Suzanne Citron est née le 15
juillet 1922. Sa vie faite de combats, d’engagements, de réflexions fécondes et
de travaux décapants s’est achevée paisiblement ce lundi 22 janvier 2018 à son
domicile parisien.
Le travail de Suzanne sur
l’histoire de France et son enseignement l’a faite marraine naturelle du
collectif Aggiornamento histoire
géographie qui naquit dans son salon où il fut baptisé du nom de cet
article qu’elle publia dans les Annales en 1968 comme un appel impérieux
à dépoussiérer l’existant[1].
Sa route a croisé quelque temps
auparavant celle du C.V.U.H. Le parcours personnel de Suzanne Citron, née
Grumbach, s’est heurté à la France de Pétain et à l’enfermement au camp de
Drancy dont elle réchappa de peu. La guerre d’Algérie a, par la suite, affuté
ses engagements politiques et citoyens, tout comme son parcours intellectuel,
de bonne élève d'Henri Marrou puis d’enseignante en lycée. Suzanne était
agrégée et considérait ce concours à l’époque où elle le passa comme une source
de « stérilité intellectuelle et d’appauvrissement humain »[2], encore une ligne de
démarcation. Que ce soit avec son
autobiographie éponyme ou son Histoire des hommes, ainsi que son manuel d’histoire
alternatif L’histoire autrement,
elle n’a cessé d’explorer, de
déconstruire et de renouveler la vision de cette discipline, aiguillonnée par
un insatiable appétit de liberté et une indépendance d’esprit qui la firent
s’affranchir du poids des conventions, des normes et des allant de soit.
Avec son maître ouvrage, Le
mythe national, la pensée
de Suzanne et ses combats rejoignent ceux du C.V.U.H. puisque c’est notamment
aux instrumentalisations politiques et publiques - donc scolaires et
médiatiques, par exemple - qu’elle s’attaque dans ce livre qui met à mal le
fameux roman national. En déconstruisant le mythe d’une France toujours déjà là, en dénonçant les effets sclérosants
et déformants d’un récit historique linéaire par trop figé, terreau fertile aux
discours nationalistes et patriotiques incompatibles avec une France devenue
plurielle, par ailleurs sommée de se mettre à l’heure du monde, elle rejoint les indignations et
les propositions du Comité de Vigilance face aux Usages publics de l’Histoire.
Celle qui gardait un souvenir au
parfum d’enfance de sa visite de l’exposition coloniale de 1931, et d’autres,
plus révoltants, des sociétés et guerres coloniales françaises ne pouvait
rester indifférente aux amendements de la loi du 23 février 2005 prescrivant un
enseignement des aspects positifs de la colonisation. Se taire face aux
manipulations grossières de l’histoire par N. Sarkozy et de ses plumitifs - H. Guaino
ou M. Gallo - sur la résistance ou l’entrée de l’Afrique dans l’histoire ne lui
était pas davantage possible. La création du ministère de l’identité nationale,
autre volet de cette politique, fut l’occasion pour elle de s’opposer avec le C.V.U.H.,
aux consensus convenus, assis sur des positions académiques et éditoriales
dominantes, qui permettaient de faire des travaux d’un Pierre Nora l’alpha et
l’oméga d’une histoire réduite à des finalités identitaires.
Libre, indomptable, indignée mais
savante et insatiable d’en savoir toujours plus, Suzanne Citron ne s’est jamais
contentée de l’existant, et d’une histoire condamnée à contempler son pâle reflet
dans le miroir du passé. La pertinence de ses travaux a donné au Mythe
national une nouvelle
actualité au moment de la campagne présidentielle de 2017, droite et gauche
recyclant à l’envie les uns le roman, les autres le récit national, se complaisant dans un discours qu’elle
jugeait anachronique et paresseux - ce qui ne cessait de l’inquiéter. Elle
lisait ces temps derniers Les illusions perdues de Balzac, après avoir passé l’été avec Mme de Staël et la rentrée
scolaire avec le dernier volume de Jean-Pierre Demoule.
De sa voix si singulière, une peu
éraillée et grave qui prenait soin de détacher chaque mot tandis que ses mains
battaient l’air pour appuyer son argumentaire, elle exprimait encore et
toujours sa colère face à la politique de G. Collomb et ses interrogations pour
la jeunesse d’aujourd’hui et de demain.
« J’ai toujours vécu avec le
sentiment, d’abord fugitif et vague, que la vie quotidienne s’inscrivait dans
quelque chose de plus vaste, et que le présent était indissociable du
passé ». Ainsi débute son autobiographie, Mes lignes de démarcation. Elle nous a appris à en franchir
tant et tant. Que cela reste son héritage à perpétuer dans le futur.
Véronique Servat
Quelques ouvrages de Suzanne Citron à consulter en ligne :
Son livre L'histoire des hommes
Son introduction à La Fabrique scolaire de l'histoire
[1] Citron
Suzanne, « Dans l'enseignement secondaire : pour l’aggiornamento de
l'histoire-géographie », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 23ᵉ année, n°
1, 1968, p. 136-143.
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