Le Manifeste du CVUH

jeudi 17 avril 2008

Un Musée pour l’histoire de France ? par Denis Woronoff


Monsieur Lemoine, conservateur du Patrimoine aux Invalides, vient de remettre aux ministres de la Culture et de la Défense un rapport « pour la création d’un centre de recherche et de collections permanentes dédié à l’histoire civile et militaire de la France ». Ce projet mérite attention et débat. Il ouvre en effet des pistes ; il en brouille aussi… Le point de départ - la lettre de mission - peut susciter l’étonnement et la réticence de la communauté des historiens. D’abord, à l’égard de l’origine de la démarche. Il ne s’agit pas vraiment de « l’Etat » (Les instances qui devraient être concernées, Education nationale, Culture et Recherche sauvent à peine les apparences) mais du « chef de l’Etat ». On est obligé de dire que les initiatives « mémorielles » de celui-ci ont largement inquiété et même mobilisé les historiens de tous les ordres d’enseignement et de recherche. Un « Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire », créé il y a trois ans en réaction contre la loi qui proclamait « l’œuvre positive de la colonisation », a dû ces derniers mois manifester sans cesse son opposition, courant en quelque sorte derrière les interventions répétées des pouvoirs publics. L’actuel chef de l’Etat n’est ni le premier ni le seul à agir ainsi, mais il en a fait presque une pratique de gouvernement. On aimerait ne pas avoir à sourire d’une phrase du rapport : « Il est donc temps pour l’Etat de favoriser le retour d’une approche historienne de l’histoire ». Il est à craindre qu’il ne s’agisse pas de cela. Quant à la « crise identitaire » que la « Maison d’histoire » est sensée guérir, il conviendrait d’en prendre l’exacte mesure. Ainsi, des tensions s’aggravent incontestablement entre la régionalisation accélérée et le toujours plus d’Europe. L’Etat-Nation en deviendra-t-il pour autant exsangue ? Doit-il refonder sa légitimité ? L’à peu près règne dans ce qui devrait bénéficier d’analyses minutieuses. Cette « crise » rappelle beaucoup le discours du « déclin ». Même idéologie, même aptitude à faire passer une prophétie pour un diagnostic. D’autre part, l’objet de cette entreprise est ambigu. S’agit-il de donner des matériaux et du sens à l’éducation civique ou bien, plus ambitieusement, de construire une histoire démonstrative de la France, sous le patronage un peu erratique de Braudel ? Le titre proposé pour la nouvelle institution complique encore la démarche. La « Maison de l’histoire » ne peut avoir de lieu : elle se trouve partout où travaillent les historiens, enseignants-chercheurs et conservateurs du patrimoine. Surtout, la notion d’histoire civile et militaire est étrange. S’il s’agit de définir une totalité, pourquoi pas citadins et ruraux, croyants et incroyants, gens d’ici et gens d’ailleurs etc. C’est ajouter de façon cocasse l’improbable « histoire civile » à la bien réelle histoire militaire. On sent d’ailleurs dans le rapport l’effort pour se débarrasser de cette formulation bizarre.
Quittons les intentions pour les appréciations et les perspectives. Comment ne pas adhérer aux remarques équilibrées du rapport sur le tout mémoriel et les ravages qu’il provoque ? L’histoire comme science rigoureuse sinon exacte doit être en effet réhabilitée. Est-ce le rôle de l’Etat ? Est-ce par l’intermédiaire d’un Musée-centre de recherche ? Cela est discutable. A nouveau, le rapport prend ses distances. Il semble vouloir limiter raisonnablement la fonction du centre à celle de confluence de recherches. Un musée de l’histoire de France, pourquoi pas ? En dépit de l’existence du Mémorial de Caen, de l’Historial de Péronne, et maintenant de celui des Invalides, sans compter le musée national du Moyen Age, le musée de la Révolution française et bien d’autres institutions, il n’est pas inutile de ramasser en un seul lieu la trame de l’histoire nationale. La chronologie doit être l’axe principal. Comment pourrait-il en être autrement ? Sur ce point, il serait bon que cesse la confusion polémique entre « la perte des cadres de références » dans la société française contemporaine et le soi-disant rejet de la chronologie dans l’historiographie contemporaine. Il s’agit simplement de choisir des repères qui proposent (et non imposent) des périodisations. Certes, la succession des dynasties et des régimes est la première approche de cette construction de la France. Mais, poser des jalons pour organiser la compréhension de l’événement n’interdit pas de relativiser et d’enrichir la déclinaison des formes politiques ainsi recensées. De même, du Traité de Verdun à la bataille de Verdun, de Bouvines à Valmy, du Traité de Troyes à celui de d’Evian, on pourrait scander une histoire militaire et diplomatique qui a évidemment besoin de ce cadre pour être accessible à tous. Ces moments-clés ne devraient pas tenir lieu d’évidences mais, comme l’a si bien fait Duby, être soumis au regard critique de l’histoire. De toute façon, ils ne sauraient suffire. Puisque le rapport se recommande à plusieurs reprises de l’Ecole des Annales, suggérons de relire les quatre tomes de l’Histoire de France (L’espace françaisL’Etat et les pouvoirsL’Etat et les conflitsLes formes de la culture) publiés en 1989-1993 au Seuil. On y verra les temporalités différentes, ajustées ou contradictoires entre elles, qui nourrissent cette histoire. A revoir aussi, l’introduction de Georges Bertrand à l’Histoire rurale de la France. Le temps des paysages n’est pas celui du politique pas plus que l’unification linguistique du territoire ne suit les rythmes de la vie du pouvoir central. Autrement dit, l’histoire-batailles est nécessaire mais, seule, elle tend à travestir, dans un récit tour à tour exaltant et consolant, la réalité des choses. Ce musée imaginé devrait proposer plusieurs lectures, toujours critiques. Par exemple, montrer l’apport immense de l’archéologie métropolitaine à la connaissance des temps obscurs, tout comme l’instrumentalisation de cette science par Napoléon III, au sujet d’Alésia. Penser en termes d’échelles et de dynamiques. Voir les Frances dans la France, comme la fameuse ligne Saint-Malo - Genève et d’autres divisions évolutives.

Pourquoi aux Invalides ? Peut-être ne faut-il pas chercher dans ce projet plus qu’une manière habile de procéder à des économies d’échelles. Sinon, on revient à cette dialectique désolante du militaire et du civil. La première réaction du lecteur est de se demander pourquoi cette grande idée n’a pas été plutôt confiée au Musée « A toutes les gloires de France » de Versailles et au Musée de l’histoire de France des Archives nationales. Faute de collections suffisantes ? Il est vrai que le site retenu dispose, pour le XVII° siècle, d’une partie de l’ensemble des plans-reliefs et, pour le XX° siècle, du beau fonds d’images de la BDIC et du trésor de l’Institut des archives sonores, indépendamment du Musée de l’armée. Reste que les collections disponibles aux Invalides ne semblent pas en état de répondre seules au nouvel esprit des lieux. Enfin, s’il est normal de s’inspirer des musées d’histoire nationale qui existent à l’étranger, il serait précieux d’aller chercher des expériences plus proches et plus modestes, celle des services éducatifs des archives nationales et départementales. Sans beaucoup de moyens et de bruit, ces collègues œuvrent pour offrir au plus grand nombre une vision précise et non pas fantasmatique de l’histoire du pays.



Denis Woronoff, historien.


Le rapport est consultable sur le site de la Documentation française :http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/084000137/

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