« Je ne suis pas raciste. Je
fais une analyse individuelle. Pour moi la France est blanche. Ce n’est pas
raciste, juste historique ». Ce sont les propos tenus cet été par un militant
d’extrême droite interrogé par un juge du parquet de Paris. Il fait partie des
treize personnes appartenant au groupuscule « Action des Forces
opérationnelles » (AFO) qui ont été interpellées et conduites devant la justice
car soupçonnées de préparer des attentats contre des musulmans en France. L’affirmation
d’une identité « blanche » de la France est légitimée par un
« juste historique ». Où l’on voit ici les deux termes s’assembler pour
faire d’une opinion une vérité irréfutable : c’est une évidence de dire
cela car c’est « historique », donc de l’ordre du vrai. Le passé est
utilisé pour construire un régime de vérité sur la représentation d’un nous
(les « Blancs ») absolutisé et d’un Autre (musulman) fixé à
perpétuité en dehors de la communauté nationale. La phrase relève d’un reliquat
narratif qui naturalise ce discours d’une France historiquement « blanche ».
De l’historien Charles Seignobos dans son Histoire
sincère de la nation française (1933)
aux déclarations de l’eurodéputé Nadine Morano en 2015, le propos traverse
les mémoires et les générations. Ce reliquat narratif a ses déclinaisons :
le discours sur les origines gauloises ou celui sur les racines chrétiennes
portés depuis plusieurs années par la droite conservatrice et extrême relayée
par un certain nombre d’éditorialistes et d’essayistes.
Est-ce bien juste historiquement ? L’assertion manifeste un immense déni
de l’histoire de France dans ses réalités coloniales et migratoires. Si en
effet l’on retraduit l’histoire nationale en termes de couleur de peau, alors
la France coloniale était composée de « non-Blancs » au 16e
siècle avec des peuples en Amérique qualifiés d’ « Indiens ». A
partir du début de la traite atlantique au 17e siècle, des
populations « noires » sont présentes sur le territoire national. Évoquons
Jean-Baptiste Belley, esclave « noir » affranchi, qui est élu député
de la province du Nord de Saint-Domingue à la Convention en septembre 1793 et
participe activement au décret d’abolition de l’esclavage du 4 février 1794 par
lequel les esclaves « noirs » deviennent des citoyens français.
Par son empire colonial, la France est même peuplée en majorité de « non-Blancs »
pendant une partie des 19e et 20e siècles jusqu’aux
indépendances avec la présence de diverses populations qualifiées dans une
perspective racialiste de « noires », « jaunes » ou de
« rouges ». Comment à la fois exprimer la nostalgie de la France
impériale coloniale et invoquer la France historiquement « blanche » (ce
sont souvent les mêmes) qui occulte ainsi l’existence de populations vivant sur
le territoire français depuis près de quatre siècles ? Par ailleurs, la
nation française s’est construite depuis le 19e siècle en partie par
ses migrations, et les immigrations coloniales et postcoloniales - puisque
c’est de cela qu’il s’agit dans le propos cité - font partie intégrante de
l’histoire française depuis un siècle.
Enfin, la catégorisation d’une population historiquement « blanche »
ne résiste pas une seule seconde à l’analyse historique qui rend compte de la
complexité des appartenances sociales des individus. L’Ardéchois du 18e
siècle se vivait-il dans l’expérience d’une identité
« blanche » ? Arrêtons avec ces projections identitaires qui
n’ont historiquement aucun sens. Cette lecture de l’histoire
nationale fait de l’assertion « une France blanche c’est juste
historique » non seulement un reliquat narratif, mais aussi une relique
narrative : une trace imaginée du passé prétendue vraie qui est
sanctuarisée et vénérée en dehors des réalités historiques.
Cette évolution doit être mise en perspective à une plus large échelle,
car les manifestations de défense des « Blancs » contre les invasions
« musulmane », « africaine » ou « étrangère »
gagnent du terrain dans de plus en plus de pays et s’expriment politiquement
par des partis en progression (Allemagne, Suède, Pays-Bas, Belgique) ou au
pouvoir (États-Unis, Hongrie, Pologne, Italie, Autriche). L’histoire est alors
régulièrement convoquée et instrumentalisée pour légitimer des discours et
politiques xénophobes au nom de l’insécurité identitaire « blanche ».
L’affirmation « La France est
blanche c’est juste historique » traduit enfin une représentation raciale
de la société française projetée sur son passé qui caractérise une dérive
actuelle. Présenter l’histoire de la France dans un tel paradigme racial « Blancs/non-Blancs »
livre le passé à des régressions et des impasses ravageuses. Avec le risque de réifier
l’histoire au lieu d’y puiser des ressources vivantes d’émancipations et de
solidarités collectives pour notre présent et notre avenir.
Sébastien Ledoux, pour le CVUH
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire