Le CVUH s’associe aux pétitions qui dénoncent la restriction de l’accès
aux archives contemporaines. Il se félicite de la prise de conscience relative
à l’atteinte aux droits démocratiques que constituent les dispositions régressives
visant principalement, et sans doute n’est-ce pas un hasard, la recherche
coloniale en plein essor depuis 20 ans.
Cependant, il convient de rappeler que de telles dispositions sont en
germe dans la loi sur les archives du 15 juillet 2008 et qu’elles furent
réitérées par l’IGI 1300 (Instruction générale interministérielle) de 2011 qui
contredisait de facto l’esprit
revendiqué de la loi.[1]
C’est au nom du « secret défense » et du respect de « la
vie privée » qu’est justifiée l’application de ces mesures restrictives. Bien
qu’il ait suscité des réactions, l’article 11 de la loi de 2008, stipulant que
certaines archives dont le contenu mettrait en danger la sécurité de l’État
(fabrication d’armes de destruction massive) sont pour toujours incommunicables
n’a pas été abrogé. Il fut même minimisé par des historiens qui ont pu
considérer la législation française comme l’une des plus libérales.[2]
Or, de la même façon que nous pouvons nous moquer d’être soumis aux regards des
caméras quadrillant les grandes villes au prétexte que nous ne faisons rien de
mal, nous ne devons pas oublier l’extension du domaine du droit une fois qu’il
a été promulgué.
Quant au respect de la « vie privée », concept flou sur
lequel la loi ne donne aucune précision, il a pu et peut – tout autant que
celui de « sécurité de l’État » – donner lieu à une utilisation abusive,
laissée de ce fait à l’appréciation du service versant (administration qui a
produit le document) ou des agents des archives.
Ces dispositions régressives privent également, pour certains fonds, du
recours à la dérogation dont pouvaient bénéficier les historien(ne)s. On doit
rappeler que ce système toujours en vigueur est contestable puisque, pour
obtenir le feu vert, la demande doit être « instruite » et, même s’il
s’agit d’une simple formalité dans certains services, cette mesure,
inégalitaire dans son principe, correspond à une forme de censure
« douce ». Exerçant de la sorte un droit de regard sur les recherches,
l’État instaure potentiellement un lien de sujétion avec les chercheuses et
chercheurs, comme les travaux sur la période de l’Occupation et Vichy ont pu en
faire, pendant longtemps, la démonstration.
Ne nous contentons pas d’apprécier les mesures sur lesquelles nous
avons été alerté(e)s comme étant « régressives ». Elles sont une interprétation
possible de la loi. En refuser l’application devient une nécessité civique, car
c’est mettre en cause la raison d’État au nom de laquelle les citoyens
n’auraient pas le droit de connaître le passé de la nation ; « raison
supérieure » dont historien(ne)s et archivistes doivent s’affranchir.
[1] Voir à ce sujet le point de vue de Maurice
Vaïsse dans 20 & 21. Revue d’histoire,
numéro 143, 2019/3, ainsi que les numéros 5 et 6/2008 que la revue en ligne Histoire@politique a consacré à la loi
de 2008, avec les articles de Gilles Morin « Archives : entre secret
et patrimoine » et de Sonia Combe « Le législateur, les archives et
les effets de censure ».
[2] L’Histoire,
n°336, 11/2008.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire