Le Manifeste du CVUH

mardi 31 juillet 2007

Réponse à Daniel Lefeuvre par Catherine Coquery-Vidrovitch


Dans un article publié dans le Figaro Magazine du 30 juin 2007 (L’identité nationale et la République), Daniel Lefeuvre s’insurge contre une pétition d’universitaires qui dénonce la dénomination du ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du co-développement, parce que « l’identité nationale constitue, aujourd’hui, une synthèse du pluralisme et de la diversité des populations et ne saurait être fixée dans le périmètre d’un ministère. »
Je ne comprends pas pourquoi un historien se rebelle contre cet énoncé qui constate un fait historique simple : « l’identité nationale » est plurielle, car elle résulte d’un pluralisme d’influences qui se sont cumulées pour donner, à chaque moment, à l‘identité nationale une configuration chaque fois plurielle et toujours en évolution, comme le confirme la citation de Fernand Braudel qu’il cite : une « nation ne peut être qu’au prix de se chercher elle-même sans fin, de se transformer dans le sens de son évolution logique », et comme il le dit lui-même « l’identité nationale est un produit historique, c’est-à-dire une réalité construite par l’histoire et ancrée dans l’histoire. »
Mais que je sache, l’histoire ne s’arrête pas aujourd’hui ou hier, et encore moins avant-hier… Heureusement que la nation est sensible à l’air du temps, sinon les femmes ne voteraient toujours pas et Rachida Dati ne serait pas ministre ! Or l’héritage culturel (en partie maghrébin) de Rachida Dati, qu’elle le veuille ou non - et s’en soucie ou non d’ailleurs, là n’est pas le problème -, fait partie de notre héritage collectif tout simplement parce qu’elle est française (qu’elle a la nationalité française), alors que les Gaulois ne font pas partie du sien, d’héritage, sinon par héritage de famille recomposée…

Refuser de figer donc aujourd’hui ce qu’est l’identité nationale dans un ministère qui du même coup fige les immigrants pour l’éternité (jusqu’à combien de générations ?), c’est a-historique, c’est donc absurde – ou du moins terriblement conjoncturel -.


Lefeuvre a raison sur beaucoup de points. Ainsi l’Etat français a fait beaucoup pour la nation française, et d’abord en fixant les règles de la nationalité (mais que je sache la loi ne s’est pas arrêtée une fois pour toutes en 1889 car la définition de la nationalité aussi a assez souvent changé depuis). Définir la nationalité, là est la tâche de l’Etat, de même que d’en propager les implications par l’éducation etc., bref tout ce que Lefeuvre décrit. Ainsi, il est légitime que l’Etat veille, comme il l’écrit, à « entraîner l’acceptation de normes et de règles qui s’imposent à tous, aux « vieux » Français, comme au nouveaux et à ceux qui aspirent à le devenir ».
Mais si le politique a tous les droits sur la nationalité, il n’a pas à définir l’identité qui elle, change en permanence : comment définir une fois pour toutes ce qui est en constant devenir ? C’est absurde. C’est le travail du chercheur en sciences sociales, du sociologue sans doute, du socio-historien dirait Gérard Noiriel, mais pas du juriste ni du politique, et encore moins du fonctionnaire d’autorité.
A partir de là, comme il est coutumier, Lefeuvre fabrique un adversaire imaginaire, qui voudrait « abandonner l’universalisme républicain au profit d’une République de la cohabitation, du voisinage entre communautés, chacune disposant de ses valeurs, de ses normes, de son droit et de ses représentants. » Mais sur quoi repose cette accusation, sinon sur son imagination, puisqu’il reconnaît lui-même qu’il ne peut la trouver dans le texte incriminé et ce qu’il appelle « le vague de sa formulation » ?

Enfin, dernière remarque : « la fierté d’être français » ne veut strictement rien dire (pas plus que ceux qu’il accuse d’être fiers d’être Bretons, maghrébins ou que sais-je). A tout prendre c’est l’inverse qui a un sens : « rendre la France fière de moi ». En 1940, heureusement que De Gaulle n’était pas fier d’être Français, c’est bien pourquoi la France est si fière de lui… Car je n’ai pas à être fière ou pas, globalement, de mon pays plutôt que d’un autre : je suis satisfaite, et heureuse d’être française, mais aurais-je à être plus fière qu’un Grec, un Suédois ou un Béninois d’avoir sa nationalité ? Je ne donne pas à mon pays un certificat de perfection, je ne suis fière ni des anti-dreyfusards, ni des acteurs du gouvernement de Vichy, ni de certaines atrocités des révolutionnaires de 1793, ni de la passivité d’une grande masse de citoyens chaque fois que des horreurs de ce genre ont aussi eu lieu dans mon pays et sous la responsabilité de mes concitoyens de l’époque. Donc « être fier d’être français », cela ne veut strictement rien dire, et un historien se devrait d’éviter une telle banalité.


Catherine Coquery-Vidrovitch
Professeure émérite, Histoire de l’Afrique,
Université Paris-Diderot

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