continentales qu'insulaires. Voir : A. Boureau, La loi du royaume. Les moines, le droit et la construction de la nation anglaise (XIe-XIIIe siècles), Paris, Belles lettres, 2004.

2 Le débat sur l'exceptionnalisme anglais a en effet été nourri en 2010 par la publication de Robert Maddicott, The Origins of the English Parliament, 924-1327, Oxford University Press. Ce dernier s'inscrit ainsi dans une historiographie nationaliste cherchant à saisir la continuité de l'histoire anglaise depuis la période anglo-saxonne (c'est-à-dire pré-normande), relativisant ainsi l'apport de la « conquête normande » dans la trajectoire des Îles britanniques. Cette révision chronologique lui permet ainsi de mettre en cause notamment l'importance des concepts issus du droit romain au profit d’institutions qu'il fait remonter à la période pré-normande. Voir C. Fletcher, compte-rendu de « R. J. Maddicott, The Origins of the English Parliament, 924-1327, Oxford University press », Revue historique, 2011/2 (n° 658), p. 45-50.

3 Aucune invasion majeure certes, mais en octobre 1216, le fils de Philippe Auguste, le futur Louis VIII, a débarqué avec son armée sur les côtes méridionales anglaises, tentant de s'emparer de la forteresse de Douvres. Sa présence était soutenue par une partie de l'aristocratie rebellée contre le roi Jean sans terre, cherchant à le destituer pour placer sur le trône, le fils du Capétien. Si Jean n'était pas mort dans les quelques semaines suivantes, permettant à l'aristocratie anglaise de se réunifier sous la bannière du nouveau roi, seulement âgé de 9 ans, l'Angleterre aurait pu être capétienne, bien avant que la France, en partie, ne soit lancastrienne ! Faire un peu d'histoire contre-factuelle permet aussi de ne pas oublier certaines dates qui auraient pu bouleverser des trajectoires historiques dont certains historiens tentent parfois rétrospectivement de faire croire à leur inéluctabilité.

4 « Auld Alliance », Alliance passée entre les royaumes d’Écosse et de France en 1295 et dont la plupart des dispositions furent rendues caduques par le traité d’Édimbourg en 1560, mais qui a marqué profondément les relations franco-écossaises jusqu'à aujourd'hui. Elle explique en grande partie l'attachement historique de l’Écosse à l'Europe en opposition à l'Angleterre, malgré l'union des deux couronnes dans le « Royaume-Uni », en 1707.

i Parler de « conquêtes en Gascogne » est une vision légèrement euphémisée de l'histoire des relations entre l'Angleterre et le continent au Moyen Âge. La Gascogne et plus largement l'Aquitaine faisaient certes partie d'un même espace politique (l'empire Plantagenêt), mais c'est par mariage (avec Aliénor en 1152) et non par la conquête qu'Henri II inséra l'Aquitaine dans son empire. Elle devient « anglaise », en restant loyale à Jean sans terre malgré la perte de ses autres territoires continentaux et son repli en Angleterre (Bouvines, 1214). S'il y eut une conquête « militaire » de la Gascogne au Moyen Âge, c'est bien plutôt celle des armées françaises de Charles VII, qui parviennent à prendre Bordeaux, en 1453.




L’introduction de ce dossier a été rédigée par Laurent Colantonio, les notes explicatives sont de Fanny Madeline, les traductions ont été effectuées par Nelcya Delanoë, Blaise Dufal, Laurent Colantonio, Fanny Madeline.

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