Le Manifeste du CVUH

vendredi 7 mars 2008

Quel hommage pour quel poilu ? Réponses à Ivan Levaï par Nicolas Offenstadt


De « grandiloquentes funérailles ». Dans Le Monde du 16/17 mars, Francis Gouge et Benoît Hopquin soulignent la pompe prévue pour l’hommage au dernier poilu demain lundi 17 mars et rappelle en miroir le rejet par Lazare Ponticelli de ce genre de cérémonie (« le vieux Monsieur aurait-il aimé voir ça ? »). Interrogé par Benoît Hopquin, j’ai donné mon point de vue, qu’il a – c’est le jeu – rendu en résumé : « C’est une cérémonie d’adhésion, de glorification, plutôt qu’un moment de réflexion, assure l’enseignant de Paris-I. Il y a le même déploiement que dans la lettre de Guy Môquet."
Ivan Levaï s’en indigne sur France Inter ce 16 mars :
« Serait-ce trop ? Oui, selon Le Monde qui juge ce cérémonial grandiloquent. Et trop, selon l’historien Nicolas Offenstadt, spécialiste de la Grande Guerre, qui enseigne à Paris I. Selon lui, il faudrait redouter, au lendemain des élections municipales, une nouvelle polémique, sur la récupération de la mémoire.
« Je regrette, dit-il en page 10 du Monde aujourd’hui, cet usage de l’Histoire. On propose une cérémonie d’adhésion et de glorification, au lieu d’un moment de réflexion. Il y a le même déploiement que pour la lettre de Guy Môquet. » Et badaboum, c’est reparti pour un tour. Le second est déjà annoncé pour mardi prochain, au plateau des Glières où Nicolas Sarkozy doit honorer les héros de la Résistance.
Résumons : Guy Môquet, shoah, dernier poilu, résistance en Haute-Savoie, interdiction au chef de l’Etat de dire quoi que ce soit. (...) L’Histoire aux historiens… et silence et justification imposés aux témoins ? » (http://www.radiofrance.fr/franceinter/chro/lekiosque)
Cet ensemble de confusions par un chroniqueur pressé amène à quelques précisions. Il ne s’agit pas d’en faire « trop » mais de faire ringard, traditionnel et très conservateur. Par ailleurs l’article duMonde juge en regard de ce que voulait le dernier poilu. En ce sens, il rappelle légitimement que l’Etat rebâtit ici à sa manière le rituel qui a failli lui échapper parce que les deux derniers poilus ont d’abord refusé les obsèques nationales, sans compter le profil atypique du der des ders (un italien engagé dans la légion qui combat à partir de 1915 dans l’armée italienne)...
Ce qui me frappe, en tant qu’historien, n’est évidemment pas ce dont parle Ivan Levaï. La parole des témoins est notre matériau et un matériau essentiel (voir www.crid1418.org). En revanche, la mort du dernier poilu étant envisagée de longue date, elle aurait pu être l’occasion, en effet, d’un « moment de réflexion ». Cela impliquait d’ouvrir un espace de discussion (sous forme d’une site ressource par exemple), de mettre les artistes à contribution, qui ont tant fait pour les mémoires de la Grande Guerre : Pourquoi ne pas prévoir des diffusions sur écrans de plein air de films marquants ou une semaine du cinéma de 14/18 ? Pourquoi ne pas organiser dans les écoles une représentation théâtrale autour de la Grande avec tant de pièces qui permettent de parler de la guerre avec modernité (on pense par exemple aux formidables Mémoires d’un rat mises en scène par Christine Bussière), plutôt qu’un cours solennel dans les classes sur tout le territoire de la République comme c’est envisagé (et cela rappelle bien l’affaire Guy Môquet, voir le site du CVUH), ou bien des lectures, pour tous, par des comédiens, de témoignages des combattants ? Lorsque sur le Chemin des Dames, par une belle journée d’été de juin 2007, lors d’un hommage aux tirailleurs sénégalais qui fut marqué par l’inauguration d’une oeuvre évocatrice de Christian Lapie, Manu Dibango joua quelques notes de saxophone et que fut lu avec talent le poème de Senghor aux tirailleurs sénégalais, l’hommage y était, l’émotion et la réflexion aussi. Et ce n’était qu’une cérémonie modeste à l’échelle du Chemin des Dames...

Pourquoi ne pas innover, inventer des formes commémoratives contemporaines, pour parler aux contemporains, plutôt que l’éternelle cérémonie aux monuments aux morts, les honneurs militaires et la pose d’une plaque dans un lieu qui en compte déjà des dizaines en mémoire des combattants de 14/18 (voir les galeries à l’étage dans la cour centrale) ? En 1998, Jean-Pierre Masseret, secrétaire d’Etat aux anciens combattants, qui n’était pas un révolutionnaire de la mémoire, avait déjà prôné de nouvelles formes commémoratives pour la Grande Guerre... Autrement dit, lundi, on risque bien, de nouveau, de voir se déployer l’éternel grand récit national, l’appel à une citoyenneté d’adhésion et non pas à une citoyenneté de réflexion qu’auraient encouragé des lieux de débats ou de déploiement artistique. Voici précisées ces quelques lignes du Monde.


Nicolas Offenstadt
Université de Paris I Panthéon-Sorbonne/CRID1418

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