Le CVUH, alerté par les professeurs du lycée Jean Moulin de Béziers, relaie l'adresse publique suivie d'une pétition qu'ils ont faite à Robert Ménard, maire de la ville, pour protester contre les instrumentalisations réitérées de la mémoire de cette figure de la résistance. Voici leur appel. Le lien vers la pétition se trouve en bas de l'article.
Les vœux des citoyens-professeurs d’histoire et d’enseignement
moral & civique, enseignant ou ayant enseigné au lycée Jean-Moulin de Béziers
à
Monsieur Robert MÉNARD,
Maire de Béziers
Monsieur le Maire,
En ce début de 2016, permettez-nous, tout d’abord, de vous
adresser nos vœux de bonne année. Par votre intermédiaire, nous les souhaitons
aussi à tous les Biterrois.
Professeurs d’histoire-géographie et d’éducation civique, nous
constatons depuis bientôt deux ans au travers des publications
du bulletin municipal ou des interventions médiatiques du
premier édile de notre cité, un « certain » intérêt pour l’Histoire
et le patrimoine.
En tant que professeurs et pédagogues, nous devrions nous en féliciter.
Hélas, l’instrumentalisation et le retricotage de l’Histoire à
des fins strictement polémiques confinent désormais à une orientation idéologique
telle qu’il nous a paru relever de notre devoir de citoyens d’exprimer
publiquement notre désaccord. Précisément parce que nous sommes des professeurs
profondément attachés à la rigueur de la démarche historique.
Alors, en ce début d’année 2016, permettez-nous, Monsieur le
Maire, au nom de l’ensemble [1] des
professeurs d’histoire-géographie du lycée Jean Moulin, de vous adresser les
trois vœux qui suivent en forme de requêtes.
Le premier vœu sera celui de l’apaisement et de la sérénité.
Parce qu’« ici, c’est Béziers » et que la situation nationale est déjà suffisamment tragique,
les Biterrois ont, plus que jamais, un besoin impérieux de concorde et de
confiance en l’avenir. Aussi, débaptiser un nom de rue pour rouvrir des plaies
et raviver de vieilles rancœurs en faisant de Béziers la vitrine de la réhabilitation
de l’OAS ou créer un raccourci historique inapproprié en référence implicite à
la crise des migrants « Quand les
Barbares envahissaient l’empire romain [2] » ne nous paraît pas concourir à l’établissement d’un climat
serein au cœur de notre cité.
De la même manière, ressusciter d’entre les morts les poilus
biterrois dans un mauvais tour de spiritisme lors de la traditionnelle commémoration
du 11 novembre et leur prêter une interrogation sur ce qu’ils diraient « en voyant certaines rues de nos communes où le Français
doit baisser la tête ? » [3] nous paraît relever d’une utilisation pour le moins abusive et
peut-être indécente de l’Histoire.
Parce qu’« Ici, c’est Béziers », ville méditerranéenne de tradition républicaine pétrie de tolérance,
le deuxième vœu sera celui du rassemblement et de l’unité : rassembler
plutôt que diviser.
Ainsi, tenons-nous à rappeler, Monsieur le Maire, que l’organisation
de manifestations religieuses dans un espace semi-public ne s’inscrit pas dans
la tradition laïque garante de cohésion sociale et protectrice des libertés.
Nous savons que Mairie et École sont deux piliers fondateurs de notre République
laïque ; en ce qui nous concerne, nous sommes scrupuleusement attachés au
respect des obligations de réserve et de neutralité qui nous incombent sur
notre lieu de travail et dans notre enseignement.
De même, se réclamer de Charles Martel - « Je veux retrouver notre France […], celle de Charles
Martel » - [4], ne peut, selon nous, contribuer à renforcer l’unité des
Biterrois.
Au sujet de cette dernière et bien malheureuse référence
historique , il convient de rappeler qu’en son temps, ledit Charles Martel fut
le plus grand spoliateur de l’Église et surtout le bourreau de notre cité qu’il
mit à sac, pilla et incendia en 737 . [5]
Enfin, le troisième et dernier vœu sera pour nous le plus cher :
celui du respect de la mémoire.
Parce qu’« ici, c’est Béziers », nous devons paix, respect et déférence à la mémoire de Jean
Moulin, enfant de Béziers
et unificateur de la Résistance française.
« Trop souvent, ceux qui nous attaquent se dissimulent
derrière la figure de Jean MOULIN. Ces gens-là sont des faussaires » twittait le premier magistrat le 9 décembre dernier, mettant en
garde ceux qui voudraient récupérer l’héritage du plus célèbre des Biterrois.
Mais quelques heures plus tard, le même jour, le premier édile
poursuivait dans un autre tweet : « Dimanche,
au nom de Jean MOULIN, au nom de la République, nous ferons barrage à la gauche ». [6]
Nous rappellerons, Monsieur le Maire, qu’en son temps, Jean
Moulin - dont le père était professeur d’histoire à Béziers -
avait fait le choix lucide et courageux de ne pas se soumettre à
une idéologie reposant sur l’exclusion, la division et la fascination malsaine
pour un passé idéalisé. Homme de tolérance et de conviction, il avait su
rassembler autour de lui et du général de Gaulle, les résistants de toutes obédiences
et de toutes origines, refusant de transiger avec le régime collaborateur de
Vichy, dictature antisémite, xénophobe, régime d’ordre et d’exclusion aux
antipodes de la République et de ses valeurs.
Nous n’avons pas la prétention d’être les dépositaires de la mémoire
de Jean MOULIN. Mais nous savons que si son cénotaphe se trouve au Panthéon, c’est
parce qu’il était le visage de la France républicaine.
Alors, Monsieur le Maire, de grâce, précisément parce qu’ « ici,
c’est Béziers », les citoyens que nous sommes, professeurs
d’histoire-géographie du lycée de votre ville qui porte cet
illustre nom, font le vœu, à l’orée de cette année 2016, que vous cessiez de « torturer »
la mémoire de Jean MOULIN et que vous laissiez ses mânes reposer définitivement
en paix.
Recevez, Monsieur le Maire, nos meilleures salutations.
[1] Citoyens-professeurs du LPO auxquels se sont joints d’anciens
citoyens-professeurs d’histoire-géographie ayant enseigné au lycée Jean-Moulin
de Béziers.
[2] Tweet de R. MENARD du 23/11/2015 recommandant l’article
du Figaro-Histoire.
[3] Extrait du discours de M. le Maire lors de la commémoration
du 11 novembre 2015 : « Ceux qui sont morts
pour sauver la
France de la victoire allemande, que diraient-ils en voyant certaines rues de
nos communes
où le Français
doit baisser la tête ? »
[4] Extrait du discours de R. MENARD lors du meeting de
Marion MARECHAL-LE PEN, à Toulon, le 1er décembre 2015. Nous faisons le vœu,
Monsieur le Maire, qu’au regard du triste sort de Béziers en 737, vous
cherchiez encore longtemps « la France de Charles Martel ».
[5] Henri JULIA, Histoire de Béziers, Paris, MAILLET, 1845,
page 22, reprint Éditions de la Tour Gile, Péronnas, 1997
et dom Claude
DEVIC et dom Joseph VAISSETTE, Histoire Générale du Languedoc, Tome 1, édition
accompagnée de dissertations & notes nouvelles, Toulouse, Édouard PRIVAT,
1872, page 807.
[6] Tweet du
9/12/2015 lors du second tour des élections régionales.
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