Une fois, deux fois, trois fois et maintenant quatre fois !
En moins d’un
an, la direction de la programmation de France 3, chaine publique, met à l’affiche,
cette nuit, 4 février 2013, une émission au titre des plus nuancés, comme si le
point d’interrogation devait lever un doute « Robespierre, bourreau de la
Vendée ? ». Non spécialiste de la Vendée, et plutôt rétif, à tort, à
la culture télévisuelle, j’avais décidé d’ignorer l’émission. Mais devant ce qu’il
convient d’appeler un acharnement médiatique dont le but ou la conséquence est
de créer une vulgate partagée et finalement acceptée à force d’être répétée et ânonnée,
quelques réflexions s’imposent. Un génocide aurait eu lieu en Vendée et qui dit
génocide dit forcément que le coupable de l’histoire ou celui que l’on peut
comparer à Hitler n’est personne d’autre que Robespierre.
Le véritable génocide
des uns est relativisé – 6 millions de personnes sont mises sur le même pied
que 170 000 personnes- le génocide inventé des autres se trouve décontextualisé
et rendu incompréhensible parce que bricolé et impossible historiquement à démontrer.
J’ai dû regarder
l’émission deux fois pour mieux comprendre les ressorts émotionnels qui
structurent le docu-fiction avec ses ficelles, comme le film des cadavres et
squelettes, exhumés sur fond de film de musique d’horreur dès l’introduction,
ou bien à d’autres moments, c’est une musique de série d’angoisse qui envahit l’espace
sonore.
Passe encore sur
les approximations historiques, les documents filmés non identifiés, les
interprétations des personnes interrogées, par exemple la théorie selon
laquelle l’étude des coups d’épée relèveraient d’une situation d’acharnement, là
où quelques années d’études de combat à l’arme blanche amènent à des
conclusions inverses pour qui connait la force d’un sabreur à cheval (1).
Passe les
ignorances sur le contexte de guerre européenne, passe sur les interprétations
fondamentales de la thèse sur la Vendée de Jean-Clément Martin, non utilisées,
alors que l’ancien directeur de l’IHRF, auteur d’un travail magistral sur la
Vendée et son invention est interrogé seulement sur des aspects factuels et en
tout dernier lieu sur l’interprétation des faits, là où tous les autres
historiens soutiennent de suite leur position, des positions différentes et le
plus souvent hostiles, développant longuement leur interprétation… Passe sur l’ignorance
de ce qu’est dans l’histoire longue des répressions, les formes de mises à sac
que des troupes militaires peuvent perpétrer sur des populations civiles comme
un fait connu, et hélas déjà bien intégrées par les populations de Provence,
des Cévennes dans la mémoire douloureuse des armées catholiques du roi
massacrant des sujets protestants de sa majesté, bien avant la Vendée. Passe
sur le feint étonnement de voir des ennemis traités de brigands et donc
pourchassés et exécutés lorsque pris les armes à la main… comme si les cours prévôtales
d’Ancien Régime et de la guerre des farines en 1775 et 1776 n’avaient pas connu
le terme de brigand. Passe sur l’incapacité à penser la spécificité des combats
entre militaires de lignes et population civiles révoltées qui, sous toute
latitude, conduit les premiers à une férocité disproportionnée parce qu’ils ne
reconnaissent pas aux seconds le statut de combattant, élément expliquant l’ensauvagement
des guerres civiles.
A ce propos,
passe aussi le long entretien demandé au spécialiste des guerres révolutionnaires,
Bernard Gainot dont tous les propos ont disparu (censuré ?) au montage. Il
avait osé comparer et montrer des parallèles entre la violence extrême des
soldats bleus, et la brutalité sans limite des soldats anglais au même moment
contre les patriotes irlandais, finissant par inquiéter leurs officiers
soucieux de voir se transformer en animaux féroces leurs soldats, selon les témoignages
de l’époque. Surement les propos de Bernard Gainot, maître de conférence
habilité à la direction de recherches, ne cadraient pas avec la volonté délibérée
de démontrer l’unicité du crime franco-français, hors de tout contexte de
guerre…
Passe l’ignorance
de Stéphane Courtois faisant preuve de sa demi-science en soutenant que le
concept de crime contre l’humanité avait été inventé en 1944. S’il connaissait
un tant soit peu l’an III et la réaction thermidorienne il saurait que les
contemporains eux mêmes et Cambon en particulier ont conscience de l’importance
de la violence qui vient de se déchaîner (qui le nie ?) et emploie déjà l’expression
dès l’automne 1794 (2).
La litanie peut être
longue. On arrête ici le démontage de la manipulation d’histoire et de la
transformation des faits au profit de deux thèses : il y eut génocide,
mieux « dépopulation » (ce n’est pas nous qui le disons, affirment
les concepteurs de l’émission, c’est Babeuf lui-même, donc on peut le dire après
lui, belle démonstration d’une imposture méthodologique : une fois, l’on
utilise les propos des révolutionnaires contre eux, une autre fois pour la
cause de la démonstration !!).
Deux point
cruciaux, car ils sont les structures invisibles de l’émission, retiennent l’attention
tant ils encadrent l’émission et constituent les deux bornes idéologiques sur
lesquelles se construisent les deux supercheries constitutives du message
matraqué pour la quatrième fois le 4 février.
Les deux
mensonges de l’émission
Le premier est répété
par S. Courtois, qui n’a jamais travaillé sur la Révolution française, et qui
comme tous les convertis à la cause adverse de ce qu’il a adoré dans sa
jeunesse, a fait son fonds de commerce de la détestation de tout ce qui est
resté un peu plus à gauche que lui dans le monde universitaire, sans partager
ses outrances de jeunesse. Comportement des plus banals. S. Courtois assène
donc qu’en France, il est impossible de critiquer la Révolution ! Il est
le premier historien à intervenir dans l’émission, l’un des derniers à donner
son avis final, alors qu’il n’a jamais travaillé sur la période. Son avis est
net. En France « on ne touche pas à la Révolution ». Dont acte. Mais
qu’à cela ne tienne dans cette émission, des journalistes courageux vont défaire
le mythe pour faire la lumière sur le génocide, ou pas ... La seconde posture
qui encadre le film est celle de R. Sécher qui soutient sans hésiter l’idée que
l’on tue deux fois la Vendée par l’opération du mémoricide. Selon le
polygraphe, on tue une seconde fois la Vendée en l’oubliant systématiquement,
en refusant d’en parler, en l’omettant sciemment des histoires. Ces deux faits énoncés
aux moments clés de l’émission constituent le principal piège du documentaire
qu’il faut avoir à l’esprit.
Pour cela, il
faut convoquer le livre de Pierre Vidal Naquet pour bien comprendre le fonds négationniste
de cette présentation historique et sa recette que le grand historien de la mémoire
assassinée et spécialiste des négateurs des chambres à gaz a construit. P.
Vidal Naquet explique la ruse du fonctionnement des négationnistes : il s’agit
de construire une fausseté que personne n’a jamais soutenue, pour, en la déconstruisant,
remettre en doute une autre vérité qui, elle, a été établie (3). Que font d’autres
S. Courtois et R. Sécher que d’utiliser ce procédé pour mettre en doute la
valeur de la Révolution et instiller l’idée d’une volonté politique et planifiée
de destruction d’une population ?
Première contre
vérité patente donc : en France on ne critique pas la Révolution , on n’y
touche pas…Mais dans quel monde vit S. Courtois ? Depuis le 15 juillet
1789, on n’a cessé de critiquer, vilipender, détester, démonter et blâmer la Révolution.
Depuis le 15 juillet 1789, dans ce pays, il y a au moins 10 % de la
population qui n’a jamais accepté la Révolution, ses principes, ses valeurs et
qui l’ont exprimé… parce que le nouveau régime leur en a donné le droit. Ils n’ont
cessé de s’exprimer, au mieux dans la meilleure tradition libérale des études
historiographiques, depuis Madame de Stael jusqu’à François Furet. La révolution
a été l’objet de critiques parfois fondées, acceptables , mais permanentes,
continues, à livres édités à des dizaines de milliers d’exemplaires. A qui fera–t-on
croire qu’en France « on ne touche pas la Révolution » ? C’est là
une contre vérité qui permet d’inventer un doute là où toute la verve anti et
contre révolutionnaire s’est toujours tranquillement exprimée. Et que l’on ne
prenne pas comme exemple la chaire d’histoire de la Révolution française que j’ai
l’honneur de diriger, comme exemple d’une volonté d’imposer un seul discours.
Elle a été explicitement fondée pour contrer Taine et Sorrel qui ne cessaient
de massacrer l’héritage de la Révolution en présentant une lecture univoque aux
jeunes élites de la France en 1880-1890 ! Comme dans le procédé négationniste,
disséqué par Vidal-Naquet, cette fausseté permet d’instiller l’idée que la République
cache quelque chose, une histoire monstrueuse , le crime de la Vendée et son
oubli.
Car c’est là le
second mensonge patenté soutenu par M. Sécher, l’idée du mémoricide qui
repose sur le même principe : on veut oublier donc on veut cacher le génocide.
La fable du mémoricide est donc construite. On aurait voulu occulter la Vendée.
Mais combien de centaines et de centaines, voire de milliers d’ouvrages ont été
écrits sur tous les épisodes sanglants de la Vendée depuis 1793 ? En
affirmant cette contre vérité patente, l’auteur du pamphlet invente une fable
avec tous les atours de la vérité pour instiller un autre mensonge, celui du génocide
caché par la République et ses universitaires. Mais où est passée dans cette émission
le travail de Jean-Clément Martin, certes interrogé mais point sur le fonds de
son travail. Cet historien est le fondateur d’une autre vérité, sur l’absence d’un
pouvoir au printemps 1793, capable de contrôler les troupes militaires, fin
observateur de la manipulation à Paris, par les différentes factions de la
violence désordonnée en Vendée pour s’imposer dans la capitale, en inventant
"la Vendée" (4) ? Ce n’est pas là un oubli des contemporains ni
des historiens mais au contraire une sur-présence de cette violence, de son récit,
de son traumatisme et de ses séquelles dans la mémoire de l’Ouest de la France
et de la république allant jusqu’à imaginer et nommer un espace qui n’existait
même pas en tant que tel avant la Vendée !! de tout cela rien. Ou plutôt
si avec l’aplomb des négationnistes connus dans d’autres champs : la
fausseté affirmée avec une certitude sans faille. Ne tombons pas dans le piège
de la surenchère. Ici, ce ne sont même pas des assassins de la mémoire, tout au
plus des trafiqueurs de l’histoire. C’est leur droit, ils ne poursuivent qu’une
longue généalogie de fossoyeurs des faits historiques, les fossoyeurs d’une
histoire complexe, nuancée, douloureuse mais faisant sens, de la république.
Les trafiquants du doute bricolent la montée de l’audimat… France 3 se prête à
ce jeu, et nombre de leurs lecteurs n’ont jamais constitué une minorité brimée…
Heureusement quelques historiens ont encore un peu de mémoire, la cultivent,
non pour raconter la fable rose ou le livre d’horreurs du passé, mais pour
comprendre et expliquer la violence outrancière des guerres civiles dans leur
contexte.
Pierre Serna,
directeur de l’Institut d’Histoire de la Révolution française.
(1) P Brioist, H
Drévillon , P Serna, Croiser le fer, culture et violence de l’épée dans
la France moderne XVI-XVIIIe siècle, Seyssel Champ vallon, 2002 réed. 2008
(2) « Cambon
à la séance du 3 frimaire an III affirme que « Carrier a participé à des
actes atroces exercés à Nantes, contre l’humanité », Moniteur XXII, p 595
(3) Pierre Vidal
Naquet, Les Assassins de la mémoire, « Un Eichmann de papier »
et autres essais sur le révisionnisme), 1981, Paris Maspéro.
(4) Depuis 1985,
et la parution au Seuil de La Vendée et la France, Jean-Clément Martin, auprès
d’un lectorat nombreux n’a jamais cessé de travailler sur la guerre de Vendée
et sa mémoire, renouvelant sans cesse ses travaux, ses analyses, offrant régulièrement
au public l’avancée des travaux les plus récents et fort nombreux sur la guerre
civile dans l’Ouest de la France
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire