Le Manifeste du CVUH

jeudi 14 janvier 2016

Les archives de Vichy : la fin d’un vieux débat ? par Sonia Combe

P. Pétain et P. Laval en 1942,  © INP / AFP

Le 24 décembre dernier nous avons appris qu’un arrêté relatif à l’ouverture des archives de la Seconde Guerre mondiale avait été signé in extremis avant la fin de l’année par le Premier ministre, Manuel Valls.

C’est plutôt une bonne nouvelle, mais bien des collègues et le grand public pourraient s’étonner : ne leur avait-on pas assuré à maintes reprises que toutes les archives de Vichy étaient accessibles, que leur fermeture n’était qu’un « mythe » (« on nous cache tout on nous dit rien », ironisaient mêmes certains) depuis que les lois sur les archives, celles de 1979 puis celle de 2008, avaient stipulé leur accessibilité ?

Vieux débat en effet ! La vigoureuse dénégation par un Etat qui n’aurait rien eu à cacher, ainsi que l’affirmait le directeur des Archives de France dans les colonnes de Libération le 21 mars 1993 à la suite de la découverte du fichier des Juifs de 1940, puis les promesses d’ouverture par Lionel Jospin, alors Premier ministre, en 1999 et jusqu’à l’accueil fait à la dernière loi sur les archives promulguée en 2008 et proclamée toujours plus libérale, se seraient donc résumés à des effets d’annonce ?

Dans la pratique il semble en effet qu’il en était autre chose. Même les chercheurs institutionnels, qui bénéficient en principe du privilège de la « dérogation » ou autorisation exceptionnelle de consultation, faisaient l’expérience de reculs par rapport à la loi antérieure. C’était d’ailleurs ce qu’avait pointé notre collègue Gilles Morin dans la revue Histoire@politique (2008/2) – au contraire, notamment, de L’Histoire (novembre 2008) et de l’association des archivistes de France. Une nouvelle génération d’historiens se montre désormais moins encline que ses aînés à accepter ou négocier des refus de communication qui leur semblent en contradiction avec le droit au savoir et le statut de l’archive publique, ce bien commun de la nation. L’arrêté du 24 décembre 2015 fait ainsi suite à une longue sensibilisation à la question de l’accès aux archives publiques et à une récente mobilisation d’historiens relayée par la Ligue des droits de l’homme. Nous fûmes en effet 121 à signer avant l’été une lettre au Président de la République demandant l’ouverture de toutes les archives de la Seconde Guerre mondiale (et même de certains dossiers paraît-il encore reclus de la Première Guerre mondiale...).  

On peut bien sûr s’interroger : va-t-on découvrir du nouveau dans ces documents jusque-là fermés au grand public ? Pour avoir bénéficié d’un accès à certains d’entre eux, des historiens répondent par la négative : tout cela est très bien, mais nous saurions déjà tout… En un sens, ce n’est pas faux. Ces documents enfin déclassifiés ne vont sans doute pas changer fondamentalement l’appréciation du régime de Vichy. Les faits ont été établis depuis longtemps (en premier d’ailleurs par des historiens étrangers). Ils sont là, massifs. Pour autant, proclamer qu’on saurait déjà tout témoigne d’une conception étriquée de l’écriture de l’histoire, « positiviste » comme on disait autrefois. La lecture des archives ne produit pas que de l’histoire événementielle. Les approches sont multiples, des nouveaux questionnements surgissent qui entraînent des déplacements de regard, des comparaisons, des changements d’échelle. On ne lit déjà plus aujourd’hui les archives de la Stasi ou du KGB comme on a pu le faire à leur ouverture. Il en sera de même pour les archives de l’Occupation.

Prenons l’exemple, qui fit grand bruit à l’époque, de la découverte mentionnée plus haut du fichier des Juifs de la région parisienne établi en 1940 par la préfecture de police de Paris. Ce fut l’événement fondateur du débat autour de l’accès aux archives. Ce fichier, retrouvé par hasard dans les archives des Anciens combattants en novembre 1991, n’apportait en lui-même rien de nouveau. Le nombre de Juifs fichés puis arrêtés et déportés était connu. Cette pièce à conviction, dont on n’avait pas vraiment besoin au plan de la connaissance historique, est d’ailleurs devenue une pièce de musée car il faut la voir pour la croire, l’exhiber au sens propre du terme, comme cela est fait au Mémorial de la Shoah à Paris, pour prendre toute la mesure du soin minutieux mis à l’établissement de ce fichier de la traque par la police de Vichy. L’aura de l’archive fait partie des sources dont a besoin l’historien. Ce qui explique sans doute l’ardeur déployée lorsque le fichier fut découvert à nier l’avoir dissimulé puis, faute de mieux pour désamorcer le scandale et « blanchir » les services d’archives, à le transformer en « affaire », c’est à dire à en contester la nature (cf. le rapport de la commission Rémond, 1996). Désormais, plus aucun doute ne subsiste sur son identification. Les derniers travaux des historiens (Laurent Joly, L’antisémitisme de bureau, 2011) ont rejoint les affirmations de Serge Klarsfeld qui retrouva le fichier, comme les conclusions de l’enquête menée à l’époque par l’auteure de ces lignes (Archives interdites, 1994) – ou encore l’analyse du conservateur d’archives, Philippe Grand (Revue d’histoire de la Shoah, 167/1999).


La véritable question aujourd’hui n’est donc pas de savoir si on va découvrir quelque chose de nouveau dans ces archives dont on nous annonce l’ouverture et dont on veut bien croire qu’il ne s’agit plus cette fois d’un effet d’annonce. La question qui demeure est la suivante : pour quelles raisons a-t-il fallu attendre plus de 70 ans après la fin de la guerre pour qu’enfin, un arrêté stipule, le 24 décembre dernier, le libre accès des archives du gouvernement de Vichy et de la Seconde Guerre mondiale ? Y réfléchir nous aidera peut-être à hâter l’ouverture d’autres documents toujours en souffrance concernant d’autres pans de l’histoire nationale.

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