Placer sur un même plan la terreur nazie et le régime communiste
est-allemand (RDA) se banalise, déplore l’historienne Sonia Combe, dans une
tribune au « Monde » (27 février 2019)
Les
manifestations de Chemnitz et Cottbus contre l’accueil des réfugiés et l’entrée
du parti de l’extrême droite, l’AfD, au Bundestag, en 2018, ont mis fin à
l’illusion que l’Allemagne était épargnée par le populisme. Le 14 février,
lors d’une rencontre organisée à Berlin par la fondation Amadeu-Antonio,
engagée dans la lutte contre l’extrême droite, le racisme et l’antisémitisme,
une question a été posée : « Y aurait-il un lien entre la montée de
l’extrême droite et la criminalisation de la République démocratique
d’Allemagne (RDA) ? »
Hubertus
Knabe, directeur du Mémorial de la prison de la Stasi (police politique du
régime communiste de la RDA, créée en 1949) à Berlin-Hohenschönhausen, n’a
jamais caché son but : montrer que la dictature est-allemande équivalait à
la terreur nazie. Devenue un lieu mémoriel depuis la chute du Mur, l’ancienne
prison accueille une exposition sur un Berlin en ruine en 1945. L’Armée
rouge, qui vient de libérer la capitale du Reich, place en détention des nazis
dans cette prison. Mais, l’exposition ne les présente pas en tant que tels,
préférant les qualifier de « milliers d’innocents ». Aucune
distinction n’est opérée entre la période de la Zone d’occupation soviétique
(1945-1949) et la RDA. Ainsi, la même violence policière se serait exercée sans
relâche de 1945 à 1989.
Visite de cellules
Lors de la
visite des cellules, les guides ne manquent pas d’insister sur le fait que les
effectifs de la Stasi étaient bien supérieurs à ceux de la Gestapo, la police
politique du IIIe Reich. C’est vrai, la Gestapo n’avait pas besoin
d’effectifs importants, puisqu’elle croulait sous les dénonciations spontanées.
Comme l’a fait remarquer l’historien Klaus Bästlein lors de la journée d’étude
du 14 février, cette vision réductrice de la RDA arrangeait tout le monde.
La RDA n’aurait-elle pas été une dictature ? Que ce Mémorial de la prison
de la Stasi, qui draine 500 000 visiteurs par an, soit devenu une visite
obligatoire pour les lycéens allemands n’aurait donc ému personne !
En
septembre 2018, Hubertus Knabe a été licencié. Ce ne sont pas ses prises
de position idéologiques qui ont conduit à son licenciement. Pas davantage sa
conduite envers le personnel du Mémorial, qui s’était plaint plus d’une fois de
sa direction. Mais parce que des femmes ont porté plainte contre l’un de ses
collaborateurs qui les harcelait sexuellement. Le directeur était au courant,
mais n’avait rien fait. Il protégeait cette personne, comme il avait, un an
auparavant, protégé un autre de ses collaborateurs dont il s’était avéré… qu’il
était membre ou proche de l’AfD. Exit Knabe ! Mais à cette heure, ni
l’exposition ni le discours des guides n’ont changé d’un iota.
Des mémoriaux
qui véhiculent un discours de criminalisation de l’ex-RDA ne sont pas rares en
Allemagne. A Cottbus, le Centre pour les droits de l’homme, situé sur
l’emplacement d’une ancienne prison, présente aujourd’hui une exposition
intitulée « Détention – travail forcé dans la prison 1933-1989 ». La
chronologie, comme nous l’avons tous remarqué, ne marque pas de rupture entre
la terreur nazie et la dictature est-allemande. Elle serait justifiée, dit-on,
par le travail forcé, qui s’étalerait sur cinquante-six ans ! Jusqu’à
présent, le travail forcé n’était associé qu’à la période du IIIe Reich.
On avait tort ! En RDA, les prisonniers étaient aussi soumis au travail.
Rappelons que c’est à Cottbus que se déroula en 2018 l’une des plus
grandes manifestations contre les réfugiés.
De son côté,
le Mémorial de Buchenwald fait bien la distinction entre le camp de concentration
nazi et le camp spécial où les Soviétiques enfermaient en 1945 les petits
comme les hauts responsables du régime nazi. Mais le Mémorial tient à remettre
en question le rôle des prisonniers communistes. Idéalisés dans le récit
officiel de la RDA, ces détenus communistes, appelés désormais « kapos
rouges », sont marginalisés dans l’exposition principale à Buchenwald.
Qu’ils aient sauvé 900 enfants, juifs pour la plupart, et que parmi eux
certains aient reçu la médaille du Juste parmi les nations de Yad Vashem, cela
n’a aujourd’hui aucune importance : ils ont été destitués du piédestal où
la RDA les avait placés. Voici donc les anciens héros de la RDA à leur tour
déboulonnés. Que reste-t-il du communisme ? De nos jours, on ne parle en
Allemagne que du « mythe de l’antifascisme », alors que ce courant a
été avant tout un combat.
Audacieux programme de politique mémorielle
A quelques
mois des élections, la section berlinoise du Parti social-démocrate allemand
(SPD), qui craint un naufrage électoral, a pris les devants. Elle entend rafler
des voix à l’AfD avec un programme audacieux en matière de politique
mémorielle. Elle propose la construction dans le centre de Berlin de deux
mémoriaux : le premier serait dédié « aux victimes du
communisme » ; le second est prévu sur l’ancien emplacement des
locaux de la Stasi, afin de ne pas oublier ses crimes. D’après ce dernier
projet, ce mémorial s’intitulerait « Topographie de la répression ».
Que cherche au juste le SPD Berlinois ? Rivaliser d’une part avec les
actuels lieux de mémoire, celui des juifs assassinés d’Europe, des Sintis et
Roms, et d’autre part avec le Musée de la topographie de la terreur, situé sur
l’ancien emplacement des locaux de la Gestapo ?
A réduire
ainsi la RDA à une dictature de même nature que l’Allemagne nazie, peut-on
encore s’étonner que dans ces lieux marqués par la désindustrialisation et un
fort sentiment de déclassement, on en arrive à voter en faveur de l’extrême
droite ? Qui sème le vent récolte la tempête !
Sonia Combe est historienne, membre du CVUH, spécialisée en
histoire contemporaine des pays de l’Est. Elle travaille au Centre Marc Bloch,
un centre franco-allemand de recherche en sciences humaines sociales situé à
Berlin.
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