Le Manifeste du CVUH

samedi 22 mars 2008

Deux ou trois choses que l’Histoire des arts à l’école primaire suppose… par Vincent Chambarlhac


Le projet de nouveaux programmes pour l’Ecole primaire, soumis à consultation (20 février 2008) place sous les feux de la rampe l’introduction d’une démarche nouvelle, l’histoire des arts. Par son pluriel, elle semble se démarquer de l’histoire de l’art, discipline canonique inextricablement liée au système des beaux arts ; pour autant, son institutionnalisation présage peut-être à sa fondation comme discipline d’enseignement. L’Histoire des arts, telle qu’elle semble se définir à partir des textes soumis à consultation, ne surgit pas du néant institutionnel. La démarche procède certes du contexte politique, des promesses de campagne – qui témoignaient par ailleurs d’une sidérante méconnaissance des réalités des dispositifs divers de l’art à l’Ecole -, mais elle s’inscrit aussi dans l’horizon de l’option Histoire des arts, enseignée en lycée comme spécialité de la filière littéraire depuis 1991, reconnue comme enseignement pour une part des CPGE (1). On le pressent, l’Histoire des arts telle que déclinée pour l’enseignement primaire annonce pour une grande part ce qu’il en sera en collège. Pour le lycée, rien ne filtre encore, mais tout donne à penser, par la centralité de l’histoire des arts comme point commun de disciplines affines (l’histoire / géographie, les enseignements artistiques, les langues au collège), un redécoupage global. Les propositions pour l’Ecole primaire relèvent d’un dispositif plus ample, dans lequel l’histoire a largement partie liée (ne serait-ce qu’au titre des 25% du volume horaire annuel en collège laissé à l’histoire des arts dans le cadre de l’enseignement d’histoire / géographie).
Ce sont donc deux ou trois choses que l’Histoire des arts suppose, et qu’implique l’effet de seuil franchi d’une option à sa généralisation. Les réflexions qui suivent sont évidemment transitoires, les hypothèses formulées pouvant rapidement se révéler caduques ou au contraire vérifiées, au rythme galopant des déclarations d’intention, des textes prescripteurs. Certes, ces réflexions émanent d’un observateur étranger à l’enseignement primaire. Elles témoignent donc d’une observation décalée, mais en quelque sorte « participante », par mon statut de professeur d’Histoire / géographie et d’Histoire des arts en lycée.
UNE APPROCHE TRAVERSIERE…
Les recommandations pour les cycle I et II évoquent une initiation à l’Histoire des arts. Reprenant les topiques des différents Bulletins Officiels qui jalonnèrent la discipline en lycée, le texte définit de manière allusive l’histoire des arts par une approche sensible et un contact direct avec les œuvres, à partir notamment des différentes pratiques artistiques (Musique et Arts plastiques (2) sont ici particulièrement sollicitées). L’intégration à la vie collective suppose aussi que l’école fasse une place plus importante aux arts, qui donnent des références communes et stimulent la sensibilité et l’imagination, écrit-on page 1. D’emblée domine la perspective patrimoniale, seule à même de permettre des références et une culture commune. A la fin du cycle I, est attendu de l’élève qu’il sache observer et décrire des oeuvres du patrimoine, construire des collections (d’objets à valeur esthétique et affective). Cette sensibilité, qu’exige là le rapport à l’art, se complète au cycle II d’un contact direct avec les œuvres dans la perspective d’une première initiation à l’histoire des arts. Le même horizon d’attente domine au cycle III. Transparaît ici la rencontre du Ministère de la culture (3) et de l’Education nationale, la note patrimoniale glissant rapidement, et de proche en proche, sur une finalité civique. Somme toute, former des citoyens éduque au patrimoine national. L’argument de l’approche sensible implique également la proximité puisque, selon la proximité géographique, des monuments, des musées, des ateliers d’art ou des spectacles d’art vivant pourront être découverts (p 12, cycle II). La mélodie séduit certes, mais elle recèle deux logiques. L’une est celle – plus explicite en lycée - du partenariat avec les institutions, et les intervenants artistiques. Louable en soi, ce partenariat modifie pour partie le rôle du professeur (des Ecoles) dans l’économie de son enseignement, poussant à son paroxysme un décloisonnement de plus en plus fréquent dans les établissements primaires de grandes et moyennes tailles. C’est là l’un des aspects de la « logique entrepreneuriale » qui modifie en profondeur le rôle de l’enseignant. La seconde logique que taît le texte est alors d’ordre géographique : quid de l’absence d’institutions artistiques de proximité, comme de compétences en ce domaine ? Taillé pour une cote urbaine, le programme ignore les spécificités de l’enseignement en milieu rural, d’autant plus prégnantes que l’on se situe dans le premier degré... Le programme laisse ouvert également la question des moyens mis à disposition qui, nonobstant le lyrisme des envolées du Ministère de la culture sur le partenariat et l’ouverture des institutions de son ressort, sont à la seule charge des collectivités locales. L’argument d’un patrimoine dilaté à l’extrême depuis Malraux et Lang permet de masquer -sinon d’effacer- ce reproche fondé sur une lecture sociale des attendus du programme. Puisque tout est finalement patrimoine…
Dispositif d’initiation, l’Histoire des arts évite en cycle II la question sociale –posée par son inscription dans un territoire- par l’argument des ressources locales au risque, d’ailleurs, de sa fragmentation et d’un rapport à l’Art donc uniquement conduit sous les auspices du locale. Les attendus, pour la fin du cycle II resserrent cette lecture puisque l’élève saura :
• distinguer les grandes catégories de la création artistique (musique, danse, théâtre, cinéma, dessin, peinture, sculpture)
• fournir une définition très simple de différents métiers artistiques (par exemple compositeur, réalisateur, comédien, musicien, danseur).
Une première définition s’est ainsi esquissée, englobant nombre de domaines artistiques, corrélés à une approche « typologique » du champ artistique dans l’éventail de ses métiers. Le cycle III décale cette lecture de manière beaucoup plus prescriptive. L’Histoire des arts a là partie liée avec la culture humaniste, notion forte dans l’économie du socle commun (4).
L’HISTOIRE DES ARTS ET LA CULTURE HUMANISTE.
Absente des attentes des programmes de cycle I et II, la culture humaniste devient cardinale en cycle III, configurant des rapports étroits entre l’approche historique, géographique et l’histoire des arts. « La culture humaniste des élèves dans ses dimensions historiques, géographiques, artistiques et civiques se nourrit aussi des premiers éléments d’une initiation à l’histoire des arts » écrit-on p. 13 pour introduire les programmes. La finalité civique associée à la notion de culture humaniste (5) se double, on le voit, d’un réglage chronologique de l’Histoire des arts sur les programmes d’histoire (sinon de géographie). Tous deux donnent des repères. Une liste y pourvoie dans lequel l’enseignement peut puiser, au gré de sa liberté pédagogique et des ressources locales (6). Toute liste confinant à un inventaire à la Prévert dont ne ressortent, à la lecture, que les manques ; je ne discuterai pas les hommes et les œuvres ici retenus, notant cependant – au titre de la période contemporaine - l’absence de toute référence cinématographique… Importe dans cette liste, le lien établi avec les programmes d’histoire qui, dans l’après-coup, parait plus complexe que le seul fil rouge chronologique – et patrimonial. Les attendus du programme précisent :
« L’histoire des arts porte à la connaissance des élèves des oeuvres de référence qui appartiennent au patrimoine ou à l’art contemporain ; ces oeuvres leur sont présentées en relation avec une époque, une aire géographique (sur la base des repères chronologiques et spatiaux acquis en histoire et en géographie), une forme d’expression (dessin, peinture, sculpture, architecture, arts appliqués, musique), et le cas échéant une technique (huile sur toile, gravure...), un artisanat ou une activité créatrice vivante. Cet enseignement aide les élèves à se situer parmi les productions artistiques de l’humanité et les différentes cultures considérées dans le temps et dans l’espace. Confrontés à des oeuvres diverses, ils découvrent les richesses, la permanence et l’universalité de la création artistique ».

L’Histoire des arts décale la problématique des programmes d’Histoire / géographie qui, s’ils courent de la préhistoire à nos jours, se règlent sur une focale bien souvent nationale. Les repères donnés pour le programme d’histoire constituent des « jalons de l’histoire nationale » qui « forment la base d’une culture commune » et s’articulent « avec ceux de l’histoire des arts ». L’Histoire des arts arrive ici en complément et permet aux élèves de se situer en rapport du récit national. Elle est alors la discipline d’une altérité historique et géographique rabattue sur le plan artistique (culturel). A tout le moins, l’initiation à l’histoire des arts est le lieu d’une approche davantage ancrée dans des problématiques multiculturelles, une forme de compensation symbolique d’un retour à l’ethnocentrisme.



Tel quel, ce programme qui marque l’introduction de l’histoire des arts – comme initiation - pour l’ensemble d’une classe d’âge vaut pour ce qu’il suppose comme horizon d’attente. Ses attendus prêtent moins le flanc à la critique que les dernières avanies (ou bruits) autour des programmes d’histoire (et notamment les inquiétudes sur la question de l’esclavage). L’ensemble est plus consensuel. Mais si l’on entend ce texte pour prospectif, il annonce alors les redécoupages et la redéfinition à venir pour le Secondaire de l’enseignement d’Histoire, radicalisant par l’Histoire des arts une coupure entre ce qui relève de l’Histoire (singulièrement le politique, le national avec quelques occurrences socio-économique) et le domaine culturel et patrimonial. Ici, l’approche tirée vers une sociologie des arts (du point de vue de l’enseignant d’histoire / géo), et une analyse en rapport surtout structurée par la préhension des pratiques artistiques (7), tend à une patrimonialisation lisse des objets et des œuvres, à untableau des différentes cultures, souvent occidentales d’ailleurs à suivre les repères artistiques proposés (8). Il y a là sans doute une redéfinition de l’enseignement de l’histoire, une tension entre ce qui relève historiquement de sa légitimité – son rôle civique et la production d’un récit national articulé, pour le XXe siècle notamment, par le balancement entre l’histoire nationale et la construction européenne - et ce qui participerait de l’histoire des arts, domaine d’une culture humaniste à enseigner, celle-ci se distinguant de la finalité civique par son ouverture sur l’Autre. Ainsi la tension séculaire du métier d’enseignant d’histoire entre son identité de praticien (au moins dans le cadre de ses études) et son rôle social (civique) se complète d’un tiers. Est-ce l’amorce d’une redéfinition qui distendrait encore davantage les liens de l’Histoire enseignée avec l’Histoire discipline de recherche (9) ? Dans ce mouvement, mais c’est là l’affaire de l’Institution, quid de la formation des enseignants qui auront à prendre en charge cette inflexion, quid également des effets sur les concours ? On le sait, l’histoire des arts fait l’objet d’une certification supplémentaire dans le Secondaire, la démarche allant sans doute se généraliser par le volontarisme ministériel, qu’en sera-t-il des besoins des équipes, des établissements, pour que les rencontres sensibles avec des œuvres ne restent pas seulement sensibles, circonscrites au registre émotionnel lu par d’aucuns comme le régime actuel d’historicité (10) ?


Vincent Chambarlhac, enseignant d’histoire des arts, professeur du secondaire associé à l’ UMR Education & Politiques (INRP-Lyon2) - Universalisme et pluralité culturelle (groupe de recherche sur l’enseignement des questions controversées).



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Notes :


(1www2.educnet.education.fr/histoiredesarts/ L’histoire de cette discipline nouvelle reste à faire.
(2) Le terme « arts plastiques » voisine pour le cycle III avec celui plus en vogue d’art visuel.
(3) Pour qui la conservation, et le rayonnement du patrimoine français, constitue une mission comme la démocratisation du rapport à l’art.
(4) Elaboré en 2006, le socle commun des connaissances et des compétences va organiser les nouveaux programmes de collège.
(5) « La culture humaniste ouvre l’esprit des élèves à la diversité et à l’évolution des civilisations, des parties du monde, des sociétés, des religions et des arts ; elle leur permet d’acquérir des repères temporels, spatiaux, culturels et civiques. Avec la fréquentation des oeuvres littéraires, elle contribue donc à la formation de la personne et du citoyen. L’histoire et la géographie donnent des repères communs, temporels et spatiaux, pour commencer à comprendre l’unité et la complexité du monde. Elles développent chez les élèves curiosité, sens de l’observation et esprit critique. Les pratiques artistiques individuelles ou collectives développent le sens esthétique, elles favorisent l’expression, la création réfléchie, la maîtrise du geste et l’acquisition de méthodes de travail et de techniques. Elles sont éclairées, dans le cadre de l’histoire des arts, par une rencontre sensible et raisonnée avec des oeuvres considérées dans un cadre chronologique » p 17.
(6) « Des oeuvres de référence sont énumérées ci-dessous. Le maître puisera dans ces listes à sa convenance ou il les complètera dans le même esprit, notamment en fonction des ressources documentaires, et de la proximité de son école avec des monuments, musées, ateliers d’art ou salles de concert », p 19.
(7) « Les pratiques artistiques… sont éclairées dans le cadre d’histoire des arts par un rencontre sensible… », p 17.
(8) L’Autre au sens extra-occidental du terme survient dans le domaine des Arts appliqués (une soie d’Asie ou d’Europe), de la musique (Musiques traditionnelles d’Afrique et d’Asie).
(9) Sur certains chantiers, la distorsion est déjà forte. Ainsi du cas de la Grande Guerre qui voit, dans le secondaire, le triomphe de la notion de culture de guerre subsumant toute interrogation d’ordre social, ou politique, pourtant présente dans l’historiographie. Celle-ci paraît beaucoup plus nuancée. Cf.http://www.crid1418.org/espace_scie...
(10) Christophe Prochasson, L’empire des émotions. Les historiens dans la mêlée, Paris, Demopolis, 2008.

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