Ceux qui souhaitent réintroduire les valeurs nationalistes et chrétiennes à l’école continuent
de mentir sur la manière dont l’histoire est enseignée aux enfants.
A la rentrée 2010 déjà, puis en 2011 jour pour jour, Dimitri Casali attaquait les nouveaux
programmes d’histoire-géographie en prétendant que ceux-ci ne faisaient plus « aimer la
France ». Relayée par certains médias complaisants au nom de la défense de l’« identité
nationale », cette campagne avait d’abord pris la forme d’une pétition largement signée où
se côtoyaient Max Gallo, Stéphane Bern, Frédérik Gersal et Eric Zemmour, avant de donner
naissance à une page Facebook sous l’exergue : « Louis XIV, Napoléon, c'est notre Histoire,
pas Songhaï ou Monomotapa » (1)
On y trouvait tous les clichés les plus simplistes et scandaleux : nos enfants étudieraient
davantage l’histoire de la Chine ou de l’Afrique que celle de leur propre pays, la chronologie
de la nation serait volontairement dissoute dans l’histoire du monde, les écoliers ne
connaîtraient plus les rois et héros qui auraient bâti la nation. Ces affabulations avaient
aussitôt soulevé un tollé général. Elles ont été démenties par de nombreux historiens, ainsi
que par les principales associations de professeurs d’histoire-géographie. Contrairement à
ce que prétendent les signataires, ni Napoléon ni Louis XIV n’ont disparu des programmes
scolaires. Quant à la partie « Regards sur l’Afrique », elle n’occupe que 10% du temps
consacré à l’histoire de la classe de 5e.
Flattant quelques racistes et xénophobes, cette polémique a provoqué de virulentes menaces et
attaques antisémites contre Laurent Wirth, alors doyen de l’Inspection Générale, accusé d’être
à la tête d’un vaste complot visant à brader l’histoire de France.
(2)
Malgré cela, la polémique apparemment fait vendre puisqu’elle revient en cette rentrée
2012, avec une rare violence, dans un article du Figaro Magazine du 24 août intitulé « Qui
veut casser l’histoire de France ? », soutenant la sortie simultanée de trois pamphlets dirigés
contre les programmes actuels. L’école est accusée d’avoir sacrifié la chronologie au profit
de l’apprentissage de la critique des sources, que Jean Sevillia, auteur de l’article – grand
redresseur de torts de l’histoire de France – juge prématurée et artificielle au collège.
Fustigeant le multiculturalisme des programmes, il soutient que l’enseignement de l’histoire
doit participer au retour du « roman national » qui unifierait la nation en démontrant « les
continuités qui caractérisent la France, communauté réunie autour d’un Etat, monarchique
puis républicain, du Moyen Âge à nos jours ». Vision nostalgique d’un enseignement de
l’histoire présumé servir à fabriquer des petits Français « de souche » ; vision passéiste
aussi, d’une école dont la mission ne serait pas de former de jeunes citoyens à exercer leur
esprit critique et à se méfier des instrumentalisations de l’histoire, mais à ânonner des dates
et des notices biographiques ; vision scientifiquement dépassée, totalement ignorante des
problématiques post nationales adoptées par les chercheurs du monde entier ; vision archaïque
enfin jusque dans le vocabulaire utilisé par l’auteur pour décrire le système éducatif : Jean
Sévillia ne sait pas que le statut d’ « assistant de faculté » qu’il évoque n’existe plus depuis la
loi Savary 1984, mais que l’on parle, au XXIe siècle, de « maître de conférences »…
L’article du Figaro va bien au delà des poncifs les plus réactionnaires. Les propos transpirent
le racisme et l’islamophobie. Ainsi l’enseignement de la traite en est réduit à une « initiation
au monde extérieur », celui de l’Afrique sub-saharienne ou de la Chine rabaissé à un vague
circuit touristique « volontiers exotique », sans doute comme ces empereurs aztèques « aux
noms imprononçables » (p 23-24). Parmi les auteurs « de la rentrée » plébiscités, Laurent
Wetzel, ancien Inspecteur d’académie, dont on aurait pu attendre une connaissance minimale
des programmes, prétend que l’islamisme n’est pas enseigné en classe de 1ère. Faux puisqu’on
y étudie le 11 septembre 2001. Vincent Badré nous révèle les coulisses du vaste complot
étatique contre l’histoire scolaire, assène quatre contre-vérités qui révèlent la méconnaissance
totale de ce que sont les manuels scolaires que ces pourfendeurs continuent de confondre
avec les programmes et les pratiques de classe. Dimitri Casali nous promet sa charge annuelle
contre « tout qui fout le camp ma bonne dame » et, guest star, Lorant Deutsch permet au
Figaro de rappeler la croisade de l’acteur contre l’extrême-gauche (3).
Jean Sevillia, toujours prompt à débusquer le « politiquement correct », s’essaye, lui, à une
histoire de l’enseignement de l’histoire où l’on apprend que les années 1970-1980 ont connu
la fin de la chronologie et des thématiques nationalo-centrées . Veut-il parler des programmes
de Chevènement de 1985 ? Sait-il que les débats sur le chronologique vs le thématique
existent depuis les années 1930 dans l’enseignement ? Mais l’implicite est clair : une fois
encore, il s’agit de condamner les héritiers des soixante-huitards qui ont saboté l’école.
Nous avons été de ceux qui ont dénoncé les programmes de 1ère au nom d’arguments
professionnels et historiographiques. En reprendre quelques uns et les amalgamer à de telles
obsessions droitières relève véritablement de l’imposture.
Cette offensive éditoriale ne vient évidemment pas de nulle part. Outre Jean Sévillia lui-
même, proche des milieux royalistes et catholiques conservateurs, les auteurs des livres dont
il fait la promotion sont tellement connus pour leurs prises de position idéologiques que
leur crédibilité est engagée : « sacrifier la maison de l’histoire de France et relancer la Cité
nationale de l’histoire de l’immigration (CNHI), c’est ce qu’on appelle un choix » écrit Jean
Sévillia. Certes, et tout est dit.
Laurence De Cock, Eric Fournier, Guillaume Mazeau, historiens et enseignants.
Pour le collectif Aggiornamento histoire-géographie et le CVUH
1 La page Facebook : http://www.facebook.com/groups/129520047090191/ Et les réponses en 2010 et 2011 du CVUH : http://cvuh.blogspot.fr/2011/09/pourquoi-il-faut-enseigner-lhistoire.html et http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/ 170910/les-reacs-au-piquet
2 Voir le communiqué de l’APHG : http://aggiornamento.hypotheses.org/798
2 Voir le communiqué de l’APHG : http://aggiornamento.hypotheses.org/798
3
Pour un rappel de l’affaire Lorant deutsch, voir http://cvuh.blogspot.fr/2012/06/metronome-
un-succes-historique.html
Vincent Badré nous demande la publication d’un droit de réponse, que nous indiquons sous la forme d’un lien vers son blog: http://www.histoirefabriquee.com/reponses/
Vincent Badré nous demande la publication d’un droit de réponse, que nous indiquons sous la forme d’un lien vers son blog: http://www.histoirefabriquee.com/reponses/
2 commentaires:
Votre article ayant été rédigé en réaction à celui du Figaro Magazine, il ne rend pas pas compte d'une manière tout à fait juste de mon livre. Celui ci est présenté sur son site internet : http://www.histoirefabriquee.com/
Ce que j'adore c'est l'absence de "pathos" toute historienne du commentaire... sans parler des nécessaires stigmatisations à sens unique : "valeurs chrétiennes" = "valeurs nationalistes" ! ? Sont-ce des historiens qui écrivent cela ?
Oh que oui, dépassionnons l'Histoire.
Vladoch
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