dimanche 10 juin 2007

En réponse à Michel Winock et Laurent Joffrin L’histoire totalité lisse ou construction perpétuellement inachevée ? par Suzanne Citron


Laurent Joffrin (Libération du 24 mai) défend la lecture de la lettre de Guy Môquet. Il balaye d’un revers de plume l’argument de l’instrumentalisation politique de l’histoire (Pierre Schill, Libération du 22 mai). II voudrait résoudre en quelques lignes des questions aussi difficiles que le rapport entre mémoire et histoire ou les modalités institutionnelles de prescription d’un enseignement historique.
Pour Michel Winock, le choix de Guy Môquet consacre la nouvelle vision de l’histoire d’une droite « qui ne se reconnaît plus dans les personnages ou les mouvements symbolisant la droite historique (…) Comme si l’histoire de la droite commençait avec de Gaulle. » Les valeurs de la gauche, devenues celles de 80% des Français, auraient triomphé, et la droite les aurait reprises à son compte, ses propres valeurs étant devenues obsolètes. Ce serait la fin du schisme remontant à 1789 désormais localisé aux extrêmes de l’échiquier politique. Cette analyse, qui suggère que les notions de gauche et de droite seraient périmées, fait l’impasse sur deux problèmes clefs. Le premier, celui de l’instrumentalisation de l’histoire par Nicolas Sarkozy, a fait, - Pierre Schill l’a indiqué -, l’objet d’une analyse par le Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire (CVUH).
Le second problème, celui des contenus du récit historique est d’ordre épistémologique et historiographique : que recouvre l’allusion de Michel Winock aux « deux récits historiques traditionnels, celui de la gauche et celui de la droite. » ? Et quelle est cette « histoire de France » qui serait désormais consensuelle ? S’agit-il de celle de la nation hypostasiée des discours de Sarkozy ? Elle provient tout droit du Petit Lavisse des débuts de la 3ème République ou du Tour de France par deux enfants de 1877, comme l’ont souligné M.O. Baruch (Le Monde du 11 mai) et le CVUH dans le texte précité. Elle fut l’outil de la construction de l’identité nationale par l’école de la République. Cette histoire ignorait les luttes sociales, les grèves, l’affaire Dreyfus - dont le Petit Lavisse édité jusqu’en 1948 ne soufflait mot -. Ainsi cette « nouvelle culture de la droite », qui fait passer à la trappe les anciennes luttes idéologiques et sociales, n’est-elle qu’un nouvel avatar du vieux schéma de l’historiographie scolaire républicaine d’avant la guerre de 14-18.

Face à la gestuelle du président, la question que ne pose pas Michel Winock est celle d’une nouvelle historiographie qui intégrerait les acquis de la recherche des cinquante dernières années et répondrait aux quêtes mémorielles de la société française d’aujourd’hui. Ce ne serait plus le récit d’une nation essentialisée, d’origine mythique, bornée aux limites de l’hexagone, fondement d’une identité figée. Ce serait l’histoire d’une France en mouvement, à la genèse complexe, aux racines multiples, inscrite dans une Europe en latence, morceau d’une planète fragilisée par les désordres de la mondialisation financière, par les menaces écologiques, par les folies de l’intégrisme. Une nouvelle césure se préciserait. D’un côté, modernisé mais inchangé dans les discours de Sarkozy, le vieux récit républicain issu du 19ème siècle, centré sur la Nation, hymne à la France messie, pays de la Révolution et des droits de l’homme. De l’autre, une histoire à plusieurs entrées, aux acteurs multiples, pensée dans l’univers. Face aux menaces du présent et par delà les séquelles du 19ème siècle - nationalismes, totalitarismes, colonialisme, “primauté“ blanche - la matrice en serait le postulat d’un nouvel humanisme pour le 21ème siècle, à la jonction de toutes les cultures, utopie commune de référence dans l’interminable combat contre les maux et les plaies de notre espèce.


Suzanne Citron, historienne, auteure de Le Mythe National, l’histoire de France en question, éditions de l’Atelier, nouvelle édition en préparation.

Aucun commentaire: