L'un des manuscrits de Robespierre, racheté en 2011, Essai sur le bonheur, 1792. (photo@VServat) |
Il n’en
finit pas de faire le buzz. Un peu plus de deux ans après la mise en vente de
manuscrits inédits de Robespierre, des spécialistes de la reconstruction
faciale en 3D viennent d’annoncer avoir reconstitué le « vrai
visage » de celui qui, dans la mémoire nationale, incarne toujours le
sanglant dictateur de la « Terreur ». Massivement diffusé depuis
quelques jours à l’occasion d’une grande opération médiatique, le visage numérique
s’offre au regard des Français, invités à enfin juger par eux-mêmes, d’un coup
d’œil, de la « vraie nature » de l’Incorruptible. En théorie parée de
toutes les garanties scientifiques, l’équipe de Philippe Froesch, déjà
responsable de la reconstruction du visage d’Henri IV, inspire spontanément
confiance et laisse croire qu’il est possible, grâce à la technique numérique
la plus pointue, d’accéder à une réalité du passé jusqu’ici cachée.
Reconstitution 3D du visage de Robespierre, telle qu'elle circule depuis quelques jours dans les médias. |
Pourtant,
de nombreuses raisons nous incitent à garder la tête froide devant cette
« découverte scientifique ». Ce visage a été reconstitué à partir
d'une copie d’un masque mortuaire moulé par madame Tussaud, dont l’authenticité
a depuis longtemps été mise en cause ou rejetée. A la fin du 18e
siècle, les vrais, les copies et les faux moulages pullulaient d’ailleurs dans
toute l’Europe tant ils étaient une source de profit, jusqu’à se confondre,
rendant leur authentification aujourd’hui extrêmement difficile. D’autre part,
le visage ici dévoilé est bien surprenant : ni l’épaisseur des traits, ni
la largeur de l’ossature, ni la profondeur des marques de la petite vérole ne
correspondent avec l’extrême majorité des dizaines de descriptions, de dessins,
de gravures, de peintures ou de sculptures dont nous disposons depuis très longtemps et qui évoquent,
au contraire, un visage plutôt longiligne voire anguleux et légèrement ponctué
de trous. De ce point de vue ce visage en 3D,
décrit avec horreur dans les commentaires laissés sur internet, s'inscrit
clairement dans une iconographie monstrueuse de Robespierre.
Ainsi,
malgré le battage médiatique, l’intérêt historique de cette modélisation
numérique a toutes les chances d’être bien faible… sauf si l’on s’intéresse aux
fantasmes que cette figure continue d’inspirer : « Lorsque
j'ai ouvert les yeux de Robespierre, son regard était
glaçant, inquiétant. Pas de doutes cet homme faisait peur »,
explique Philippe Froesch dans Le
Parisien du 13 décembre. On ne saurait mieux avouer que des procédés de
moulage de la fin du 18e siècle à la biométrie actuelle, les
techniques les plus sophistiquées des époques successives restent discrètement
et puissamment guidées par les imaginaires politiques et sociaux que charrient
les individus qui les utilisent. C’est d’ailleurs ici que se situe probablement
le plus grand intérêt de cette vraie fausse découverte : montrer à quel point, plus
de deux siècles après sa mort, la figure de Robespierre reste une source d’erreurs
historiques et de fantasmes négatifs dans l'imaginaire collectif.
Guillaume
Mazeau, historien, Institut d’Histoire de la Révolution française.