En
juin 2016, les électeurs britanniques se sont prononcés en faveur
de la sortie de l’Union européenne. Pendant la campagne autour du
référendum qui a précédé ce vote, les savoirs historiques ont
été mobilisés par les acteurs politiques et des historien.ne.s
sont intervenu.e.s, plus que de coutume, dans le débat public. Le
débat porté par les historien.ne.s s’est focalisé sur la
question de l’exceptionnalisme historique britannique, qui est
devenu un argument important pour les partisans du « Leave »
(oui au Brexit). Les deux textes traduits et présentés dans ce
dossier rendent compte des enjeux et des clivages qui se sont
dessinés au Royaume-Uni au printemps 2015.
Actif
depuis 2013, le collectif Historians
for Britain (Historiens
pour la Grande-Bretagne) s’est formé autour d’une vingtaine
d’universitaires confirmés (notamment le médiéviste Nigel Saul
et le spécialiste de la Commune Robert Tombs) et d’historiens
médiatiques (Sheila Lawlor, David Starkey), tous désireux de
défendre le point de vue du « Leave »
et ce, à l’aune du passé. Début mai 2015, David Abulafia,
professeur d’histoire méditerranéenne à Cambridge et président
de Historians for
Britain, publie, dans
la revue d’histoire grand public History
Today, un
texte-manifeste intitulé « La
Grande-Bretagne : à part ou une part de l’Europe ? ».
Sa traduction est le premier texte du dossier. Les Historians
for Britain organisent
alors des séminaires et des conférences publiques autour de la
question ; leur site internet énonce leur projet :
« Permettre aux
Britanniques de comprendre que de nombreux historiens font campagne
pour obtenir un meilleur accord avec Bruxelles et n’ont pas peur de
lutter pour parvenir à ce changement »
(http://historiansforbritain.org/about/).
À l’appui de leur position, ils proposent, en libre accès, des
articles et des réflexions collectives, comme par exemple :
« ‘Le Demos
européen’ : un mythe historique ? »
(http://forbritain.org/demosessays.pdf),
« Au-delà des fantômes : l’adhésion à l’UE
érode-t-elle l’influence globale de la Grande-Bretagne ? »
(http://historiansforbritain.org/wp-content/uploads/sites/12/2016/01/WzW-HfB-Beyond-the-Ghost-7.pdf).
À leurs yeux, la logique du Brexit trouve sa source dans la
trajectoire millénaire et singulière de l’Angleterre, puis de la
Grande-Bretagne, par rapport à ses voisins européens. Un
« exceptionnalisme » qui serait façonné par
l’ancienneté et la continuité d’institutions originales et
stables – quand la rupture et la violence seraient la marque
distinctive de l’histoire continentale –, par une forte
tradition d’ouverture sur le monde, et par les valeurs et le
tempérament modéré de son peuple.
Le
texte de David Abulafia a aussitôt suscité des réactions parmi ses
collègues, ce qui n’est pas étonnant puisque la majorité des
historien.ne.s du Royaume-Uni s’est prononcée en faveur du
maintien de leur pays dans l’Union européenne. Mais l’ampleur et
la virulence de la controverse, par médias interposés, étaient
sans doute moins faciles à prédire. Dans un billet posté sur son
blog trois jours après le manifeste des Historians
for Britain, Neil
Gregor, professeur d’histoire de l’Europe moderne à l’université
de Southampton, s’agace : « Il
est difficile de savoir par où commencer lorsqu’on discute un
récit auquel les historiens professionnels ont renoncé il y a des
décennies, comme pourrait vous le confirmer n’importe quel
étudiant médiocre de première année »
(http://www.huffingtonpost.co.uk/neil-gregor/britain-europe_b_7272906.html).
Une semaine après la publication du texte de David Abulafia, trois
cents historien.ne.s de différentes universités britanniques
signent une très critique « Lettre ouverte en réponse à la
campagne des Historians
for Britain »
(http://www.historytoday.com/various-authors/fog-channel-historians-isolated).
Toujours
en mai, avec le soutien d’une quinzaine de leurs pairs, Edward
Madigan et Graham Smith, de l’université de Londres, font à leur
tour paraître une « Déclaration » (dont la traduction
est la deuxième pièce du dossier) dans laquelle ils dénoncent le
mélange des genres non assumé et la déformation de l’histoire au
service d’un projet politique : « Ce
qui intéresse [les
Historians for Britain]
en fait, c’est de
défendre une politique eurosceptique. Ce qui est tout à fait leur
droit. Mais, en tant qu’historiens, nous appelons à un débat
sincère et ouvert, où l’on discute du passé à partir de preuves
et de données sérieuses ».
Ce document est à l’origine d’un nouveau collectif, Historians
for History (Historiens
pour l’histoire),
animé par Edward
Madigan et Graham Smith, dont le nom fait écho, non sans ironie, à
celui de leurs adversaires. Comme ces derniers, ils proposent sur
leur blog de nombreux articles, mais cette fois pour montrer à quel
point l’identité britannique s’est nourrie des constants
échanges avec l’Europe. Les contributions épinglent notamment une
manière d’écrire l’histoire héritière du XIXe
siècle – la whig
history –,
linéaire et réductrice, nationaliste et anglocentrée (même si cet
aspect est mal camouflé par un usage ambigu du mot « Britain »),
où la nostalgie acritique de la grandeur impériale passée n’est
jamais très loin (https://historiansforhistory.wordpress.com).
Ajoutons, pour être complet, que, depuis février 2016, le site a
évolué pour devenir un lieu de débat et de commentaires sur
« l’histoire publique » (public
history) au XXIe
siècle, en prise avec l’actualité. Le spectre des débats s’est
élargi. Si les réflexions sur « les
usages et mésusages du passé dans les discours nationalistes et
européistes »
et sur « l’impact du passé sur la formation des identités
nationales et supranationales »
(https://historiansforhistory.wordpress.com/2016/02/05/were-back/)
y trouvent toujours leur place, elles côtoient désormais des
analyses argumentées sur les pratiques commémoratives et les enjeux
mémoriels dans les îles Britanniques, sur les fictions d’histoire
à la télévision, ou encore les débats et polémiques historiques
sur Twitter.
Historians for Britain,
mai 2015
Article paru dans la revue History
Today
Pourquoi
« Des historiens pour la
Grande-Bretagne » ?
En
fait, de bien des manières, l’organisation que des collègues et
moi-même avons mise sur pied au fil de l’année dernière aurait
tout aussi bien pu s’appeler « Des
Historiens pour l’Europe. »
Nous ne sommes en effet pas hostiles à l’Europe et nous sommes
convaincus que, dans un monde idéal, la Grande-Bretagne
resterait au sein d’une
Union européenne radicalement réformée. Le groupe d’historiens
que nous formons, au sein de l’université ou en dehors, estime
qu’il est urgent de fournir une perspective historique sur la
relation entre la Grande-Bretagne et l’Europe, tant le débat à ce
propos est devenu vif, voire brûlant. En tant que branche du groupe
de pression Business for
Britain, nous pensons que les
Britanniques doivent impérativement être consultés sur la question
de l’appartenance de la Grande-Bretagne à l’Union européenne.
Cependant, si un référendum avait lieu demain, il n’y aurait
aucun moyen de renégocier la position de la Grande-Bretagne dans
l’Union européenne, ce qui est pourtant vital. Plus vital encore :
dans cette renégociation, l’UE devrait s’engager à réformer
son mode de fonctionnement et à laisser aux pays qui ne souhaitent
pas devenir membres des « États-Unis d’Europe » au
minimum la liberté de s’appuyer sur leurs propres institutions
souveraines, et sans interférence.
Voilà
qui pourrait donner l’impression qu’il s’agit d’un manifeste
politique plutôt que d’une argumentation historique. Pourtant,
nous défendons des points de vue couvrant tout le spectre politique,
de la droite à la gauche. Notre projet est de montrer comment la
Grande-Bretagne s’est toujours développée d’une façon
différente de celle de ses voisins continentaux. Ce développement a
eu pour conséquence la création d’un système légal fondé sur
la jurisprudence plutôt que sur le droit romain ou les codes
napoléoniens1.
Le Parlement britannique incarne des principes de conduite politique
dont les racines datent du 13ème
siècle, voire avant2.
Des institutions ancestrales comme la monarchie et plusieurs
universités ont survécu (et évolué) pratiquement sans
discontinuité depuis des siècles. Un tel degré de continuité n’a
pas son équivalent en Europe continentale. Sauf peut-être
partiellement dans certaines régions d’Espagne où les assemblées
parlementaires remontent au moins au Moyen Âge. Mais même dans ces
cas-là, des changements constitutionnels radicaux et la guerre
civile ont brisé bien des continuités. Ces assemblées ont disparu
en France avec la Révolution et l’ère napoléonienne, tandis que
l’Allemagne et l’Italie sont des créations du 19ème
siècle dont les systèmes politiques ont été presque entièrement
reconstruits après 1945. À part au Portugal, les frontières
nationales ont fluctué au fil des siècles, et parfois brutalement.
Suite au départ de la plus grande partie de l’Irlande, la
Grande-Bretagne elle-même s’est contractée. Mais, en dehors des
quelques coups d’Etat dus à Henri VII et Guillaume d’Orange,
l’Angleterre n’a été déchirée par aucune invasion depuis
10663.
Et son opinion publique n’a nullement soutenu le nationalisme
intense qui a ravagé bien des pays européens, y compris la campagne
indépendantiste de l’Écosse. Ni le fascisme ni l’antisémitisme
n’ont trouvé à s’implanter profondément ici, pas plus que le
communisme (excepté l’engouement ridicule de certains étudiants
en sciences politiques). En politique, le tempérament des
Britanniques a toujours été plus modéré que celui des grands pays
européens.
Parallèlement
à ces différences, l’engagement de la Grande-Bretagne aux côtés
de l’Europe a une longue histoire ;
cet engagement n’est pas
uniquement celui de l’Angleterre, il inclut aussi celui de l’Écosse
(notamment la « Vieille Alliance » avec la France4).
« Brouillard sur la
Manche, Continent isolé. »
Ce célèbre titre de presse ne rend pas compte de la nature
véritable de l’engagement de l’Angleterre en Europe, qu’il
s’agisse du commerce de la laine avec les Flandres, cette
incroyable source de richesse au Moyen Âge, ou des conquêtes
anglaises jusqu’en Gascognei,
de « la plus longue alliance » entre l’Angleterre et le
Portugal ou encore, bien sûr, plus récemment, de la présence
britannique en Méditerranée qui, selon les époques, plaça sous sa
bannière non seulement Gibraltar mais aussi Minorque, la Corse,
Malte, Corfou et Chypre. En 1939, les Français et les Britanniques
honorèrent les promesses qu’ils avaient faites à la Pologne, ce
qui nous valut de nous retrouver dans une guerre à mort avec
l’Allemagne.
On
pourrait décrire cette relation en disant que le Royaume-Uni a
toujours été un partenaire de l’Europe tout en gardant une
certaine distance avec elle. Après tout, jusqu’à la seconde
moitié du 20ème
siècle, la Grande-Bretagne étendait sa domination sur de vastes
régions du globe, très loin de l’Europe. Devenir Européen
pourrait ainsi passer pour une réaction à la fin de l’empire, ou
en tout cas pour une réaction au relâchement des liens avec un
Commonwealth en expansion. Mais ceci reviendrait à simplifier
exagérément une histoire complexe et récente : en 1973, le
Royaume-Uni a rejoint le Marché commun et nombreux sont ceux qui
auraient préféré que les fondateurs de la future Union européenne
oublient leur rêve d’une « union toujours plus large »
pour se concentrer sur l’amélioration de cette association
économique.
En
tant qu’Historiens pour la
Grande-Bretagne, notre but
est de faciliter le débat. Lors de ce référendum, le vote des uns
et des autres devrait dépendre de l’offre nouvelle qui leur sera
faite avec la renégociation de la position de la Grande-Bretagne
dans l’UE. Cette offre doit refléter le caractère différent du
Royaume-Uni, enraciné dans une histoire largement ininterrompue
depuis le Moyen Âge.
David
ABULAFIA, Professeur d’histoire méditerranéenne, Université de
Cambridge, Président de Historiens
pour la Grande-Bretagne
Des historiens pour l’Histoire
Déclaration,
mai
2015
Nous
saluons l’utilité de la contribution des Historiens
pour la Grande-Bretagne au
dernier numéro de History
Today [mai 2015],
rappel bien venu de la valeur
de l’histoire dans le débat contemporain. Plus précisément, ce
texte pose à un moment significatif d’importantes questions sur le
nationalisme britannique et sur les revendications d’un
exceptionnalisme anglais. Cependant, en tant qu’historiens, nous
sommes en désaccord avec cette conception très réductrice et
biaisée de l'histoire du Royaume-Uni.
Les
auteurs semblent avoir interprété le passé de façon à satisfaire
leur désir de voir se concrétiser la renégociation de
l’appartenance de la Grande-Bretagne à l’Union européenne. Et
sans même faire allusion aux aspects qu’ils aimeraient voir
renégociés, ils expriment clairement leur impression que l’histoire
britannique « largement ininterrompue depuis le Moyen Âge »
place l’Angleterre à part, en fait un pays différent de ses
voisins continentaux. Selon cette proposition dénuée de toute
ambiguïté, les communautés nationales, de la Scandinavie à la
Méditerranée, se seraient affrontées pendant un millénaire de
violences, de discordes et de discontinuités politiques, tandis que
la Grande-Bretagne aurait suivi un chemin relativement stable et plus
éclairé. Cette version ne résiste pas à l’examen, même le plus
superficiel, des faits.
Comme
preuve de la trajectoire historique de l’Angleterre, unique en son
genre, les auteurs citent « les principes d’une conduite
politique dont les racines datent du 13ème
siècle ». Il s’agit là sans doute d’une référence à
l'idée d'une liberté pour tous qui aurait été sanctuarisée par
la Grande Charte frappée du sceau du roi Jean en 1215. En vérité,
bien que ce traité médiéval entre le roi Plantagenêt et ses
seigneurs féodaux ait été interprété par certains d’une
manière admirablement libérale, son but original était tout sauf
démocratique. Quant aux anciens systèmes démocratiques, la Grèce
est en bien meilleure position que l’Angleterre pour en revendiquer
la paternité, tandis qu’en matière de suffrage universel, le
Royaume-Uni a été à la traîne de nombre de ses voisins
continentaux, notamment les Pays-Bas, l’Allemagne, la Pologne et le
Danemark. Les élites politiques et sociales britanniques ont
farouchement résisté à l’instauration d’un système de
gouvernement véritablement démocratique et il a fallu se battre bec
et ongles jusqu’à la fin des années 1920 pour le voir finalement
triompher. Ceux qui vivaient toujours sous la domination impériale
britannique ont dû attendre plus longtemps encore.
Les
auteurs avancent sur des sables mouvants quand ils font allusion aux
très anciennes institutions comme la « monarchie »
britannique et « plusieurs
universités » qui ont
« survécu pratiquement sans une égratignure depuis des
siècles, tout en continuant d’évoluer. »
Rappelons tout d’abord que, dans la mesure où la dynastie des
Plantagenêts est née d’une invasion normande,
la plupart de ses rois
étaient français et régnaient sur de vastes parties de la France,
Guillaume III était
hollandais, et Georges I et Georges II venaient d'Etats allemands ;
de toute évidence, la monarchie illustre l’influence de l’histoire
européenne sur la vie politique anglaise, bien plus que tout autre
institution nationale. Ajoutons que la défunte reine-mère fut la
première Anglaise à avoir épousé un souverain britannique depuis
200 ans. Mais plus important encore : on peut difficilement
qualifier la monarchie de continuum
et les dynasties royales anglaises ont souvent été renversées dans
des circonstances sanglantes. Les affrontements dynastiques au cours
de la guerre des Roses au 15ème
siècle pour le trône d'Angleterre ont traumatisé bien des
communautés anglaises. Les évènements se sont enchaînés d’une
façon encore plus violente
lorsque les
Stuarts ont été renversés au bout de deux âpres guerres civiles
qui culminèrent en 1649 avec l’exécution de Charles Ier, puis la
proclamation du Commonwealth avec Olivier Cromwell en Lord
Protecteur. Prétendre que « le
tempérament politique des Britanniques a toujours été plus modéré
que celui des grands pays européens »
est discutable en tout cas pour les 19ème
et 20ème
siècles et parfaitement fallacieux pour le 17ème
siècle.
Le
caractère cosmopolite et souvent clairement européen des monarchies
britanniques successives est complété par les perspectives
internationales des lieux ancestraux du savoir britannique situés à
Oxford, Cambridge, Saint Andrews et Glasgow. Fondamentalement, ces
établissements partagent tous beaucoup de choses avec leurs
équivalents à Bologne (fondé en 1088), Salamanque (1134), Prague
(1348), Heidelberg (1386) et une série d’autres institutions
européennes non moins anciennes. Tout historien des idées peut
confirmer que les élites intellectuelles des pays qui forment
désormais l’Union européenne échangent, collaborent et se
querellent entre eux depuis des siècles.
Sur
un autre plan, comme Neil Gregor l’a fait remarquer (14/05/2015,
Huffington Post),
les conquêtes coloniales et l’expansion impériale ont sans doute
constitué les expériences historiques qui ont le plus rapproché
les États d’Europe de l’ouest entre eux. Ce qui est le plus
trompeur dans la déclaration des Historiens
pour la Grande-Bretagne,
c’est le refus de ses auteurs de dire clairement à quel État, à
quelle nation ou à quel territoire ils font précisément référence
quand ils parlent de la « Grande-Bretagne ». Sans
vergogne, ils font non seulement de la mauvaise histoire mais en plus
de la mauvaise géographie quand ils écrivent que « Suite
au départ de la plus grande partie de l’Irlande, la
Grande-Bretagne elle-même s’est contractée
».
Au risque d’enfoncer des portes ouvertes, rappelons que l’Irlande
n’a jamais fait partie de la Grande-Bretagne. L’île s’est
trouvée sous la domination « anglaise », selon des
modalités qui ont évolué au cours du temps, de la fin du 12ème
siècle jusqu’à la fin de la période moderne ; elle a
ensuite fait partie du Royaume-Uni (de Grande-Bretagne et d’Irlande)
de 1800 à 1922 ; l’Irlande du Nord est aujourd’hui encore
au sein du Royaume-Uni. La Grande-Bretagne,
à proprement parler, est constituée de trois nations distinctes,
elles-mêmes composées de multiples strates, définies en fonction
des classes sociales, des espaces, de l’appartenance ethnique et de
la religion. Le paysage culturel et social de l’Angleterre, de
l’Écosse et du Pays de Galles s'est profondément enrichi depuis
deux siècles par l’arrivée d’immigrants venus du monde entier,
y compris du continent européen. Si les auteurs de la Déclaration
désirent sincèrement informer le public sur l’histoire du
Royaume-Uni, ils devraient être prêts à accepter cela. Mais ce
refus de reconnaître l’évidence, celle de la diversité
historique au sein de la Grande-Bretagne, suggère que les Historiens
pour la Grande-Bretagne ne
s’intéressent pas vraiment à la relation historique complexe que
cet État entretient avec l’Europe continentale. Ce qui les
intéresse en fait, c’est de défendre une politique eurosceptique.
Ce qui est tout à fait leur droit. Mais, en tant qu’historiens,
nous appelons à un débat sincère et ouvert, où l’on discute du
passé à partir de preuves et de données sérieuses.
Nous
sommes convaincus que les historiens ont potentiellement un rôle
important à jouer, celui de débattre du passé avec le public.
Aussi sommes-nous ouverts à tout commentaire ou toute contribution
de qui voudrait peser dans ce débat.
1
En réalité, la Common Law
se développe au XIIe
siècle, lorsque l'Angleterre est étroitement reliée au continent
au sein d'un « empire Plantagenêt ». Elle résulte de
l'unification des coutumes anglo-normandes et d'une législation
royale, élaborée progressivement par les juges royaux itinérants.
Ce qui singularise ce système juridique dans l'Europe occidentale
du XIIe
siècle, c'est qu'il se fonde sur un corpus de précédents plutôt
que sur un principe d'autorité comme c'est le cas dans le droit
romano-canonique, alors en pleine expansion. Mais si le choix des
corpus diffère, il y a une évidente contemporanéité des
processus d’abstraction judiciaire, c'est-à-dire un processus
dynamique qui s'élabore au terme d'un effort de schématisation
contemporain de l’abstraction monétaire et scolastique. Il n’est
donc pas tout à fait exact de dire que c'est le développement
singulier de la Grande-Bretagne qui lui a donné son système
juridique, d'une part parce que celui-ci est mis en place par une
élite anglo-normande, et d'autre part, parce que les processus
cognitifs qui ont permis son aboutissement étaient ceux des clercs
formés dans les écoles bien plus souvent continentales
qu'insulaires. Voir : A. Boureau, La
loi du royaume. Les moines, le droit et la construction de la nation
anglaise (XIe-XIIIe
siècles),
Paris, Belles lettres, 2004.
2
Le débat sur l'exceptionnalisme anglais a en effet été nourri en
2010 par la publication de Robert Maddicott, The
Origins of the English Parliament, 924-1327,
Oxford University Press. Ce dernier s'inscrit ainsi dans une
historiographie nationaliste cherchant à saisir la continuité de
l'histoire anglaise depuis la période anglo-saxonne (c'est-à-dire
pré-normande), relativisant ainsi l'apport de la « conquête
normande » dans la trajectoire des Îles britanniques. Cette
révision chronologique lui permet ainsi de mettre en cause
notamment l'importance des concepts issus du droit romain au profit
d’institutions qu'il fait remonter à la période pré-normande.
Voir C. Fletcher, compte-rendu de « R. J. Maddicott, The
Origins of the English Parliament, 924-1327,
Oxford University press », Revue
historique, 2011/2 (n°
658), p. 45-50.
3
Aucune invasion majeure certes, mais en octobre 1216, le fils de
Philippe Auguste, le futur Louis VIII, a débarqué avec son armée
sur les côtes méridionales anglaises, tentant de s'emparer de la
forteresse de Douvres. Sa présence était soutenue par une partie
de l'aristocratie rebellée contre le roi Jean sans terre, cherchant
à le destituer pour placer sur le trône, le fils du Capétien. Si
Jean n'était pas mort dans les quelques semaines suivantes,
permettant à l'aristocratie anglaise de se réunifier sous la
bannière du nouveau roi, seulement âgé de 9 ans, l'Angleterre
aurait pu être capétienne, bien avant que la France, en partie, ne
soit lancastrienne ! Faire un peu d'histoire contre-factuelle
permet aussi de ne pas oublier certaines dates qui auraient pu
bouleverser des trajectoires historiques dont certains historiens
tentent parfois rétrospectivement de faire croire à leur
inéluctabilité.
4
« Auld Alliance »,
Alliance passée entre les royaumes d’Écosse et de France en 1295
et dont la plupart des dispositions furent rendues caduques par le
traité d’Édimbourg en 1560, mais qui a marqué profondément les
relations franco-écossaises jusqu'à aujourd'hui. Elle explique en
grande partie l'attachement historique de l’Écosse à l'Europe en
opposition à l'Angleterre, malgré l'union des deux couronnes dans
le « Royaume-Uni », en 1707.
i
Parler de « conquêtes en Gascogne » est une vision
légèrement euphémisée de l'histoire des relations entre
l'Angleterre et le continent au Moyen Âge. La Gascogne et plus
largement l'Aquitaine faisaient certes partie d'un même espace
politique (l'empire Plantagenêt), mais c'est par mariage (avec
Aliénor en 1152) et non par la conquête qu'Henri II inséra
l'Aquitaine dans son empire. Elle devient « anglaise »,
en restant loyale à Jean sans terre malgré la perte de ses autres
territoires continentaux et son repli en Angleterre (Bouvines,
1214). S'il y eut une conquête « militaire » de la
Gascogne au Moyen Âge, c'est bien plutôt celle des armées
françaises de Charles VII, qui parviennent à prendre Bordeaux, en
1453.
L’introduction
de ce dossier a été rédigée par Laurent Colantonio, les notes
explicatives sont de Fanny Madeline, les traductions ont été
effectuées par Nelcya Delanoë, Blaise Dufal, Laurent Colantonio,
Fanny Madeline.
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