Interviewé sur France Inter le 23 août, le ministre de l’Immigration a ainsi défendu le tour de vis sécuritaire annoncé par Nicolas Sarkozy : « C’est comme ça que s’est construite la Révolution. Ce qu’on appelait […] la sûreté, aujourd’hui on dirait la sécurité, c’était bien la loi qui protège, l’Etat qui protège les faibles, les opprimés et les plus fragiles, et c’est toujours le cas dans notre société. »
En établissant cette filiation, Eric Besson tente de démontrer que l’actuelle politique sécuritaire ne trahit pas les valeurs républicaines mais qu’au contraire, elle les garantit. Ainsi présentées, les lois sur la sécurité annoncées cet été par Nicolas Sarkozy seraient même fidèles à l’esprit de la Révolution française, puisque selon Eric Besson, ces lois rappellent que le premier devoir de l’Etat est de protéger les citoyens les plus vulnérables.
Il est pourtant impossible d’amalgamer la notion de « sûreté », telle qu’on l’employait au XVIIIe siècle et celle de « sécurité », telle qu’on l’entend aujourd’hui. En 1789, une des premières urgences des révolutionnaires était d’éliminer les atteintes à la liberté individuelle : les arrestations décidées de manière arbitraire étaient devenues les marques les plus honnies du despotisme monarchique.
Dès le 26 août, la sûreté est ainsi inscrite dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen comme un des droits naturels et imprescriptibles (art. 2). Inspirée de l’exemple anglais (l’Habeas corpus de 1679 interdit d’être emprisonné sans jugement) puis popularisée par les penseurs des Lumières, la notion de sûreté individuelle est alors définie comme la garantie qu’a toute personne de ne pas être détenue arbitrairement, mais selon les formes et conditions prévues par la loi.
La défense de la « sûreté » des personnes, qui vise à protéger les individus contre l’arbitraire de l’Etat, n’a donc rien à voir avec la notion de « sécurité » telle que l’emploie Eric Besson. Le terme de « sécurité » ne s’est imposé que depuis les années 1980 pour désigner le droit à être protégé des violences civiles. Ainsi associé au maintien de l’ordre public, il se rapproche davantage de ce qu’au Siècle des lumières, on nommait « tranquillité publique » ou encore « sûreté générale ». Mais, surtout depuis la loi du 18 mars 2003 sur la sécurité intérieure, ce droit est désormais compris dans son sens le plus restrictif : le devoir de l’Etat est de protéger les citoyens et leurs biens contre les délinquants, quitte à menacer la sûreté des personnes (fouilles, contrôles d’identité, fichage ADN…). En assimilant la sécurité à la protection des droits fondamentaux de l’homme, Eric Besson ne fait ainsi que reprendre une stratégie électoraliste déjà tentée par le garde des Sceaux Alain Peyrefitte, qui affirmait en 1980 devant la montée de la gauche : « La sécurité est la première des libertés . »
Guillaume Mazeau, maître de conférences à l’Institut d’histoire de la Révolution française, est membre du Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire (Cvuh)
(article publié dans Libération du 1er septembre 2010 sous le titre « La sécurité de Sarkozy n’est pas la sûreté de la Révolution »).
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