Le Manifeste du CVUH

samedi 30 mars 2013

Thierry Aprile (1961-2013)



Thierry Aprile, membre de la première heure du CVUH, vient d'interrompre brutalement sa route au matin du 25 mars 2013 et de nous laisser orphelins de sa sagacité, sa verve, son insatiable humour et ses irrésistibles coups de gueule.

Il fut de tous les projets du CVUH, tour à tour auteur (notamment d’un bel article sur « Mai 68 ou l’actualité de la mémoire », co-écrit avec Michèle Riot-Sarcey, dans le volume Comment Nicolas Sarkozy écrit l’histoire de France), inspirateur, auditeur, fidèle à nos manières d'agir et de penser, et d'une présence si évidente qu'il nous semble presque impossible d'écrire aujourd'hui ces quelques mots.

Ses obsèques ont eu lieu vendredi 29 mars, à Paris.

Nos pensées et notre profonde affection vont vers notre amie Sylvie, son épouse, vice-présidente du CVUH, vers Paul et Bruno ses enfants, sa famille et son immense tribu d'amis. 

mercredi 13 mars 2013

Petite leçon d’équilibre et d’histoire à destination de Marine Le Pen

NB : Cette tribune est parue dans l'Humanité Dimanche du 7 mars 2013. Elle est cosignée par Laurence de Cock et Véronique Servat pour le CVUH et le collectif Aggiornamento Histoire-Géographie. 

Peu de disciplines enseignées suscitent autant l’intérêt des politiques que l’histoire. Rien d’étonnant donc à ce que, Le 26 février dernier, Marine Le Pen s’exprime à son tour sur le sujet. A l’école primaire, L’histoire, apprend-on, devrait abandonner l’enseignement de la seconde guerre mondiale « trop complexe » et celui des aspects « trop négatifs » de la colonisation. Il faut “rééquilibrer” l’apprentissage de l’histoire de France selon Marine Le Pen. Les enfants pourraient donc se contenter de l’« histoire de France, la plus positive, la plus valorisante, pour que chaque Français conscient du passé en soit également fier, et pour que chaque citoyen français en soit un ambassadeur”.

Que Marine Le pen se rassure, les programmes Darcos depuis 2008, écrits dans une complète opacité, en reviennent déjà à ce modèle passéiste. Reposant à la fois sur la mémorisation de grandes dates-repères et de figures héroïques, les élèves de l’école primaire subissent une vision de l’histoire nostalgique, totalement éloignée des renouvellements historiographiques récents. Ces programmes, dénoncés par tous, n’ont comme seul mérite de n’avoir pas osé renoncer à l’enseignement des questions dites « sensibles », aux enjeux sociétaux importants, comme la destruction des Juifs d’Europe ou encore l’enseignement du fait colonial, de l’esclavage et des traites ; des thématiques, il est vrai, obligeant les élèves à aborder quelques facettes sombres du passé français et interrogeant d’autres héritages qu’une grandeur nationale fantasmée. 

Que l’on ne se méprenne pas : dénoncer la soi-disant « complexité » de la seconde guerre mondiale n’est qu’un cache-sexe d’une idéologie beaucoup plus lourde au sein du front national consistant, pour les uns, à nier l’existence des chambres à gaz, pour les autres à relativiser la portée historique de la shoah. Dans son discours de Rocamadour, Marine Le Pen maquille ces ambiguïtés derrière l’idée que les enfants de l’école primaire seraient trop jeunes pour disposer de l’ « esprit critique » nécessaire à la compréhension « des moments de notre histoire qui ont été des moments de souffrance ». On lui rétorquera alors que la grille de lecture d’un moment historique n’a rien à voir avec l’échelle de Richter des souffrances, et qu’il y a bien longtemps que les enseignants ne réduisent pas leur travail à la présentation d’une frise des émotions. On lui précisera également qu’un enfant de dix ans peut et doit comprendre que le passé du pays dans lequel il vit n’est pas une épopée lisse et glorieuse pour le bien de l’humanité. 

Connaître et comprendre la vérité des fait relève de l’intelligence, non de la soi-disant « repentance » que nous resservent régulièrement les nostalgiques du roman national. 

Car ce discours de réhabilitation d’un récit national aseptisé n’est pas l’apanage de l’extrême-droite. On le retrouve régulièrement sous les plumes alarmistes d’éditorialistes (du Figaro) ou d’historiens auto-proclamés surfant sur le soi-disant « malaise identitaire » des Français[1]. Nous dénoncions déjà cette « vague brune sur l’histoire de France » en septembre dernier[2] et ce marché éditorial juteux qui, lorsqu’il ne s’en proclame pas vertement, fait le jeu d’une extrême-droite ravie de camoufler sa politique de préférence nationale derrière une prétendue demande sociale trop souvent relayée complaisamment par les médias. 

A tous ces gens qui se découvrent une soudaine passion pour la question de l’histoire et de son enseignement, nous souhaiterions une nouvelle fois préciser qu’il existe des historiens dont les réflexions ont pour but de rendre accessibles les avancées scientifiques sur la compréhension du passé. Ils ont montré depuis longtemps qu’au même titre que la chevauchée de Jeanne d’Arc, la colonisation faisait partie de l’histoire de France, tout comme la traite. Ils ont montré que l’histoire ne résulte pas que de l’action des grands hommes mais aussi d’hommes et de femmes anonymes. Ils ont montré enfin que l’histoire ne répond pas aux obsessions politiques de la fermeture des frontières. 

Quant aux enseignants du primaire et du secondaire, ils savent qu’un enfant n’apprend pas uniquement en empilant des connaissances. Les chemins transversaux, complexes, sinueux sont bien plus savoureux à emprunter car ils éveillent la réflexion et la curiosité des élèves. Complexité, ruptures, transformations, rapports de domination sont au cœur de nos disciplines, et, en aucun cas, nous ne laisserons ces hérauts de la fierté nationale servir de boussoles à la rédaction des nouveaux programmes scolaires annoncés par le ministre pour 2014. 


[1] Voir les ouvrages de Dimitri Casali, Lorant Deutsch ou Jean Sevillia récemment décryptés par William Blanc, Aurore Chéry, Christophe Naudin, Les historiens de garde, Inculte, 2013.