Le Manifeste du CVUH

vendredi 18 avril 2008

Livre paru aux Editions Agone le 18 avril Comment Nicolas Sarkozy écrit l’histoire de France Sous la direction de Laurence De Cock – Fanny Madeline - Nicolas Offenstadt – Sophie Wahnich


Guy Môquet, Jaurès, les colonies, et tant d’autres… Nicolas Sarkozy en campagne, puis au début de son mandat, n’a cessé d’utiliser et de brandir des références historiques.
Cet usage immodéré a mobilisé autant de mises en scène grandiloquentes que de discours de filiation destinés à dessiner les contours d’une France mythique du candidat puis du président. Comment voir clair dans tous ces personnages et événements sans cesse mélangés et associés les uns aux autres en dehors de tout contexte ? Comment comprendre le brouillage de références qui empruntent autant aux grandes figures de la gauche qu’à celles de la droite ? Quels sont les enjeux et les effets politiques de telles constructions ?

Une vingtaine d’historiens ont disséqué les usages que fait de l’histoire Nicolas Sarkozy, pour permettre de saisir les mécaniques à l’œuvre dans cette vaste entreprise de reconstruction d’un roman national. Sous la forme d’un dictionnaire, un véritable parcours critique dans l’histoire de France revue et corrigée par une droite qui entend refabriquer de l’« identité nationale »…


Sommaire

Affaire Dreyfus, par Thomas Loué 
Afrique, par Laurence de Cock 
Maurice Barrès, par Gérard Noiriel 
Marc Bloch, par Gérard Noiriel 
Léon Blum, par Gérard Noiriel 
Cascade du bois de Boulogne, par Jean-Marie Guillon 
Charlemagne, par Fanny Madeline 
Choc des civilisations, par Françoise Micheau 
Georges Clemenceau, par Nicolas Offenstadt 
Communautarisme, par Éric Soriano 
La Commune, par Olivier Le Trocquer 
Condorcet, par Yannick Bosc 
Croisades, par Françoise Micheau 
De Gaulle, Sarkozy : une drôle d’histoire, par Annie Collovald 
Édit de Nantes, par Jérémie Foa 
Esclavage dans les colonies françaises, par Éric Mesnard 
État capétien, par Yann Potin 
Féodalités, par Fanny Madeline 
Jules Ferry, par Olivier Le Trocquer 
Fille aînée de l’Église, par Fanny Madeline & Yann Potin 
Fin de l’histoire, par Michèle Riot-Sarcey 
La « France éternelle », un paysage de campagne ?, par Pierre Schill 
Glières, par Jean-Marie Guillon 
Victor Hugo, par Sylvie Aprile 
Jean Jaurès, par Blaise Wilfert-Portal 
Jeanne d’Arc, par Nicolas Offenstadt 
Claude Lévi-Strauss, par Éric Soriano 
Litanie, par Laurence de Cock 
Lumières, par Sophie Wahnich 
Lutte des classes, par Éric Soriano 
Lyautey, par Catherine Coquery-Vidrovitch 
Mai 68, ou L’actualité de la mémoire, par Michèle Riot-Sarcey & Thierry Aprile 
Georges Mandel, par Jean-Marie Guillon 
Guy Môquet, par Pierre Schill 
Jean Moulin, par Michel Fratissier 
Napoléon Bonaparte, par Marc Belissa 
Napoléon IIIpar Olivier Le Trocquer 
Passé colonial, par Gilles Manceron 
Pavillon de la lanterne, par Yann Potin 
Repentance, par Sandrine Lefranc 
Résistance, par Jean-Marie Guillon 
Rêve, par Laurence de Cock 
Révolution française, révolution, par Sophie Wahnich 
Révolution française, ses « grands hommes », par Marc Belissa 
Rois de France, par Fanny Madeline 
La Terreur, terreur, par Sophie Wahnich 
Totalitarisme(s), par Sonia Combe 
Verdun, par Nicolas Offenstadt 
Vichy, par Jean-Marie Guillon


Editions Agone, collection Passé & présent, avril 2008, 208 pages, 15 euros.
ISBN : 978-2-7489-0093-4

jeudi 17 avril 2008

Une maison de l’histoire qui met les morts en danger par Sophie Wahnich


Marie Antoinette au Grand Palais, les Parisiens d’André Zucca, à la bibliothèque historique de la ville de Paris, un musée d’histoire nationale en gestation pour les Invalides. Apparemment ce sont là trois faits singuliers, je crois qu’il n’est pas inintéressant de les mettre en relation.
L’exposition sur Marie Antoinette est construite comme un conte de fée, il était une fois une princesse parée de nombreuse vertus et promise à l’héritier du trône de France, elle l’épousa et en mourut. Le récit de cette exposition est totalement anhistorique. Le visiteur ne saura rien sur les alliances matrimoniales comme politique des monarchies de l’époque moderne, quand la princesse est encore à la cour d’Autriche. Il ne saura rien des transformations sociales et culturelles de la période des Lumières, des effets qu’elles peuvent avoir sur la cour, et toujours rien sur la politique menée par le roi ou par la reine. Enfin, il ne saura rien de la Révolution française, puisque les objets et caricatures de la période révolutionnaire sont commentés par les lettres de Marie Antoinette, encore confiante sur un dénouement heureux de la crise, à savoir restaurateur, au duc de Fersen. L’opéra des décors en trois actes est bien pauvre, et aucune musique ne vient ici rendre sensible et racheter le (non) sens de cette vie. Même la mort de Marie Antoinette n’est reliée à aucun discours du moment. Pourtant les révolutionnaires eux-mêmes ont produit des mélodrames mis en musique sur cette vie de reine déchue. Touchés qu’ils étaient par le devoir de faire mourir cette femme pour des raisons politiques alors qu’un sentiment commun d’humanité conduisait à la plaindre du même mouvement. Si Marie Antoinette a un quelconque intérêt pour des héritiers républicains, c’est dans ce conflit d’intolérables, une femme a trahi et elle est pourtant touchante. La politique est morale, mais elle laisse un goût de cendres. Victor Hugo traitait du même conflit de sentiments politiques dans 1793. Mais ici, même l’enquête du spectacle de Robert Hossein qui visait à permettre au spectateur de répondre si oui ou non Marie Antoinette était condamnable, a disparu. Il ne s’agit plus de réfléchir, même sur son propre sens commun. Le parti pris est celui d’un manichéisme niais, l’apitoiement est la seule émotion convoquée, un apitoiement simplet, très loin des sentiments complexes de cette période raffinée. Comme dans un vieux château de la ci-devant aristocratie, le visiteur doit admirer la délicatesse d’une caste et de son décor et déplorer le vandalisme révolutionnaire sans jamais se poser une seule question historique, ne serait-ce qu’un classique pourquoi ? Une amorce de réflexion sur le rôle des images entoure ce flot de tableaux souvent peu réussis et recommencés pour cette raison même, mais on passe très vite à autre chose de désuet et, symptôme de notre temps, qui ravit le public.
Même ravissement à la bibliothèque historique de la ville de Paris. Paris se croit toujours Paris, même sous l’occupation dont on ne souffle mot. Pas de commentaires, admirez l’art et la technique, et circulez. Aucune complexité de l’histoire, aucune interrogation sur ce que dit cette collection, sur la difficulté à manier l’héritage. Ici aussi l’histoire pourtant beaucoup plus proche et sulfureuse est en état d’apesanteur esthétique. Aucune analyse de la séduction d’une propagande efficace. Les lumières des ciels bleus peuvent faire oublier la noirceur des temps. On pourrait considérer que l’ensemble peut travailler comme dénonciation implicite, mais c’est faire fi du travail critique qu’appelle tout travail de propagande cinématographique ou photographique. Le point de vue reste séducteur surtout si le preneur de vue est bon et même doué de qualités artistiques. Cette analyse critique des sources photographiques est désormais le pain quotidien pour tout étudiant qui travaille sur de telles sources. Mais ici il ne s’agit pas d’étudier, ou de réfléchir sur une époque et un point de vue, mais bien de jouir en curieux, en badaud d’une exposition d’images réussies sur une ville magnifique peuplée de femmes et d’hommes élégants.
Un rapport mis à disposition du public le 15 avril, le rapport Lemoine, examine la nécessité de créer aux Invalides un musée d’histoire nationale civile et militaire. Il prétend reprendre à bras le corps une histoire délaissée celle de la constitution de la nation qui repose nous dit-on autant sur des inclusions que sur des exclusions. Certes. Mais quels choix sont faits. Est ce Sieyès qui affirme dans Qu’est-ce que le Tiers Etat qu’en ôtant l’ordre privilégié de la noblesse, la « nation ne serait pas quelque chose de moins mais quelque chose de plus. » Marie Antoinette serait ainsi une exposition négatrice de cette conception de la Nation. Les crimes commis par l’occupation allemande et sous l’occupation allemande sont des crimes que les révolutionnaires auraient qualifiés de lèse nation et de lèse humanité. L’exposition sur les photos de Zucca n’explicitent aucune de ces atteintes à la Nation. Mais le musée de l’histoire nationale civile et militaire qui prétendrait être une maison de l’histoire comme à Budapest il y a une maison des terreurs, ne prétend nullement abriter cette conception de l’histoire. Non ici il s’agit de conforter une autre nation, pas 1789, mais 732, la bataille de Poitiers qui arrête l’invasion arabe. Pas 1789 qui affirme la liberté de culte dans la déclaration des droits mais « 1685 la révocation de l’édit de Nantes qui confirme la tendance longue dans l’histoire de France au « choix de Rome » contre notamment les protestants » (p.15 du rapport). Pas 1789 qui affirme la souveraineté nationale qui est alors du même mouvement une souveraineté populaire mais « 1871, la répression de la commune de Paris qui fonde la possibilité d’une république bourgeoise sur l’écrasement d’une « révolution populaire ». Comme pouvait l’évoquer Walter Benjamin dans ses thèses sur le concept d’histoire, les morts aussi peuvent être en danger.

Nous en sommes là. 


Sophie Wahnich

Un Musée pour l’histoire de France ? par Denis Woronoff


Monsieur Lemoine, conservateur du Patrimoine aux Invalides, vient de remettre aux ministres de la Culture et de la Défense un rapport « pour la création d’un centre de recherche et de collections permanentes dédié à l’histoire civile et militaire de la France ». Ce projet mérite attention et débat. Il ouvre en effet des pistes ; il en brouille aussi… Le point de départ - la lettre de mission - peut susciter l’étonnement et la réticence de la communauté des historiens. D’abord, à l’égard de l’origine de la démarche. Il ne s’agit pas vraiment de « l’Etat » (Les instances qui devraient être concernées, Education nationale, Culture et Recherche sauvent à peine les apparences) mais du « chef de l’Etat ». On est obligé de dire que les initiatives « mémorielles » de celui-ci ont largement inquiété et même mobilisé les historiens de tous les ordres d’enseignement et de recherche. Un « Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire », créé il y a trois ans en réaction contre la loi qui proclamait « l’œuvre positive de la colonisation », a dû ces derniers mois manifester sans cesse son opposition, courant en quelque sorte derrière les interventions répétées des pouvoirs publics. L’actuel chef de l’Etat n’est ni le premier ni le seul à agir ainsi, mais il en a fait presque une pratique de gouvernement. On aimerait ne pas avoir à sourire d’une phrase du rapport : « Il est donc temps pour l’Etat de favoriser le retour d’une approche historienne de l’histoire ». Il est à craindre qu’il ne s’agisse pas de cela. Quant à la « crise identitaire » que la « Maison d’histoire » est sensée guérir, il conviendrait d’en prendre l’exacte mesure. Ainsi, des tensions s’aggravent incontestablement entre la régionalisation accélérée et le toujours plus d’Europe. L’Etat-Nation en deviendra-t-il pour autant exsangue ? Doit-il refonder sa légitimité ? L’à peu près règne dans ce qui devrait bénéficier d’analyses minutieuses. Cette « crise » rappelle beaucoup le discours du « déclin ». Même idéologie, même aptitude à faire passer une prophétie pour un diagnostic. D’autre part, l’objet de cette entreprise est ambigu. S’agit-il de donner des matériaux et du sens à l’éducation civique ou bien, plus ambitieusement, de construire une histoire démonstrative de la France, sous le patronage un peu erratique de Braudel ? Le titre proposé pour la nouvelle institution complique encore la démarche. La « Maison de l’histoire » ne peut avoir de lieu : elle se trouve partout où travaillent les historiens, enseignants-chercheurs et conservateurs du patrimoine. Surtout, la notion d’histoire civile et militaire est étrange. S’il s’agit de définir une totalité, pourquoi pas citadins et ruraux, croyants et incroyants, gens d’ici et gens d’ailleurs etc. C’est ajouter de façon cocasse l’improbable « histoire civile » à la bien réelle histoire militaire. On sent d’ailleurs dans le rapport l’effort pour se débarrasser de cette formulation bizarre.
Quittons les intentions pour les appréciations et les perspectives. Comment ne pas adhérer aux remarques équilibrées du rapport sur le tout mémoriel et les ravages qu’il provoque ? L’histoire comme science rigoureuse sinon exacte doit être en effet réhabilitée. Est-ce le rôle de l’Etat ? Est-ce par l’intermédiaire d’un Musée-centre de recherche ? Cela est discutable. A nouveau, le rapport prend ses distances. Il semble vouloir limiter raisonnablement la fonction du centre à celle de confluence de recherches. Un musée de l’histoire de France, pourquoi pas ? En dépit de l’existence du Mémorial de Caen, de l’Historial de Péronne, et maintenant de celui des Invalides, sans compter le musée national du Moyen Age, le musée de la Révolution française et bien d’autres institutions, il n’est pas inutile de ramasser en un seul lieu la trame de l’histoire nationale. La chronologie doit être l’axe principal. Comment pourrait-il en être autrement ? Sur ce point, il serait bon que cesse la confusion polémique entre « la perte des cadres de références » dans la société française contemporaine et le soi-disant rejet de la chronologie dans l’historiographie contemporaine. Il s’agit simplement de choisir des repères qui proposent (et non imposent) des périodisations. Certes, la succession des dynasties et des régimes est la première approche de cette construction de la France. Mais, poser des jalons pour organiser la compréhension de l’événement n’interdit pas de relativiser et d’enrichir la déclinaison des formes politiques ainsi recensées. De même, du Traité de Verdun à la bataille de Verdun, de Bouvines à Valmy, du Traité de Troyes à celui de d’Evian, on pourrait scander une histoire militaire et diplomatique qui a évidemment besoin de ce cadre pour être accessible à tous. Ces moments-clés ne devraient pas tenir lieu d’évidences mais, comme l’a si bien fait Duby, être soumis au regard critique de l’histoire. De toute façon, ils ne sauraient suffire. Puisque le rapport se recommande à plusieurs reprises de l’Ecole des Annales, suggérons de relire les quatre tomes de l’Histoire de France (L’espace françaisL’Etat et les pouvoirsL’Etat et les conflitsLes formes de la culture) publiés en 1989-1993 au Seuil. On y verra les temporalités différentes, ajustées ou contradictoires entre elles, qui nourrissent cette histoire. A revoir aussi, l’introduction de Georges Bertrand à l’Histoire rurale de la France. Le temps des paysages n’est pas celui du politique pas plus que l’unification linguistique du territoire ne suit les rythmes de la vie du pouvoir central. Autrement dit, l’histoire-batailles est nécessaire mais, seule, elle tend à travestir, dans un récit tour à tour exaltant et consolant, la réalité des choses. Ce musée imaginé devrait proposer plusieurs lectures, toujours critiques. Par exemple, montrer l’apport immense de l’archéologie métropolitaine à la connaissance des temps obscurs, tout comme l’instrumentalisation de cette science par Napoléon III, au sujet d’Alésia. Penser en termes d’échelles et de dynamiques. Voir les Frances dans la France, comme la fameuse ligne Saint-Malo - Genève et d’autres divisions évolutives.

Pourquoi aux Invalides ? Peut-être ne faut-il pas chercher dans ce projet plus qu’une manière habile de procéder à des économies d’échelles. Sinon, on revient à cette dialectique désolante du militaire et du civil. La première réaction du lecteur est de se demander pourquoi cette grande idée n’a pas été plutôt confiée au Musée « A toutes les gloires de France » de Versailles et au Musée de l’histoire de France des Archives nationales. Faute de collections suffisantes ? Il est vrai que le site retenu dispose, pour le XVII° siècle, d’une partie de l’ensemble des plans-reliefs et, pour le XX° siècle, du beau fonds d’images de la BDIC et du trésor de l’Institut des archives sonores, indépendamment du Musée de l’armée. Reste que les collections disponibles aux Invalides ne semblent pas en état de répondre seules au nouvel esprit des lieux. Enfin, s’il est normal de s’inspirer des musées d’histoire nationale qui existent à l’étranger, il serait précieux d’aller chercher des expériences plus proches et plus modestes, celle des services éducatifs des archives nationales et départementales. Sans beaucoup de moyens et de bruit, ces collègues œuvrent pour offrir au plus grand nombre une vision précise et non pas fantasmatique de l’histoire du pays.



Denis Woronoff, historien.


Le rapport est consultable sur le site de la Documentation française :http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/084000137/

mercredi 16 avril 2008

Réponse au projet de loi qui sera soumis au vote de l’Assemblée Nationale le 29 avril prochain A propos des Archives publiques par Sonia Combe


Les lois qui régissent l’accès aux archives publiques constituent l’un des indicateurs les plus fiables du degré de démocratie qui règne dans un pays. Rappelant que la loi du 7 messidor an 2 (1794) avait fait des archives un bien public et ouvert leur consultation à tous les citoyens, le CVUH constate :
De même que la loi du 3 janvier 1979 avait, sous couvert de raccourcir les délais de communication, retardé de 10 ans l’accès aux archives de la période de Vichy, aujourd’hui le projet de loi repousse de 15 ans encore l’accès aux archives de la guerre d’Algérie. Cette catégorie d’archives sera en effet soumise à un délai de 75 ans, alors que le délai actuel est de 60 ans. Ainsi, pour avoir un libre accès à tous les documents publics concernant la guerre d’Algérie, il faudra attendre 2037 (1). Qui plus est, l’article L 213-2-II crée une nouvelle catégorie d’archives incommunicables au nom de la « sécurité nationale » ou de la « sécurité des personnes ».
On s’interroge alors sur les points suivants :

1. Qu’entend le législateur par des « archives publiques dont la communication porterait atteinte à la « sécurité des personnes » ? Pourquoi ne pas avoir suivi les recommandations du conseiller d’Etat, Guy Braibant, émises dans son rapport au Premier ministre en 1996, afin d’éviter l’utilisation abusive de la notion de vie privée étendue aux actes commis dans l’exercice des fonctions ou sous l’uniforme ?
2. Pourquoi perpétuer le système de dérogations, pratique dont Guy Braibant soulignait le risque d’écriture d’une histoire échappant au contrôle des sources par des personnes travaillant sur le même sujet de recherche ?

Par ailleurs, le CVUH s’inquiète sur les moyens qui seront alloués aux Archives nationales afin qu’elles puissent collecter, traiter et rendre accessibles les documents publics, alors qu’on annonce le remplacement d’un seul départ à la retraite sur deux dans la fonction publique.

Du rapport de Guy Braibant n’aura finalement été retenu que le délai de 25 ans, substitué au délai trentenaire précédent, dont sont exclus de facto les documents permettant aujourd’hui de répondre au besoin de connaissance du passé national émanant de la société, qu’il s’agisse des pages sombres ou non de l’histoire. En conséquence, le CVUH estime que ce projet de loi aggrave les conditions actuelles d’accès aux archives et porte atteinte aux droits des citoyens. 


Sonia Combe



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Notes :

(1) 75 ans à partir de la date du document le plus récent, soit 1962, fin de la guerre d’Algérie

A propos du nouveau musée d’"histoire civile et militaire de la France" par le CVUH



Suite à une commande gouvernementale, le conservateur du patrimoine, M. Hervé Lemoine vient de présenter un projet de fondation d’un musée d’ « histoire civile et militaire de la France ». Arguant d’une France « malade de son histoire » qui serait en voie de « perdre son âme », ce musée, symboliquement situé aux Invalides, se propose d’un revenir au « socle factuel » matrice d’une « identité nationale », qui serait aujourd’hui mise en péril par les multiples intrusions mémorielles dans l’espace public. Tout l’argumentaire du rapport de M. Lemoine, sous couvert d’une démarche « critique », repose en réalité sur un retour à une histoire des grands hommes, jalons biographiques de la grandeur nationale. Pétri d’ethnocentrisme, ce projet muséographique ne fait que légitimer le repli identitaire sur lequel le gouvernement actuel cherche à construire son hégémonie. Il illustre une nostalgie pour l’époque où la principale fonction de l’enseignement de l’histoire était de servir l’Etat français. Les « citoyens vigilants » que nous sommes, et qui sont épinglés au passage dans ce rapport, ne peuvent que pointer les dangers de cette nouvelle tentative de patrimonialisation du passé qui s’inscrit dans la lignée d’une vision néo-conservatrice de l’histoire, et de son instrumentalisation pédagogique.


Le CVUH
Le rapport est consultable sur le site de la Documentation française :http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/084000137/

lundi 14 avril 2008

Journée d’études Histoire et mémoires d’esclavages et de leurs abolitions mercredi 7 mai - CNRS (Ivry)


Délégation Paris A
Service de la communication : Conceiçao Silva , conceiçao.silva@dr1.cnrs.fr
CNRS (Paris A), 27 rue Paul Bert 94 200 Ivry
Métro Pierre Curie ou Porte d’Ivry
PROGRAMME DE LA JOURNEE D’ETUDES DU MERCREDI 7 MAI 2008 : ENSEIGNER TRAITES, ESCLAVAGES ET ABOLITIONS A L’ECOLE, AU COLLEGE ET AU LYCEE

Matin (9h00-12h30)

9h00-9h15
-  Introduction de la journée par Joël Sürig, IENA du Val-de –Marne
9h15-10h30
-  Myriam Cottias EHESS : Les enjeux historiographiques et mémoriels
10h45-11h00
-  Eric Mesnard, IUFM-Paris12 : Enseigner l’histoire des traites, de l’esclavage et des abolitions à l’Ecole élémentaire
11h00-11h15
-  Kamel Chabane, professeur d’histoire et de géographie au collège Jean Perrin à Vitry : Enseigner l’histoire des traites, de l’esclavage et des abolitions au collège
11h15-11h30
-  Marie Albane de Suremain, IUFM-Paris12 : Enseigner l’histoire des traites, de l’esclavage et des abolitions au lycée
11h30-11h45
-  Geneviève Di Rosa, professeure de Lettres au lycée G. Apollinaire à Thiais /IUFM : Traites, esclavages et abolitions dans l’enseignement des Lettres
11h45-12h00
-  Thierry Aprile, IUFM-Paris 12 : Traites, esclavages et abolitions dans la littérature de jeunesse
12h00-12h30
-  Un(e) IPR (sous réserve) : conclusion des travaux de la matinée

Après-midi (14h00-16h00)

Des ateliers permettront des échanges d’expériences.
- Lycée : Marianne Boussuge qui fédère une équipe de professeurs autour de ces questions (Lycée Jacques Feyder d’Epinay)
Quentin Deluermoz, docteur en histoire du centre d’histoire sociale de Paris I, a enseigné au Lycée de Beaumont sur Oise où il a activement contribué à l’organisation des journées autour du 10 mai 2007. Il a organisé un jeu de rôle sur esclavagistes et abolitionnistes, en ECJS Education civique juridique et sociale (ECJS). Il sera intéressant de confronter cette approche avec les jeux de rôle proposés en histoire.
- Collège : Caroline Gauthiérot, professeur de Lettres au collège Jean Perrin à Vitry et Kamel Chabane, professeur d’histoire et de géographie au collège Jean Perrin à Vitry présenteront un projet interdisciplinaire (bande dessinée, textes littéraires, sources écrites et iconographiques).
- Ecole (cycle 3) : Sylvia Chartier, professeure des écoles / maître-formateur (école Charles de Gaulle à Mandres-les-Roses) présentera son travail sur l’articulation entre littérature et histoire
Fabienne Gallion, professeure des écoles (école Polangis à Joinville-le-Pont) présenteront leur travail sur l’articulation entre littérature et histoire.

Pour que nous puissions vous accueillir dans les meilleures conditions possibles, pourriez-vous avoir l’obligeance de vous inscrire auprès de Mme Silva, responsable de la communication au CNRS (délégation Paris A) avant le 5 mai 2008 ?
Vous préciserez si vous souhaitez prendre votre repas dans les locaux du CNRS et indiquerez l’atelier auquel vous souhaitez participer l’après-midi.
Par courrier : à l’attention de Mme Silva
CNRS (Paris A)
27, rue Paul Bert
94 204 Ivry Cedex
Par mail : conceiçao.silva@dr1.cnrs.fr

samedi 12 avril 2008

L’histoire bling-bling par Nicolas Offenstadt


La parution de Comment Nicolas Sarkozy écrit l’histoire de France. Dictionnaire critique (Agone, avril 2008) donne l’occasion de revenir sur les fondements du CVUH et sur le pourquoi d’un tel volume.
L’histoire, conçue comme l’étude du passé, n’est jamais restée dans les monastères. Les pouvoirs, même les plus républicains, en ont fait un large usage, qu’il s’agisse de tracer un récit qui leur faisait la part belle ou de fortifier le sentiment d’appartenance de leurs sujets ou de leurs citoyens. Les liens étroits entre les historiens républicains et les gouvernements de la IIIe République dépassent les affaires de réseau pour souligner les affinités entre le progrès par la raison démocratique et les croyances dans les vertus de la science positive, dans la méthode historienne pour contribuer à l’amélioration de la conscience publique. Il y a donc toujours eu des usages politiques de l’histoire, des usages publics de l’histoire, dont les commémorations sont l’aspect le plus visible. Ces commémorations dépassent aujourd’hui les grands moments du récit national pour saisir des dimensions plus conflictuelles, délicates, douloureuses ou spécifiques de l’histoire et de l’histoire de France en particulier. Il en est ainsi de l’esclavage et de ses abolitions : C’est une des premières cérémonies (10 mai 2007) à laquelle participa – silencieux pour une fois – le nouveau Président de la République Nicolas Sarkozy, en présence de l’ancien, Jacques Chirac.
A côté de l’histoire entendue comme une discipline et un savoir, il y a les mémoires qui charrient autant de passé, mais autrement : mémoires des communautés, des groupes, Harkis, pieds-noirs, anciens du FLN et tant d’autres... Des mémoires qui racontent leur propre passé, pleines de subjectivités, souvent de blessures. Pleines d’histoires aussi. Les historiens de métier n’ont en rien à s’opposer à ces mémoires. Elles peuvent devenir leur matériau de travail, susciter des interrogations originales, amener à des dialogues fructueux. Ils ont en revanche à rester vigilants sur les prétentions à la vérité historique qui s’expriment dans l’espace public. Non pas qu’ils détiennent la vérité. Les historiens du XXIe siècle n’ont plus cette croyance, qui avait sa noblesse. Ils savent que les faits n’existent pas dans l’absolu, qu’il ne suffit pas de se pencher dans les documents pour les ramasser tout prêts à être racontés. Ils savent le poids des mises en récit, des points de vue, de leur propre manière d’écrire et de raconter. Mais ils savent aussi que leur savoir-faire, leurs pratiques, le regard collectif des uns sur les autres amènent à des discours sur leur passé qui sont de la vérité de leur ordre, qui ont une certaine assurance, qui tendent à circonscrire ce qui a pu se passer.
Dès lors plusieurs choix s’offrent à eux. Soit garder pour soi ces résultats, c’est la politique de la tour d’ivoire de la science, difficile sans doute à justifier pleinement lorsqu’on vit dans une société qui vous salarie et qui demande à savoir. A l’opposé, on peut s’afficher expert, siéger dans les commissions officielles, commenter pour donner un avis autorisé, bref servir d’historien organique, partager avec le pouvoir les mêmes mots et les mêmes questions. Il n’est pas sûr que ni la science, ni la réflexion critique y gagne beaucoup. Les questions de l’historien ne sont pas celles des gouvernants. On peut enfin, c’est par exemple la position du Comité de vigilance sur les usages publics de l’histoire, proposer un dialogue critique entre les « savants » et les « profanes », proposer que les connaissances acquises dans le monde savant soient discutées dans l’espace public, aider les citoyens à se forger leur propre avis sur le passé, donner des outils à chacun pour lire les usages du passé avec la distance qu’il sied, avec les instruments critiques qui permettent de voir clair, ou de prendre position si besoin est.
Cette vigilance critique s’impose particulièrement aujourd’hui où le passé national est sans cesse mis à contribution par le Président de la République. Le Président Bling-Bling fait en effet de l’histoire bling-bling, clinquante, voyante, pas bien profonde. L’histoire bling-bling a un sens (le national), une direction (des Gaulois à Sarkozy) et une volonté (pas de repentance).
Cette histoire bling-bling se marque d’abord par des mises en scène dans des lieux choisis comme symboliques de combats valorisants ou de la mémoire nationale : Verdun, le maquis des Glières (juste avant le second tour des Présidentielles, le 4 mai 2007) puis après le difficile second tour des municipales le 18 mars 2008), la cascade du Bois de Boulogne (Nicolas Sarkozy se rend dans ce lieu où des résistants furent fusillés le jour de son investiture le 16 mai), sans que rien ne justifie particulièrement la présence présidentielle.
L’histoire bling-bling c’est ensuite le grand mélange où tout s’entrechoque comme dans une boîte de nuit où les néons tournent à plein : des grands noms (Jaurès ou Jeanne d’Arc), des grands événements (les Croisades ou la Seconde Guerre mondiale), le tout mélangé sans hiérarchie, sans contexte, sans souci d’explicitation. Evidemment les enjeux sont là politiques, bâtir de l’unanimité, comme un parti unique de la mémoire nationale, faire comme si les clivages n’existaient plus, comme si l’histoire n’était pas le fruit de tensions, sujettes à interprétations difficiles, incertaines parfois.
L’histoire bling-bling est, on s’en doute, une histoire pipole. Les grandes figures sont valorisées, louées, mises en scène. Guy Môquet le premier, qui fut transformé en icône nationale chargée de valeurs, plus ou moins consensuelles, hors de tout contexte historique, de tout effort de compréhension de ses engagements propres. La mort du dernier poilu, Lazare Ponticelli a fait l’objet d’une mise en scène grandiloquente et militarisée, édulcorant le personnage, sans souci de transformer le moment en réflexion civique.
L’histoire bling-bling, c’est enfin une histoire dont les discours s’effacent aussi vite qu’ils sont apparus, un présent dévorant d’icônes et de flashs. Il n’y aura plus de singularisation de Guy Môquet l’année prochaine, mais un hommage aux jeunes de la résistance... de même, aussitôt annoncé le projet de parrainage d’un enfant victime de la Shoah par un élève du primaire est déjà abandonné en tant que tel.

L’histoire bling-bling est une histoire de consommateurs, pas une histoire de citoyens. L’histoire bling-bling brille mais n’éclaire pas. L’adhésion contre la réflexion.


Nicolas Offenstadt
Nota : ce texte, ici revu, ouvre l’édition « Usages et mésusages » de l’histoire sur le site deMediapart (www.mediapart.fr)

mercredi 9 avril 2008

La Fourberie de Clisthène : Sarkozy et Georges Mandel par Nicolas Offenstadt





Dans un petit livre, difficile à trouver, Adrien Le Bihan s’est amusé à analyser dans le détail le Georges Mandel écrit par Nicolas Sarkozy et publié chez Grasset en 1994. Comme on pouvait s’y attendre le bilan est accablant. Outre la rhétorique ampoulée, les remarques grandiloquentes sur le « destin » du grand homme, le fond est déplorable, bourré de faiblesses ou d’erreurs historiques. Sans compter les emprunts indélicats aux autres biographes de Mandel. On pourrait trouver l’exercice de Le Bihan un peu positiviste, quand on sait que les biographies écrites par les hommes politiques ont rarement pour objectif de renverser les méthodes d’écriture de l’histoire ou de faire jaillir de nouvelles archives mais qu’elles s’inscrivent dans un temps politique fait de bien d’autres enjeux. On peut aussi ne pas partager la révérence de Le Bihan à l’égard d’autres travaux évoqués. Il n’empêche, le Président de la République ayant proclamé, « J’ai changé quand j’ai rencontré Mandel » (Janvier 2007), la question est moins secondaire qu’il n’y paraît et La Fourberie de Clisthène discute avec précision et références des torsions historiques et méthodologiques du Georges Mandel de Sarkozy.



Nicolas Offenstadt


• Adrien Le Bihan, La Fourberie de Clisthène. Procès du biographe élyséen de Georges Mandel, Espelette, Cherche-Bruit, 2008, 98 p. 10 €
• Voir aussi la notice « Georges Mandel » par Jean-Marie Guillon, in L. De Cock et alii, Comment Nicolas Sarkozy écrit l’histoire de France. Dictionnaire critique, Agone, 2008.